Wotan Jhelil, français en PVT au Japon nous raconte son parcours entre l’école des beaux-arts d’Angoulême et son expatriation à Tokyo.
Ce marcheur infatigable parcourt les routes françaises et japonaises, appareil photo en bandoulière et sac de couchage dans le dos. La marche… simple exercice physique ou travail spirituel ? À travers ses expériences, Wotan propose de redécouvrir le paysage en s'éloignant des clichés touristiques. Beauté éphémère des saisons, regard qui cherche à débusquer ce que l’on ne voit pas, l'important c'est de rester en mouvement !
Ton parcours en quelques mots ?
Par où commencer ? Mon père étant militaire, je n’ai pas vraiment de ville natale et je ne viens de nulle part en particulier, j’ai toujours été habitué à déménager fréquemment. Ma famille étant également très mixte dans ses origines, je n’ai pas vraiment de terre d’attache et le mouvement a toujours fait partie intégrante de ma vie : je viens d’une famille de « gitans de l’ordre », pour vous présenter une image plutôt parlante. J’ai donc commencé très jeune à voyager, pour rencontrer telle ou telle partie de la famille au Maroc ou en Hollande que je n’avais encore jamais vue, ou pour changer d’école et de région en fonction des affectations de mon père.
Ce dernier étant aussi un grand marcheur, il m’a transmis cette fièvre des chemins. D’abord par de simples promenades, puis lors de voyages de plusieurs jours avec bivouac dans les champs ou dans les forêts. D’aussi loin que je me souvienne, marcher a toujours été essentiel dans ma construction, que ce soit pour réfléchir ou surmonter des épreuves du quotidien.
J’ai ensuite intégré l’école des beaux-arts d’Angoulême, avec la ferme intention de devenir auteur de bande dessinée. Mais voilà : en deuxième année, Frédéric Lefever, mon professeur de photographie, nous a donné comme exercice de partir découvrir la campagne charentaise, histoire de sortir voir du pays. J’ai eu l’idée de faire le chemin à pied pour réaliser un petit livre de cette expérience, et c’est depuis devenu mon protocole de création. Je choisis un point de départ, un point d’arrivée, et je me dégage ainsi un espace temporel pour développer un nouveau projet. Alors je capture le plus de souvenirs possible, chaque pas devenant un zoom progressif dans l’objectif qui me fait percevoir le paysage. Le soir, je noircis les pages de mes carnets de textes et parfois de croquis.
Finalement, j’ai développé une véritable sensibilité pour le rapport entre l’humain et son environnement, sur sa façon de le modeler et de le transformer selon ses besoins. J’aime voir ces « non-lieux » pourtant essentiels à la civilisation, ces derrières de rideau où les machinistes s’affairent pour que tout fonctionne ; il y a dans ces parties oubliées du monde une certaine beauté que je veux mettre en lumière.
Le Japon : un choix ou une opportunité ?
Réponse sans doute très consensuelle, mais je dirais les deux.
J’ai toujours baigné dans la culture nippone. J’ai eu la chance d’avoir d’anciens adeptes du club Dorothé comme parents, alors le soir nous regardions les chevaliers du zodiaque (Saint Seiya), Dragon ball, Naruto, Inuyasha… Mes deux parents étaient également professeurs d’arts martiaux et ma mère a été mon instructeur pendant quelque temps lorsque j’étais en primaire.
Au collège, je voulais être concepteur de jeux vidéos et m’établir au Japon, puis j’ai commencé à dessiner et écrire un peu plus sérieusement et mes projets ont changé pour devenir mangaka au Japon. Au lycée j’ai suivi assidûment une option de langue japonaise en LV3, mais à force d’en apprendre toujours plus sur la difficulté de la société japonaise et le métier d’auteur de bande dessinée, je me suis doucement raisonné pour réfléchir à un projet plus stable.
Grâce à mes études, j’ai eu l’opportunité en 2018 d’être accepté comme stagiaire auprès d’EnergyField Japan, qui organisait la Biennale de Biwako à Omihachiman. Non seulement j’ai enfin pu venir au Japon, mais j’y ai passé parmi les meilleurs mois de ma vie !
Suite à ça je suis parti sur les routes pour suivre le Tokaido jusqu’au mont Fuji. C’est au cours de cette marche que j’ai rédigé mon carnet sur le paysage japonais intitulé « Notes sur les chemins d’automne ».
Il y a dans ces parties oubliées du monde une certaine beauté que je veux mettre en lumière.
Comment s’est passée ton expatriation ?
C’était un contexte très particulier, et je ne suis pas encore sûr que mon expatriation sera définitive. Je suis actuellement en visa vacance-travail (que j’ai miraculeusement pu faire valider à quelques semaines de la refermeture des frontières due à la résurgence du Covid-19 dans le monde).
Diplômé depuis octobre, je n’avais pas d’emploi, plus de cursus ni de cadre. J’étais face à un vide étouffant. Qui plus est, je n’avais pas vu ma compagne depuis presque un an, et les soucis familiaux s’accumulaient. Lorsque j’ai enfin pu passer la frontière après d’énièmes procédures, j’ai été vraiment soulagé.
Ma compagne étant tokyoïte, je loge chez sa famille. Ce sont des gens adorables et nous nous entendons bien depuis le début de notre relation, donc la cohabitation se passe sans aucun souci. J’ai beaucoup de chance sur ce point.
Pour le travail c’est un peu plus compliqué. Je suis actuellement en recherche d’emploi, et même si je sais qu’il y a toujours certains postes à pourvoir dans la restauration, l’enseignement de l’anglais, les commerces, etc., j’attends encore un travail qui corresponde à mon parcours. Comme j’aimerais voyager, je cherche quelque chose qui puisse me garantir une certaine liberté.
Quels sont tes bons plans, astuces ou « must see » au Japon ?
Je sors assez peu en soirée, je préfère les rencontres en petit comité. D’une manière générale je conseillerais de simplement déambuler dans les rues et tester ce qui vous fait envie, c’est toujours comme ça que je trouve les meilleures adresses. Pour être plus précis, j’ai adoré l’Angolo, du côté de la station Jimbocho. Si vous allez à Hamamatsu, n’hésitez pas à vous rendre au restaurant d’unagi Kawai, j’ai passé des heures à discuter avec le propriétaire et je lui ai même servi de cobaye pour ses essais ! Je pourrais aussi vous conseiller le curry indien, les nans fromages sont toujours surprenants quand on les compare à ceux de France.
Bien évidemment je ne peux pas oublier de vous conseiller Omihachiman qui est à mes yeux une ville parfaite sur beaucoup de points. Pas trop grande, bien desservie par le train, culturellement très active, historiquement très marquée, très proche de la campagne en cas de besoin d’évasion.
Mais impossible d’être exhaustif, il y a tellement de belles choses dans ce pays !
Quels sont tes projets pour la suite ?
Comme je l’indiquais plus tôt je souhaite voyager pour profiter de mon PVT au maximum et lancer plusieurs projets. Résidant sur Tokyo, je commencerai par marcher partout dans le Kanto. J’ai prévu plusieurs itinéraires qui font sens pour moi afin de couvrir le plus de terrain possible. J’attends juste le bon moment pour partir faire ma première marche dans la préfecture de Chiba. Je vois bien une compilation de voyages assez courts pour ce projet, pourquoi pas des « Chroniques du Kanto ».
Par la suite, peut-être devenir traducteur pour me stabiliser et financer mes projets dans le reste de l’archipel, si j’arrive à me faire une petite place dans le milieu. Mais pour ça je dois encore m’améliorer linguistiquement.
Retrouvez bientôt chaque semaine sur Lepetitjournal.com Tokyo des extraits des pérégrinations de Wotan à travers le pays.
Son carnet dédié au paysage japonais « Notes sur les chemins d’automne », dans un style contemplatif plein de poésie et de douceur est idéal pour réapprendre à voyager, ne serait-ce que dans son quartier.
Pour en savoir plus :
wotan-jhelil.jimdosite.com
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