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Christian Galan | Le système éducatif n’a été pensé que pour les enfants japonais

Quand et comment le système scolaire japonais a vu le jour ? Quelles sont ses spécificités ? Comment pourrait-il évoluer ? Pour répondre à toutes ces questions, nous avons interviewé un expert : Christian Galan, Professeur en langue et civilisation japonaises à l’université de Toulouse-Jean Jaurès, chercheur à l'IFRAE (UMR 8043 Inalco, Paris Cité, CNRS).

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Écrit par Serge Rived
Publié le 23 juin 2023, mis à jour le 18 octobre 2023

On date la création du système scolaire du tout début de l’ère Meiji en 1872, quelles sont alors les motivations du nouveau pouvoir impérial ? 

Il y a plusieurs temps dans l’ère Meiji. Quand le système scolaire obligatoire et centralisé se met en place en 1872 il répond à deux objectifs : 

  • Des penseurs comme Fukuzawa Yukichi font le constat de l’avance de l’Occident sur tous les plans – militaire, économique, industriel. Ils suggèrent de suivre leur exemple pour combler au plus vite ce retard ; au premier rang, l’instruction obligatoire, filles et femmes comprises. 
  • Mettre en place un critère de civilisation opposable aux Occidentaux afin d’être traités en égaux et de ne pas se faire coloniser. 

Quels pays ont été source d’inspiration pour cette école moderne ? 

Il s’agit d’influences, il n’y a pas eu de modèle importé ou copié in extenso. 

À l’origine en 1872, le modèle institutionnel – école élémentaire, école secondaire, université –, est français. Le modèle pédagogique, lui, vient des États-Unis, en particulier de l’école normale d’Oswego (New York). À partir de 1885, ce schéma pédagogique originel est abandonné, car il est jugé trop libéral. Le modèle devient alors prussien, avec le projet de fabriquer des sujets japonais fidèles à l’empereur. 

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le système pédagogique va connaitre un retour aux sources, sous l’influence des États-Unis. Héritier du passé, le Parti Libéral Démocrate (PLD) gagne les élections à partir du milieu des années 1950. En voulant dès lors, contrôler un corps enseignant très progressiste, il met fin à cette seconde parenthèse libérale. 

Qu’en est-il de la mixité tout au long de cette histoire ?

Au début de l’ère Meiji, on privilégie la scolarisation des filles car il faut des mères instruites pour éduquer ensuite leurs enfants.

À partir des années 1880, on cherche plutôt à fabriquer des bonnes épouses et des mères avisées. Après-guerre, on est sur une libéralisation totale au niveau scolaire. Avec cependant une contradiction et un plafond de verre social. Lorsque les femmes se marient, elles doivent quitter leur emploi. À quoi sert alors de faire des études ?

Des années 1960 à nos jours on assiste à une modification lente mais réelle de ce schéma. Il y a aujourd’hui plus de femmes que d’hommes à l’université. 

Un Japonais doit maitriser quatre systèmes d’écriture, comment sont-ils enseignés ? 

Historiquement toute la pratique éducative à l’époque d’Edo et au début de l’ère Meiji s’est structurée autour de l’apprentissage de la lecture et de l'écriture. Aujourd’hui encore le système scolaire découle de ce moule. 

En première année d’école élémentaire, on entre dans la langue par les kana, hiragana puis katakana. On a avec eux une correspondance graphie-phonie parfaite : un signe, un son. Une fois appris, les enfants sont capables d’écrire tout le japonais. Un certain nombre de kanji est au programme chaque année du primaire jusqu’au lycée. Ils se substituent progressivement aux kana dans les exercices de lecture et d’écriture. 

Quelle est la place des enfants d’expatriés ou issus de couples mixtes ? 

Contrairement à la France, il n’y a pas l’obligation de scolariser tous les enfants. Il y a seulement l’obligation de scolariser tous les enfants japonais ; et les enfants d’immigrés dont les parents le demandent. 

Le système éducatif n’a été pensé que pour les enfants japonais. L’enseignement de la langue est programmé et structuré sur les douze années de scolarité. Il peut être accessible aux enfants de couples mixtes, mais il ne permet pas à des enfants dont la langue maternelle n’est pas le japonais de rentrer à un autre niveau que le niveau zéro.

Pendant longtemps les gouvernements ont externalisé la scolarisation des étrangers. Par exemple, les Brésiliens ou les Coréens ont créé leurs propres écoles, ou des collectivités locales en ont créées pour eux. Les gouvernements tentent de se saisir de la question depuis dix ans, mais aujourd’hui encore l’école japonaise forme avant toute autre chose des Japonais. 

L’enseignement supérieur est à part. Avec la dénatalité, la plupart des universités japonaises ont du mal à recruter des étudiants. En parallèle des concours, elles accueillent de plus en plus d’étudiants étrangers, et les profils « mixtes » peuvent constituer un atout. 

Récemment vous avez publié, en collaboration avec deux autres auteurs, Loyauté et Patriotisme (le retour) (PUR2023). Cet ouvrage est consacré aux réformes éducatives depuis 2006 ; quels sont les termes du débat public autour de l’école au Japon ? 

Contrairement à la France, il y a très peu de grandes réformes des programmes, seulement sept entre la fin des années 1950 et aujourd’hui. Et, à chaque fois, les changements sont très marginaux – aux yeux d’un étranger en tout cas. Le débat public tourne plutôt autour des problèmes tels le harcèlement scolaire, les suicides ou la place du Japon dans les classements internationaux.

La réforme de la loi fondamentale en 2006 fut une exception. L’objectif a été fixé, au tournant du siècle, par Keizō Obuchi premier ministre mort en exercice : « amaigrir » l’État en supprimant 25% de fonctionnaires. 

La feuille de route a été reprise par Junichiro Koizumi. Sa politique néolibérale se heurtait à la loi fondamentale de 1947 dans laquelle l’État garantit l’égalité de tous vis-à-vis de l’éducation. Il a voulu briser ce carcan incompatible avec toute dérégulation. 

Notamment porté par Shinzô Abe, à la tête du PLD, le débat public a été biaisé. Celui-ci s’est focalisé sur le patriotisme et un retour au modèle d’éducation d’avant-guerre. Or, la réforme de la loi fondamentale est pourtant à 95% néolibérale et seulement à 5% nationaliste et néo-conservatrice. Par exemple, la durée de l’éducation obligatoire de neuf ans n’est plus mentionnée. L’article sur la mixité a disparu. Tandis que l’école privée y est mentionnée comme devant être soutenue par les pouvoirs publics. 

Livre sur le système éducatif japonais

Malgré ce chamboulement législatif, le système éducatif n’a pas changé ? 

Disons qu’il n’a pas beaucoup changé dans les faits. Ce paradoxe est l’objet de notre livre. La nouvelle loi fondamentale n’impose pas la dérégulation, elle la rend possible. Lorsqu’Abe devient premier ministre en 2006, il a un autre agenda. 

Un des buts du PLD est (depuis Yasuhiro Nakasone dans les années 1980) de réviser la Constitution afin que le pays puisse à nouveau faire la guerre. Pour l’atteindre et diffuser sa vision de l’histoire, de la morale, Abe a choisi de garder le contrôle sur les contenus éducatifs. La mise en place de la dérèglementation aurait entrainé la perte de ce pouvoir. Depuis son départ en 2020, les gouvernements successifs se sont, jusqu’à présent, inscrits dans cette trajectoire. 

 

Un grand merci à Christian Galan de nous avoir accordé cette interview. Pour en apprendre plus sur le système éducatif japonais, retrouvez notre dossier dédié au sujet !


 

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