Du 9 décembre 2017 au 13 février 2018, la bande dessinée québécoise s'expose au Musée international du manga de Kyoto. Elle s'exprimera également à Kitakyushu, du 23 décembre au 20 janvier. Nous avons eu le plaisir de rencontrer Thomas-Louis Côté, DG du Festival de la BD francophone de Québec, lors de son passage au Japon. Sympathique et chaleureuse, l'entrevue a été l'occasion de faire un tour d'horizon de la BD québécoise actuelle tout en créant des parallèles avec les arts visuels nippons et le manga.
La bande dessinée québécoise s'expose en ce moment au Musée international du manga de Kyoto. Quelle est la genèse du projet qui vous amène aujourd'hui à présenter cette exposition au Japon ?
Cette idée d’exposition au Japon est issue d’une rencontre avec la Délégation générale du Québec à Tokyo. Avec nos envies communes, nous avons discuté ensemble de la bande dessinée québécoise et de ce qu’elle avait à offrir pour représenter le Québec. La délégation générale du Québec a alors projeté de réaliser plusieurs collaborations avec la ville de Kyoto, dans le cadre de l’accord de coopération bilatérale entre le gouvernement du Québec et la préfecture de Kyoto. L’idée d’établir un partenariat culturel sur le neuvième art est ressortie naturellement à ce moment-là de nos échanges. Il y avait une véritable opportunité d’exposer une proposition au Musée international du Manga de Kyoto. Chacune des parties a alors étudié les différentes possibilités pour œuvrer à la mise en place de cette exposition. Nous l’avions, au départ, créée pour la fête de la bande dessinée de Bruxelles en 2016 sous un format inédit de vingt-cinq moments phares de l’histoire de la bande dessinée québécoise. Nous sommes donc partis de cette base existante pour construire cette nouvelle exposition tout en échangeant avec le Musée au sujet de leur vision des choses. Nous l’avons ensuite adaptée en y ajoutant des auteurs représentant différentes maisons d’édition qui publient de la bande dessinée au Québec.
Quel est votre ressenti sur le fait d'exposer la culture de la BD québécoise dans un pays comme le Japon, grand consommateur de manga ?
Présenter une exposition comme celle-là sur notre propre bande dessinée et notre tradition culturelle au Japon est exceptionnel, d’autant plus dans un pays qui a un historique important dans le neuvième art. La culture contemporaine japonaise offre une très grande place à l’illustration en général. On apprécie d’ailleurs cet aspect lorsque l’on marche dans la rue, où le visuel est omniprésent. Les lecteurs de manga sont très nombreux, ici au Japon, alors qu’au Québec, c’est encore en pleine croissance. Mais nous avons un historique de la bande dessinée qui est déjà très solide et que l’exposition à Kyoto retrace. C’est tout simplement un véritable honneur de présenter la bande dessinée québécoise pour la première fois au Japon. Personnellement, je suis également très heureux d’avoir participé à ce projet et de collaborer avec les différentes initiatives qui aident à la promotion de la bande dessinée québécoise à l’international. Les échanges sont toujours des plus intéressants.
La BD québécoise côtoie le manga à Kyoto. Selon vous, quels sont les points communs entre les deux scènes littéraires actuellement ?
A des échelles complètement différentes, la culture de la BD possède une longévité en conséquence dans les deux pays. La bande dessinée québécoise s’est, par exemple, retrouvée dans les médias populaires pendant un long moment, ce qui est moins le cas aujourd’hui, alors que ce phénomène est encore très présent au Japon. Il y a aussi un point commun sur la scène des fanzines qui est très dynamique sur le marché japonais. A une échelle moindre, le Québec possède, lui aussi ,de nouveaux créateurs qui se lancent dans l’autopublication pour se faire connaître. Ensuite, la bande dessinée québécoise offre un joli métissage de styles, qui puise son inspiration dans de nombreux domaines dont le manga. On parle DES bandes dessinées québécoises. Quant au manga, il existe énormément de styles ,mais avec des codes bien définis. Les points communs, comme les différences, sont très nombreux.
Quels atouts possède le neuvième art québécois ?
En premier, sa variété sans hésitation. C’est un métissage qui offre une variété d’œuvres dans lesquelles les gens peuvent se reconnaître : les styles, les sujets, les thèmes abordés… Au niveau de la qualité, le nombre de créateurs et le nombre d’éditeurs est un atout indéniable. Nous sommes exercés pour offrir une bande dessinée de grande qualité. Pour preuve, des éditeurs québécois ont également leur marque sur les marchés étrangers, comme La Pastèque ; cet éditeur réussit à être présent en Europe de façon très avantageuse pour la BD québécoise, grâce à des réseaux de traductions qui les amènent, jusqu’au Japon, pour certains tirages. Des auteurs québécois travaillent d’ailleurs avec de grandes maisons d’éditions européennes ou américaines.
De façon complémentaire, des maisons d’éditions anglophones produisent également au Québec, comme Drawn and Quarterly, qui est un éditeur basé à Montréal reconnu par la scène internationale pour la qualité de ses ouvrages. Il existe des accords de marché entre éditeurs pour faciliter la diffusion des œuvres sur différents territoires comme avec les éditions Les Malins et l’éditeur belges Kennes. Ce partage de marchés entre éditeurs facilite la diffusion des BD québécoises. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que certains auteurs québécois remportent de grands succès à l’étranger. C’est le cas notamment de la série Les Nombrils, de Delaf & Dubuc, publié chez Dupuis. Il existe aussi des gros succès publiés par des éditeurs québécois, tel l’Agent Jean, de l’auteur Alex A, tiré à 75 000 exemplaires environ par tome et bientôt adapté en dessin animé, ou encore la belle série Paul, de Michel Rabagliati. De plus, grâce au regain de la bande dessinée jeunesse, les jeunes québécois découvrent de plus en plus le neuvième art avec les auteurs locaux.
Les créations de sept bédéistes sont exposées au musée international du manga de Kyoto. Comment s'est déroulée cette sélection ?
La sélection s'est faite en collaboration avec les éditeurs québécois qui consacrent quasi exclusivement leur catalogue au neuvième art. Nous avons aussi sélectionné les éditeurs selon leur lectorat : adolescents et adultes. Ensemble, nous avons étudié les différentes propositions d'auteurs possibles. Volontairement, nous ne nous sommes pas tournés vers les choix les plus classiques, car nous voulions véritablement faire découvrir la BD par l'intermédiaire des auteurs, qui sont d'ailleurs, soit de jeunes créateurs, soit des personnalités plus établies dans le neuvième art. Je suis personnellement content d'accueillir, parmi les auteurs de l'exposition, Réal Godbout, un artiste à la grande expérience, mais qui a eu moins l'occasion de se faire connaître à l'international. Je suis touché de voir, également, la réaction du jeune auteur, Esbé, qui dévoile quotidiennement son enthousiasme et sa joie sur les réseaux sociaux au sujet de l'exposition de son travail à Kyoto.
Fête de la BD 2016 à Bruxelles. Une étape cubaine, québécoise et maintenant japonaise. Quels sont les projets pour 2018 ?
En ce qui concerne le Festival de la BD francophone de Québec, nous avons une collaboration en cours avec la ville de Lyon, basée sur le concept d'une web-série. Les quatre premiers épisodes de 6 à 10 minutes environ, qui composent le projet initial, viennent d'être tournés. Nous prévoyons un lancement des premières vidéos début 2018. Appelée "La BD à voix haute", cette série sera diffusée via un site dédié ,mais également via les plateformes de vidéos en ligne. L'idée était de faire lire un extrait d'une bande dessinée par son auteur sans aucun support visuel. L'expérience met ainsi l'auteur face à son œuvre qu'il doit raconter aux internautes sans jamais avoir recours à une illustration. Il peut décrire une case, comme il peut raconter une anecdote au sujet de la BD ou de la planche lue. Nous démarrerons la web-série avec quatre auteurs (deux Français et deux Québécois) ; elle sera ensuite développée au cours de l'année. Nous voulions dévoiler les coulisses de la bande dessinée à travers les yeux des auteurs sans jamais passer par l'image. On invite ainsi l'auditeur à s'imaginer le dessin.
Nous allons également attendre l'analyse des retombées de l'exposition actuelle de Kyoto pour imaginer d'autres projets liés à cette manifestation culturelle. Cela pourrait être sous la forme d'une exposition itinérante par exemple. La réciprocité est très importante pour moi aussi. J'aimerais inviter des créateurs japonais au Québec, et vice et versa, pour créer des échanges dans le monde de la BD. Nous travaillons aussi avec la ville de Shanghai avec laquelle nous avons un accord de collaboration pour le festival ; nous souhaiterions y amener une délégation de la BD québécoise. Ces différentes initiatives ont valeur de test également pour différents projets envisageables, comme des livres en commun ou des résidences croisées sur des collaborations graphiques.