Doit-on encore présenter Quique Dacosta ? Fort de ses quatre macarons Michelin (Trois pour le Quique Dacosta Restaurante de Dénia et un pour El Poblet à Valencia), ce chef passionné fait partie de la nouvelle génération des cuisiniers espagnols qui ont su révolutionner la gastronomie espagnole et lui donner ses lettres de noblesse par bien des aspects. Créatif, inventif et en constante recherche de la perfection, c’est à Londres qu’il a décidé d’ouvrir son dernier restaurant. Inspiré par les grands chefs français et ami du regretté Joël Robuchon, c’est avec une très grande gentillesse qu’il a accepté de répondre à nos questions. Entretien.
Lepetitjournal.com : Vous avez un lien particulier avec la France. La légende raconte que vous avez appris à cuisiner en lisant des livres de cuisine française. Vous étiez par ailleurs très proche de Joël Robuchon qui est décédé l'année dernière. Pouvez-vous nous dire quel lien avez-vous aujourd'hui avec la France ?
Quique Dacosta : Comme vous le dites, les deux premiers livres de cuisine que j'avais entre les mains quand j'avais seulement 14 ans - j'étais déjà dans la cuisine mais pas dans la haute cuisine, étaient ceux de deux chefs français extraordinaires, Michel Guérard et Georges Blanc. Ces livres m'ont donné un aperçu de l’univers de la cuisine et des grands restaurants dans lesquels je ne pouvais pas travailler ici en Espagne. Ces livres, en quelque sorte, m’ont servi d'inspiration, tout comme l'enfant qui joue au football et regarde Messi jouer, veut être Messi. J’ai connu ce sentiment avec mes deux premiers livres de cuisine de ces deux grands chefs, Michel Guérard et Georges Blanc, qui avaient une philosophie très proche du terroir, de la nature, de l'excellence, et dans laquelle je me sentais en accord.
Et puis en ce qui concerne Joel Robuchon … pour moi Joël a toujours été une référence de la cuisine. Déjà très jeune, j'achetais ses livres et les lisais pour appliquer ses méthodes. J'ai eu la chance de le rencontrer, parce qu’il avait une maison à Calpe, sa résidence en Espagne, à vingt minutes de mon restaurant à Dénia, où il passait beaucoup de temps. Par chance, il venait régulièrement dans mon restaurant, peut-être deux ou trois fois par an, et évidemment avec le temps, nous sommes devenus des amis, des confidents. Nous partagions une table et une conversation dans la cuisine. C'était un homme très généreux, un leader de la cuisine mondiale, et pour moi il n'était pas un maître mais un "sensei". Ses paroles étaient une leçon.
Pour répondre à votre question, je dirais que la France pour moi, c'est la mère de la haute cuisine. J'ai un très grand respect pour tous les chefs de ce pays ou pour les personnes qui se rapprochent de la haute cuisine. Aujourd'hui, parmi toutes les références qu'il y a dans la gastronomie, je prends toujours en compte les plus grands et ceux qui apportent le plus de formation. J'admire beaucoup Monsieur Ducasse parce qu'il aime le terroir, la culture française, le bon travail, mais aussi la marque et l'entreprise qu’il a su créer.
Pour moi Joël Robuchon était un homme très généreux, un leader de la cuisine mondiale. Il n'était pas un maître mais un "sensei"
Derrière chaque grand chef, il existe une rencontre fondamentale qui l'a enrichi, inspiré. Qui était cette personne, qui fût ce mentor pour vous ?
Eh bien je suis autodidacte et je n'ai eu aucune formation avec un grand chef. J'aurais aimé travailler avec tous les grands chefs. Mais il est vrai qu’à un moment dans ma vie, j’ai cherché ces collègues qui avaient quelque chose à m'apporter, qui pourraient m’enrichir aussi bien en tant que personne que comme cuisinier. Il y a bien sûr eu des moments où ce sont mes propres cuisiniers qui m’ont énormément apporté. Cependant, comme je vous l'ai dit, ce sont Michel Guérard et Georges Blanc qui m’ont le plus apporté au début de ma carrière, mais également de grands chefs espagnols comme Juan Maria Arzak et Pedro Subijana dans le premier mouvement de la cuisine espagnole. Et puis il y a deux leaders impressionnants que nous pourrions même qualifier d’antagonistes : Ferran Adrià et Santi Santamaria. Alain Ducasse également, a toujours été un point de référence et continue de l'être. Il y a aussi des cuisiniers contemporains qui m’ont accompagné dans mon parcours comme Andoni Luis Aduriz, Joan Roca ou Martín Berasategui. Ces chefs ont commencé la carrière professionnelle en même temps que moi et nous sommes amis. Et il y a tous ces chefs qui sont arrivés après et qui, même s’ils sont plus jeunes que moi, sont des références et avec lesquels je peux apprendre, quel que soit leur âge. Il y a Ángel León, Dani García, Paco Morales, David Muñoz, Paco Perez, Joseba Martinez au Pays Basque, Diego Guerrero à Madrid ou Eneko Atxa à Bilbao. Ces jeunes chefs, qui sont venus à la cuisine plus tard que moi et qui font également un travail extraordinaire qui m’intéresse.
La force de la gastronomie espagnole c’est son immense terroir porté par un merveilleux engouement populaire et que nous voulons faire prospérer
Vous faites partie d'une nouvelle génération de chefs qui ont fait connaître la gastronomie espagnole à un niveau international pour autre chose que la paella. Pour vous, quelle est la force de la gastronomie espagnole ?
La force de la gastronomie espagnole c’est son immense terroir porté par un merveilleux engouement populaire et que nous voulons faire prospérer. Je pense que sa grande force c’est justement les six décennies de chefs espagnols que j’ai évoqué juste avant : Juan Maria Arzak et Pedro Subijana qui ont entre 60 et 70 ans, Ferran Adrià et Santi Santamaria, entre 50 et 60 ans, Andoni Luis Aduriz, Joan Roca ou Martín Berasategui, entre 40 et 50 ans, Ángel León, et les autres ont la quarantaine et tous les plus jeunes qui viennent après... Voilà la grande force de ce pays ! Nous sommes nombreux à avoir le même état d’esprit, la passion pour aider, pour prospérer, la créativité, la pluralité, le respect entre collègues. C’est ce qui constitue l’essence de la cuisine espagnole.
C’est un immense honneur d'avoir trois étoiles Michelin
Aujourd'hui, de plus en plus de chefs refusent d'être étoilés Michelin ou dénoncent une institution vieillissante ou commerciale. C’est le cas notamment de Marc Veyrat en France qui a perdu une étoile cette année. Que pensez-vous de cette controverse ? Est-il nécessaire d'être dans ce guide ou dans des classements pour exister dans le monde de la gastronomie ?
Selon moi, Michelin fait son travail : ils viennent dans mes restaurants et les apprécient. J'ai trois étoiles Michelin pour le Quique Dacosta Restaurante à Dénia et une pour El Poblet à Valencia. Je suis honoré de les avoir. Le Guide Michelin est le guide le plus important de toute l'histoire de la gastronomie mondiale et il reste le plus influent jusqu'à ce jour. Je ne suis pas au courant de la controverse qui existe en France mais je peux vous dire que pour moi, c'est le guide le plus remarquable. C’est donc un immense honneur d'avoir trois étoiles. Pour moi, Michelin est un guide contemporain. Bien qu'ayant plus de 100 ans, il reste un guide qui ne me dit pas ce que j'ai à faire. L’inspecteur vient manger, paie son repas et m’évalue. Je suis très flatté de cette attitude. Ils évaluent simplement, avec leurs critères, ma cuisine. C’est ce qui est primordial et je suis satisfait de cette méthode. Mes idoles de jeunesse et mes amis cuisiniers ont également obtenu deux à trois étoiles. Je fais partie de ces étoilés, de cette bande. Cela étant, qu'il existe une polémique en France ne m’intéresse pas et d’ailleurs, je ne le savais pas.
Cinq de vos restaurants, le Quique Dacosta Restaurante, El Poblet, Mercatbar, Llisa Negra et Vuelve Carolina, sont situés dans la Communauté valencienne. Un sixième, Arros QD, a ouvert à Londres il y a quelques mois. Avez-vous déjà songé à ouvrir un restaurant en Extremadura, votre région de naissance ?
J'ai six établissements dans la Communauté valencienne : quatre à Valence, le trois étoiles à Denia et Flaura Fauna Primavera, un salon d’événements sur mesure que je viens de lancer. En Extremadura, je viens de Jarandilla de la Avera. Cette idée m'est déjà passée par la tête mais très sincèrement, en Extremadura, il y a des chefs extraordinaires qui travaillent et connaissent le terroir comme par exemple la famille de José Itoño, qui fait un travail merveilleux. Ces chefs obtiennent un résultat que je ne serais pas en mesure de réaliser là-bas et dépasser ce qu’ils font.
La seule chose dont j'ai besoin, ce sont mes proches
Ma dernière question sera un peu plus personnelle. Quel est, selon vous, le dîner idéal que ce soit pour le lieu, le menu ou les participants ?
Je ne saurais pas comment répondre parce que chaque situation a sa particularité. Cependant, je vais vous raconter une anecdote. Il y a un an, j’ai eu l’occasion d’aller cuisiner à Paris dans un événement qui s'adressait aux mères et aux grands-mères. J’ai donc pu y emmener ma grand-mère, que l'on appelle Mama Mari, qui n'était jamais allée là-bas. Elle m’a dit : « Je n'aurais jamais pensé qu'à mon âge, je pourrais aller à Paris ! » Je voulais que ce voyage avec elle soit comme une lune de miel. Et d’après vous, où sommes-nous allés dîner ? Au restaurant Jules Vernes de Monsieur Ducasse à la Tour Eiffel ! Nous avons savouré le menu dégustation, bu du champagne, flâné dans la Tour Eiffel où les lumières se sont allumées. Ce moment avec elle fût incroyable. Ce fût l’un de ces dîners idéals.
Moi ce que je souhaite, c’est être avec ma famille, avec mes proches. Je peux simplement manger des artichauts grillés, que j’aurai cuisinés moi-même, je n'ai besoin de rien d’autre. La seule chose dont j'ai besoin, ce sont mes proches. Avec ma famille, avec mes collaborateurs qui font déjà partie de ma famille, c'est cela mon dîner idéal. Comme je le disais pour la soirée avec ma grand-mère, nous avons eu la chance que Monsieur Ducasse, nous ait trouvé une table au Jules Vernes et faire qu’elle soit la femme la plus heureuse du monde, même si elle n’était pas la plus jeune !