Le mois dernier, Lepetitjournal.com/Varsovie vous racontait l’audacieux projet de Christophe Gruault : traverser l’Europe à la rame. Alors qu’il a terminé la partie du parcours en Pologne, il a bien voulu répondre à nos questions ce 23 mai entre deux coups de rames, et nous partager son expérience dans le pays.
Le 1er mai 2023, Christophe Gruault quittait Varsovie pour rejoindre Paris en parcourant 2023 km en solitaire à bord d’une yole, le long des cours d’eau d’Europe. Soutenu par la Fondation Iris et le Muséum national d’Histoire naturelle, ce voyage sportif et écologique si bien nommé « L’Europe à la rame » vise à sensibiliser le public, en particulier les jeunes, à la fragilité des écosystèmes aquatiques et à l’importance de protéger l’eau douce.
La science et la pédagogie comme moteurs
Les deux missions de l’expédition L’Europe à la rame sont simples, mais essentielles : la science et la pédagogie. Durant son trajet, Christophe Gruault collecte des données sur la biodiversité des zones parcourues et l’impact des activités humaines sur les écosystèmes aquatiques, qui seront ensuite analysées par les chercheurs du Muséum. En parallèle, il rencontre les élèves des lycées francophones des pays traversés pour les sensibiliser à la préservation de l’eau.
Tout au long du parcours, Christophe Gruault réalise deux types de prélèvements d’eau pour que les chercheurs attachés à l’expédition puissent étudier la pollution des cours d’eau d’une part (notamment les perturbateurs endocriniens) et d’autre part, identifier les espèces qui vivent dans les rivières grâce à l’analyse de l’ADN environnemental (ADNe). Cette technique innovante consiste à filtrer l’eau des rivières (2 à 30 litres selon les protocoles) pour capturer les fragments d’ADN laissés par les espèces qui y vivent. Les échantillons seront ensuite analysés en laboratoire (3 mois sont nécessaires) et permettront ainsi d’obtenir un aperçu inédit des espèces présentes dans les cours d’eau traversés.
Son bilan en Pologne : « un exemple de préservation de la beauté de l’environnement »
L’arrivée à Słubice a marqué la fin polonaise de l’expédition de Christophe Gruault. Après 549 km parcourus, il a traversé 4 fleuves, de la Vistule (la Wisła, en polonais) à l’Oder, en passant par la Noteć et la Warta. Parmi la faune rencontrée dans les zones naturelles, il a entre autres pu apercevoir le fameux cygne tuberculé, aussi appelé cygne blanc polonais, cette espèce bien connue a proliféré après qu’elle ait été introduite en Europe de l’Ouest comme oiseau d’agrément du fait de son beau plumage blanc immaculé et de son bec orange et noir.
D’un point de vue environnemental, Christophe Gruault considère l’absence de déchets et la mise en valeur des espaces Natura 2000 comme des signes particulièrement encourageants de l’état des berges polonaises, mais il faudra attendre les résultats d’analyses et échantillons par les chercheurs du Muséum pour en savoir davantage.
À la suite de ce qu’il a pu observer au long des 14 jours de navigation dans le pays, il raconte à notre rédaction comment la Pologne, première étape de son expédition, est justement un exemple de préservation de la beauté de l’environnement.
Lepetitjournal.com/Varsovie : Après plus d’un mois de navigation, où en êtes-vous de votre parcours en ce moment ?
Christophe Gruault : Aujourd’hui, je traverse Hanovre, comme j’ai énormément photographié des oiseaux, des poissons, des arbres… bref, tout ce qui vit, mon objectif du jour est de faire un safari humain en traversant la ville par le fleuve. Pour une fois, je veux m’intéresser aux personnes, par exemple : qu’est-ce que je vois des berges au niveau des humains, car mon point de vue, c’est toujours depuis l’eau.
Et ce safari est concluant ?
Manque de chance, la météo n’est pas bonne, il y a du vent, il fait tout gris… Donc je ne vois personne, et les conditions ne sont pas idéales pour sortir un appareil photo qui ne supporterait pas tout ça. Néanmoins, je traverse tranquillement Hanovre dans les conditions météo sur lesquelles je n’ai aucune influence, et je commencerai mon safari humain dans une autre ville !
Êtes-vous dans les temps par rapport à votre itinéraire ?
Au niveau de mon parcours, je suis parfaitement dans les temps ! Ma journée se termine un peu après Hanovre, où j’ai deux prélèvements à faire, dont un prélèvement d’eau pour les perturbateurs endocriniens – et ça, c’est très rapide, ça se fait en une minute. Il suffit de plonger une bouteille d’eau en verre, de bien la rincer avec de l’eau distillée, et d’en prélever un litre dans la rivière. Ensuite les scientifiques vont l’analyser. Est-ce que les perturbateurs viennent des stations d’épurations, des pesticides, du plastique ou bien des bateaux ?
Je fais donc un premier prélèvement d’eau pour la pollution, puis un second pour l’ADN environnemental. Entre autres, cela me permet d’en savoir plus sur la présence et le parcours des poissons migrateurs. En rentrant dans Hanovre, je suis tombé sur des cadavres d’anguilles, donc visiblement, je devrais trouver ce groupe de poissons.
Certes, j’ai observé des poissons morts, mais c’est normal sur ce genre de parcours. Quand j’étais en Pologne, je voyais pas mal de cadavres de castors, au moins un par jour. C’était assez saisissant, car un castor mort peut facilement être confondu avec des cailloux.
Pendant que nous discutons par téléphone, Christophe Gruault s’émerveille de trouver un petit poussin noir, dont il pense avoir croisé la mère précédemment.
Pour en revenir à la Pologne, la dernière fois que l’on a échangé, vous témoigniez de votre inquiétude quant aux passages sur la Noteć et la Warta qui pouvaient être plus difficiles. Comment cela s’est passé ?
Ça s’est merveilleusement bien passé ! Les berges étaient magnifiques, vraiment sauvages, je n’ai pas vu d’envahissement au niveau de la végétation… Si c’était à refaire, j’y retournerais volontiers ! Il faut savoir que l’autre avantage de la Noteć, comme elle est plus petite que la Warta, c’est qu’il y a une incroyable diversité d’oiseaux. Rien qu’à l’oreille c’est une symphonie, c’est impressionnant !
Le nombre différent de chants d’oiseaux nous donne une information cruciale : il nous informe sur leur nombre et comme il faut bien qu’ils se nourrissent, c’est qu’il y a une bonne biodiversité. Très donc une très bonne surprise !
Qu’avez-vous pu observer à propos de l’état environnemental, sur l’état de pollution des rivières et des berges polonaises ?
C’est impeccable. Vraiment, c’est magnifique ! Sincèrement, je suis très agréablement surpris : les Polonais sont très méticuleux, on sent que les berges sont toutes soignées, propres.
J’ai traversé beaucoup d’espaces sauvages, où la nature est très respectée. C’est un bon exemple pour l’Europe. Si jamais je devais faire une évaluation des berges, je mettrais la note de 15/20 à la Pologne. Il y a beaucoup d’espaces Natura 2000, parfaitement indiqués, et où on explique quels animaux y nichent et dans quelles conditions.
Dans la descente de la Vistule, je n’ai pas vu de plastique. C’était vraiment exceptionnel si j’en voyais un dans la journée. Ici, à Hanovre, ce n’est pas le cas. Il y a beaucoup plus de déchets, je n’ai qu’à me retourner pour en apercevoir. Encore une fois, il faut faire attention à ce que l’on compare ; en Indonésie, par exemple, on nage dans les déchets. Je l’ai vu, je sais de quoi je parle…
En Pologne, je trouve que les rivières et les berges sont particulièrement bien préservées. Il y a beaucoup d’espaces sauvages. Je ne sais pas comment ils font, mais c’est un très bel exemple. Je suis très content de cela, et si demain je dois proposer un endroit pour aller faire du canoë et voir de belles choses, la Vistule est idéale, surtout de Varsovie jusqu’au barrage.
Après le barrage, évidemment, les choses changent. Il faut savoir que le monde sauvage, lui, est en amont, pas en aval. L’eau vient du monde sauvage, pour rejoindre un océan ou une mer, et évidemment que sur le chemin il y aura des dégradations.
Je trouve qu’en Pologne il y a un bon mélange entre l’humain et la nature, c’est bien. J’aimerais que l’Europe ressemble plus à la Pologne !
L’un des buts principaux de l’expédition est aussi d’aller à la rencontre d’écoliers sur le parcours, et de leur expliquer votre action. Comment se sont passées les premières rencontres avec les enfants jusqu’ici ?
Ils sont visiblement très curieux. Ils apprennent plein de choses, et sont déjà au courant de l’avenir sombre qu’on leur réserve. Ils sont très intéressés par l’expédition, car ils veulent en savoir plus sur leur pays et sur ce qui les entoure. L’approche est toujours respectueuse, c’est un vrai moment d’échange, pas juste « c’est un monsieur rigolo, et les enfants retournent jouer sur leur téléphone ». Ils sont très attentifs, curieux. Avec les enfants, ça se passe très bien, les contacts sont particulièrement intéressants. C’est une bonne motivation !
Cet été, on a découvert des bancs de poissons morts entre la Pologne et l’Allemagne, sur l’Oder. Est-ce que vous avez aperçu quoique ce soit de ce genre, ou d’autres choses qui vous auraient semblé anormales ?
Alors, qu’est-ce que j’ai vu ? Sur l’Oder, j’ai rencontré des garde-côtes polonais, des jeunes très sympas. Franchement, je n’ai rien vu d’anormal à la surface ni dans l’eau. L’Oder est quand même un fleuve assez mobile, donc d’une année sur l’autre, on y voit des choses différentes. Au cours de mon voyage, je n’y ai rien vu d’anormal. Chaque fleuve, chaque rivière à son caractère, donc lorsque l’on change de cours d’eau, c’est comme si on rencontrait une nouvelle personne : il faut s’adapter, essayer de les comprendre, voir comment ils réagissent, quelles sont les règles qui les régissent… Et sur l’Oder c’est bien évidemment la même chose. Mais, je vous le redis, il n’y avait rien d’anormal visuellement parlant.
La seule chose qui m’a étonné, c’est une odeur que je retrouve partout, que ce soit en France, en Allemagne ou près de Varsovie : une odeur de savon. Franchement, c’est à chaque fois, la même odeur de savon… Je pense qu’il doit y avoir une station d’épuration pas loin, car je ne retrouve pas cette odeur-là dans la nature.
Les odeurs de la nature comprennent habituellement toute la végétation, les fleurs alentour. De temps en temps, peut-être, si je passe à côté d’un castor crevé et que le vent est dans le mauvais sens, alors évidemment ça sent va sentir très mauvais, mais ça reste des choses normales.
Cette odeur de savon, très spécifique, je l’ai trouvée par exemple en sortant de Varsovie, près de Nieporet. À un moment sur la berge, il y a un écoulement d’eau. Évidemment, comme on peut s’y attendre, ça fait des bulles et ça sent très fort l’eau savonneuse. Et chose amusante, le coin était plein de pêcheurs – davantage à cet endroit-là qu’ailleurs !
Cette odeur qui ne me semble pas du tout naturelle, c’était finalement une mauvaise surprise dans l’expédition et cela a de quoi inquiéter. C’est la même odeur partout, à des endroits bien précis. Attention, je précise : ce n’est pas parce qu’il y a des bulles à la surface que c’est obligatoirement du savon, mais là, avec l’odeur, je n’ai pas de doutes.
Quelque chose à rajouter ?
J’ai été très agréablement surpris par la Pologne – enfin pas « surpris », car je n’avais pas de préjugés par rapport au pays, c’est un très bel endroit, félicitations ! Visiblement, les Polonais sont respectueux de leur nature, il n’y a qu’à voir l’état des jardins en général, c’est assez impressionnant. La Pologne, c’était vraiment très bien, et si c’était à refaire, j’y repartirais avec plaisir !
Vous pouvez suivre l’aventure de l’Europe à la rame sur leur page Facebook et leur site Internet. Christophe Gruault tient également un Journal de bord, pour vous permettre d’être au plus proche de l’expédition.