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Le christianisme au Japon et les sites chrétiens cachés de Nagasaki

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Basilique des Vingt-Six Saints Martyrs du Japon
Écrit par Michael Amerigo
Publié le 16 novembre 2019, mis à jour le 17 novembre 2019

Le 30 juin 2018, soit près de 150 ans après un événement majeur appelé "la Découverte des chrétiens cachés", douze sites de la région de Nagasaki, comprenant dix villages, les vestiges d'un château et une cathédrale, construits entre les XVIIe et XIXe siècles, ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.


Alors que 2 millions de Japonais, soit 2 % de la population  (127 millions en 1995), seraient chrétiens, la tradition demeure dans la région de Nagasaki où elle a été introduite il y a plus de 450 ans. Loin de Tokyo avec son imposante cathédrale Sainte-Marie et forte de son riche passé, il y a dans cette partie du Japon un nombre exceptionnellement important de catholiques et d'églises (plus de 130) par rapport au reste du pays, apportant ainsi un cachet original à la région. Au-delà de ces édifices religieux, douze sites, remarquables autant par la qualité des constructions que par leur valeur symbolique dans l'Histoire du Japon, ont été plus particulièrement distingués par l'UNESCO pour apporter au monde un témoignage historique unique sur les chrétiens cachés du Japon. Ce sont des sites qui reflètent la force de la foi de ces communautés qui ont réussi, pendant plus de 200 ans, à transmettre leurs traditions en survivant avec courage au sein de la société et des religions "classiques" de l'époque, et en dépit de l'interdiction stricte instaurée par les gouvernements en place. Avec cette inscription sur la liste du patrimoine mondial et la venue du Pape François au Japon en novembre 2019, la première visite du pays par un souverain pontife depuis celle de Jean-Paul II en février 1981, le christianisme et ses sites sacrés de Nagasaki pourraient prendre une tout autre dimension au Japon et dans le monde.

 

nagasaki chrétien
Vingt-six martyrs du Japon

 

Les premiers pas du christianisme à Nagasaki


Depuis sa fondation en 1570, Nagasaki a été une ville internationale et multi-culturelle. De par sa position géographique à l'ouest de Kyushu, la région de Nagasaki a servi de porte d'entrée et de lieu privilégié pour les échanges avec le continent asiatique et le monde occidental. Aussi, ses habitants ont toujours été ouverts à l'apport de nouvelles idées ainsi qu'à l'installation des étrangers. Le christianisme y a ainsi été introduit en 1549 par Saint François-Xavier, un prêtre jésuite d'origine espagnole, arrivé quelques années après les premiers marchands portugais. L'année suivante, il voyagea dans toute la région pour enseigner le catéchisme et baptiser les locaux qui voulaient se convertir. Après lui, d'autres missionnaires chrétiens arrivèrent dans la région pour convertir de plus en plus de Japonais. On estime au début du XVIIème siècle que 300000 Japonais (sur les 20 millions établis sur le territoire) se sont convertis au christianisme grâce à l'oeuvre de ces premiers missionnaires. Des gouverneurs de province suivirent également les enseignements et accordèrent à cette nouvelle religion leur protection. Une fois baptisés, ils souhaitaient ainsi bénéficier de certains avantages du commerce avec les étrangers. Avec Nagasaki comme centre religieux (distinction qui lui vaudra le surnom de "Petite Rome" ou "Rome de l'Orient"), le christianisme s'est alors répandu dans tout le pays grâce aux activités évangélistiques des jésuites qui oeuvraient dans le sillage de Saint François-Xavier. Mais quelques années plus tard, en 1587, Toyotomi Hideyoshi, voyant dans la propagation du christianisme un danger et une menace pour son pouvoir de daimyo, ordonna l'expulsion des missionnaires. Une période de répression s'en suivit et fut marquée par le martyre de 26 chrétiens en 1597 à Nagasaki. La colline où ils furent crucifiés, lieu des exécutions de l'époque et désormais sanctuaire national, est encore accessible de nos jours et reste un site très impressionnant. Un monument, un parc public, une église (Saint Philip) et un musée ont été construits en 1962 pour commémorer le centième anniversaire de la canonisation des 26 martyrs, dont deux adolescents, sacrifiés pour avoir suivi les enseignements d'une religion interdite. Le successeur de Hideyoshi, le shogun Ieyasu Tokugawa, décida à partir de 1612 l'interdiction pure et simple du christianisme sur le sol japonais. Dès lors, les Japonais convertis qui décidèrent de pratiquer et perpétrer leur foi durent vivre dans la clandestinité, sans église pour les accueillir, sans prêtre pour les guider et sans sacrement. Les 200 ans qui suivirent furent ainsi marqués par d'éprouvantes difficultés sociales pour les Japonais qui étaient de confession chrétienne. Le film "Silence" de 2016 réalisé par Martin Scorcese revient sur cette période très mouvementée, ainsi que sur la clandestinité et les répressions qu'a subi la communauté chrétienne japonaise à cette époque.


Informations sur le musée des Vingt-Six Martyrs
Adresse : Nishizakamachi, Nagasaki 850-0051
Horaires : de 9h à 17h
Prix : 500 yens/adulte et 400 yens.enfant

 

nagasaki dejima
L'île artificielle de Dejima

 

Les chrétiens cachés de la région de Nagasaki
 

Le terme "kirishitan", utilisé avant l'interdiction pour nommer les Japonais convertis au christianisme, vient du portugais "cristao". Dès lors, on appelle aujourd'hui les chrétiens cachés ("kakure kirishitan") des pratiquants clandestins de la foi chrétienne au Japon pendant la période d'interdiction du christianisme, qui s'est étendue du XVIIème au XIXème siècle. Malgré une révolte contre les gouverneurs de province en 1637 au château de Hara (dont les ruines constituent l'un des 12 sites chrétiens reconnus en 2018), une politique nationale de fermeture fut adoptée pour interdire l'arrivée des navires portugais, susceptibles de transporter des missionnaires. Seuls les Néerlandais étaient autorisés à commercer avec les Japonais, mais les échanges étaient confinés en un lieu unique au coeur de Nagasaki, l'île artificielle de Dejima. Après que le dernier missionnaire ait été martyrisé en 1644, les chrétiens japonais n'eurent d'autre choix que d'adopter la clandestinité pour éviter la persécution. Un grand nombre de ces communautés n'y ont pas résisté et, suite à une série de campagnes de grande répression pendant lesquelles on pratiquait la méthode humiliante du fumi-e (l'image de Jésus ou de la Vierge Marie qu'il fallait piétiner pour montrer son refus de la foi chrétienne). la plupart se sont vite désintégrées dans la seconde moitié du XVIIème siècle. Ces mesures de grande envergure, qui avaient pour but de les faire renier leur religion, au risque d'être martyrisés, ont participé à l'éradication des communautés de chrétiens cachés au Japon. Seules celles installées dans la région de Nagasaki, où l'activité des premiers missionnaires avait pris plus d'ampleur qu'ailleurs, ne se laissèrent pas éteindre. Ces petites communautés clandestines, très bien soudées entre elles, disposaient de très peu de moyens mais ont réussi à maintenir vivantes les pratiques chrétiennes apprises durant des décennies pour permettre aux Japonais convertis de vivre leur foi, mais d'une manière différente et sous des formes variées. Certains ont ainsi vénéré une montagne, une île ou un autre site naturel, d'autres ont remplacé les objets de dévotion du culte chrétien par des ustensiles du travail et de la vie courante, ou encore ont simplement associé leur foi aux pratiques courantes du shintoïsme. Le culte était alors pratiqué dans des pièces secrètes ou dans des grottes. Les fidèles utilisaient des statues de Bouddha pour symboliser les saints ou la Vierge Marie et les prières étaient également adaptées pour ressembler aux chants bouddhistes. La mémoire remplaçait les écrits qui étaient proscrits de peur d'être confisqués (les quelques écrits qu'ils avaient pu conserver avaient été recopiés et appris par coeur). Etant privés de Bible, l'oral était donc privilégié et les prières se transmettaient ainsi. Ils ont ensuite tenté de propager leur foi en se réfugiant et s'implantant sur d'autres terres ou sur des îles de la région. Ils ont dû y côtoyer les communautés existantes et leurs religions. Ce sont ces formes de pratiques particulières qui ont permis à la foi chrétienne de se perpétuer dans la région pendant plus de deux siècles et de maintenir vivant le christianisme au Japon.

 

chrétien japon
Père Petitjean

 

La phase de transition opérée par le "Miracle de l'Orient"
 

L'année 1854 marque l'ouverture du Japon au commerce extérieur. C'est à ce moment que les missionnaires sont revenus à Nagasaki et que le catholicisme a refait son apparition au grand jour, même si l'interdit et les risques de persécution demeuraient. C'est dans cette atmosphère qu'a été bâtie en 1864 la petite église de Oura dans le quartier étranger de Nagasaki, en mémoire aux chrétiens martyrs de 1597. Le nom officiel de l'église est d'ailleurs "la Basilique des Vingt-Six Saints Martyrs du Japon". Ce sont deux prêtres français, Louis Furet et Bernard Petitjean, qui décidèrent sa construction, ce qui lui valut le surnom de "French temple" ("le temple français"), qui disposait de vitraux importés de France. Le lieu demeure d'une importance capitale dans l'histoire du christianisme au Japon car il fut le théâtre, le 17 mars 1865, de la "découverte des chrétiens cachés". Un groupe d'une quinzaine de personnes issus du village voisin de Urakami brava l'interdiction d'accès à la chapelle qui avait été instaurée pour les Japonais et y entra pour aller se présenter au père Petitjean. Ils lui révélèrent qu'ils avaient le même coeur que lui et qu'ils devaient se cacher pour pratiquer leur foi. Cette rencontre incroyable, preuve de l'existence de descendants des premiers chrétiens survivants de la région, fut pour le père Petitjean le signe de survie du christianisme au Japon. L'événement, qui poussa plusieurs milliers de chrétiens cachés à sortir de leurs cachettes pour faire connaître publiquement leur foi malgré l'interdiction toujours en vigueur, fit le tour du monde chrétien et parvint aux oreilles du Pape Pie IX qui déclara que "le Miracle de l'Orient" s'était produit à Nagasaki. Par la suite, malgré un renforcement des règles et des actions visant à faire disparaître complètement les chrétiens du Japon et aboutissant sur une dernière vague violente de persécutions, le Gouvernement de Meiji leva l'interdiction en 1873 avec la libération des derniers prisonniers chrétiens. Une fois la liberté de culte totalement retrouvée en 1889, les chrétiens cachés furent confrontés à un autre choix pour continuer à vivre leur foi. Un clivage en trois groupes s'opéra alors au sein de la communauté chrétienne. Certains décidèrent d'abandonner le christianisme et de se convertir au bouddhisme ou au shintoïsme. D'autres acceptèrent de nouveau le catholicisme qui leur était amené sous la conduite des missionnaires et rejoignirent l'Eglise sous sa "nouvelle" forme. Les derniers enfin, appelés "kakure kirishitan" (chrétiens cachés) ou encore "hanare kirishitan" (chrétiens séparés), ne voulurent pas mettre fin à la tradition des chrétiens cachés. Ils refusèrent de suivre les missionnaires et décidèrent de continuer à vivre leur foi selon les pratiques spécifiques qu'ils avaient développées pendant les deux siècles d'interdiction. La tradition persiste et il en existe encore quelques centaines à Nagasaki, principalement dans le quartier Urakami et dans les îles Goto, là où beaucoup de chrétiens cachés se réfugièrent pour fuir les persécutions et où se trouvent les plus importants sites de cet héritage (la première grotte de Lourdes du Japon, réplique de celle du Vatican de 1891, se trouve dans ce secteur). Ils vivent encore leur culte de façon secrète et détachée de toute structure religieuse.

 

nagasaki église
Kashiragashima

 

Les douze sites reconnus par l'UNESCO
 

A l'origine de l'histoire se trouve un groupe de chercheurs en Histoire et architecture qui, au milieu des années 2000, voulut simplement constituer un album photos des églises de la région. Puis, estimant que l'album était d'une réelle importance, ils évoquèrent l'idée d'une inscription au patrimoine mondial pour une meilleure préservation et une plus large diffusion, afin que le monde entier puisse en apprécier la qualité. Le Gouvernement japonais finit par proposer ces sites à l'UNESCO en 2016 après de nombreuses années de promotion. L'inscription sur la liste eut lieu deux ans plus tard, le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) estimant ces lieux comme les témoins d’une culture unique à ces chrétiens qui se sont efforcés d’exercer leur foi en secret et jusqu’au bout, malgré l’interdiction de leur religion et les persécutions qui allaient de pair. Le plus accessible de ces sites est la cathédrale de Oura qui est située en plein coeur de la ville de Nagasaki. Celle qui n'était à l'origine qu'une petite église en bois fit l'objet de travaux d'extension après la levée de l'interdicion. Considérée comme le plus ancien édifice catholique existant du Japon, la cathédrale, qui a été endommagée par la bombe atomique de 1945, est aussi le premier bâtiment d’origine occidentale à avoir été désigné trésor national.

 

nagasaki hara
Ruines du château de Hara

 

Non loin de la ville de Nagasaki, dans la ville de Minamishimabara, se trouvait le château de Hara, aujourd'hui à l'état de ruines. Ces vestiges furent la scène du soulèvement des chrétiens en 1637 qui aboutit à leur massacre (37000 personnes périrent après avoir résisté quatre mois). Un événement historique et sanglant qui aboutit à l'établissement du régime de fermeture du Japon et à la clandestinité forcée des chrétiens, soucieux de transmettre leurs convictions sans le soutien des prêtres occidentaux. Les dix autres sites sont des villages disséminés aux quatre coins de la région, parfois sur des îles, situés dans des endroits éloignés les uns des autres et d'accès plus ou moins difficile. Ainsi par exemple, c'est toute une île, celle de Hisaka, qui est reconnue comme site sacré, avec l'ensemble des villages qui la composent, pour avoir accueilli des chrétiens ayant réussi à instaurer une coopération avec les communautés bouddhistes existantes.

 

nagasaki église kuroshima
Kuroshima

 

Les autres lieux sacrés et villages répondent aux noms de Kasuga (deux sites dans la ville de Hirado, au nord de la préfecture), Sakitsu (Amakusa), Shitsu (Sotome), Ono (Sotome) ou encore Egami, avec également les villages des îles de Kuroshima, Nozaki et Kashiragashima. Certains sites issus de cette douloureuse histoire sont aujourd'hui désertés et  témoignent de la souffrance et de la persécution subies par les chrétiens cachés du Japon, comme sur l'île de Kashiragashima où des chrétiens furent torturés pendant plusieurs mois et où une église a été érigée en hommage aux victimes. La "grotte des chrétiens" est également un site sacré incontournable. Repérée par la fumée des feux qu'ils avaient allumés, les chrétiens qui s'y étaient réfugiées furent tous massacrés. Si la cathédrale de Oura se visite facilement, il faudra pour les autres prévenir les organismes habilités. Dans tous les cas, le port de Nagasaki est ainsi un point de départ incontournable pour les curieux qui veulent se lancer dans un périple sur les traces du christianisme japonais.


La cathédrale de Oura : les informations
Adresse : 5-3 Minamiyamatemachi, Nagasaki 850-0931
Horaires : tous les jours de 8h à 18h
Prix : 1000 yens/adulte et 300 yens/enfant

Centre d'information des églises de Nagasaki
Adresse : Dejima-Warf 2F, 1-1-205 Dejima-machi, Nagasaki 850-0862
Tel : +81-95-823-7650
Horaires : de 9h30 à 17h30
Site en anglais : http://kyoukaigun.jp/en/

 

egami japon église
Egami

 

Malgré un départ fulgurant, le christianisme a du mal à s'implanter au Japon. La foi aujourd'hui se perd et les chrétiens représentent une très faible minorité religieuse. Néanmoins, l'Eglise a été assez forte pour que des fidèles aillent jusqu'à vivre dans la clandestinité pendant plus de 200 ans et même à offrir leur vie pour pouvoir perpétrer leurs croyances. Sans leur courage, la présence chrétienne aurait sans doute disparu du Japon. Et aujourd'hui, avec la reconnaissance des sites chrétiens de la région de Nagasaki, berceau historique du christianisme au Japon, le pays compte désormais 22 sites inscrits au patrimoine mondial de l'humanité. La région est très vaste et, sans pouvoir se rendre sur l'ensemble de ces sites, parfois difficilement accessibles, les églises du secteur sont à elles seules dignes d'un intérêt tout particulier. Du point de vue du standard international, la plupart sont petites et consistent en de simples bâtiments. Il faut garder à l'esprit qu'à l'époque de leur construction après la levée de l'interdiction, les chrétiens ne disposaient pas de fonds importants pour bâtir d'importants édifices. C'est grâce aux missionnaires, qui donnèrent de leurs deniers privés et amenèrent avec eux les techniques de construction qu'il fallut adapter aux matériaux et styles japonais, qu'elles ont pu éclore sur le territoire japonais. Leur valeur d'un point de vue historique et symbolique est tout à fait importante en ce qu'elles représentent l'esprit de cette libéralisation du culte au Japon et le résultat des rencontres culturelles entre l'Orient et l'Occident. Elles sont loin d'être le seul intérêt de Nagasaki, qui a su renaître de la catastrophe causée par la deuxième bombe atomique en 1945, dévastant une grande partie de la ville et causant des milliers de pertes, notamment dans la communauté chrétienne, mais elles lui apportent un charme certain. Si l'on y associe l'île de Gunkanjima, abandonnée après avoir été surpeuplée suite à l'exploitation d'une mine, et également inscrite au patrimoine mondial de l'humanité, on obtient avec Nagasaki une destination incomparable au niveau culturel, historique et architectural, et disposant d'un patrimoine remarquable.

 

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