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Macron, un président sous influences … philosophiques ?

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Michel Corneille Le Jeune - Aspasie au milieu des philosophes de la Grèce, Château de Versailles
Écrit par Julien Josset
Publié le 1 avril 2018, mis à jour le 18 juin 2019

Macron, philosophe ? Pendant la campagne présidentielle de 2017, les médias (ici ou ) se sont penchés sur les soubassements philosophiques du politique. Le climat quelque peu hystérique de la campagne passé, revenons sur les penseurs cités ou étudiés par Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir afin d’essayer de comprendre quelle(s) pensée(s) ont pu directement influer sur lui.

Hegel, sur les bancs de la fac de Nanterre

La formation philosophique d’Emmanuel Macron est indéniable. Après avoir effectué sa classe préparatoire à Henri IV au sein de la très exigeante Khâgne B/L, lors de laquelle il fait ses premières armes aux humanités en général et à la philosophie en particulier, il entre à Sciences Po Paris (après un échec au concours de l’Ecole Normale Supérieure de la Rue d’ULM).

Il développera sa culture philosophique via un Diplôme d’Etudes Appliquées (DEA) à la fac de Nanterre. Il fera ainsi son mémoire sur la notion d’intérêt général chez Hegel dans la Philosophie du Droit (dont on recommande en général la lecture à partir de 5 ans de pratique de la philosophie…)

 

C’est en effet au penseur de la dialectique que l’on doit la formulation la plus cohérente du concept d’intérêt général. Comment intégrer et unir tous les éléments d’une société constitue le point de départ de la réflexion hégélienne. Et même si aujourd’hui la notion semble aller de soi, au XIXème siècle, la nouveauté est évidente : Hegel part de l’opposition entre la société civile, formée des individus poursuivant des fins particulières et égoïstes, et de l’État politique, incarnation de l’intérêt général. Mais cette opposition, il la dépasse et la transcende : l’État réalise en effet la synthèse, de la volonté générale et des volontés particulières : expression suprême de l’Idée, de la Raison, l’institution se situe au-dessus de la société civile et est seule capable d’assurer la liaison de l’universel et de l’individuel. En tant que représentants de la nation, les élus sont censés exprimer la volonté générale et contribuer, par la délibération (au passage, le penseur Jürgen Habermas, théoricien de la discussion, a apporté son soutien à Macron pendant la campagne), à faire émerger l’intérêt général : c’est dans l’enceinte parlementaire que les choix collectifs sont mis en débat et les compromis négociés ; l’intérêt général fait l’objet d’une construction progressive, au fil des processus délibératifs. De même, parce qu’elle fait partie de la sphère publique, parce qu’elle se trouve du côté de l’État, l’administration ne saurait être comparée à aucune autre entité sociale : la finalité qu’elle poursuit n’est pas l’intérêt particulier de ses agents, mais l’intérêt général de la société ; par essence neutre et impartiale, elle est censée échapper aux clivages qui traversent le corps social et être au service de tous. L’appartenance à la sphère publique est ainsi la caution d’un total désintéressement : au service de l’intérêt général, les « gens du public » sont censés ne plus s’exprimer en tant qu’individus, dominés par des intérêts personnels et égoïstes ; ils s’effacent entièrement derrière les contraintes de leur fonction.

 

De ce mémoire, on peut évidemment penser que l’étudiant Macron en retiendra un certain sens de la politique comme dépassement des clivages, ce qui était au cœur du programme du candidat Macron. En témoigne aussi son choix d’un Premier Ministre issue de la droite traditionnelle.

 

Autre angle (complémentaire) : cette conception de l'Etat comme centre d'intégration et de réunification sociale est au cœur de la pensée Iibérale, laquelle pose que les égoïsmes individuels sont vertueux pour la société car ils produisent de l’intérêt général.

 

Ricoeur, un mentor de courte durée

Macron a été l’assistant éditorial de Paul Ricoeur pour son ouvrage La Mémoire, l’histoire, l’oubli. Il parle de « rencontre décisive » pour lui et revendique une filiation intellectuelle avec le phénoménologue :

« J'ai beaucoup appris auprès de lui. A lire la philosophie. Parce que c'est un hasard de la vie, presque un malentendu. C'est François Dosse, qui a été son biographe, qui était historien, qui a été un de mes professeurs, qui m'a conduit jusqu'à lui parce que Ricoeur cherchait quelqu'un pour faire ses archives. Donc c'était vraiment une tâche très manuelle, très ancillaire. Et nous nous sommes rencontrés, et nous ne nous sommes plus quittés »

La pensée de Ricoeur est trop complexe pour la résumer ici. Cependant, sa conception de l’Idéologie, non au sens marxiste mais au sens plus neutre politiquement d’ensemble des représentations. Alors que la plupart des auteurs de gauche, d’influence marxistes, dénoncent l’idéologie, Ricoeur lui voit une fonction positive, celle de créer de la permanence, des repères au sein des sociétés modernes. Elles permettent aux communautés de faire unité et de perdurer autour d’un socle commun, bref elles créent de l’identité collective. Ricoeur a aussi beaucoup écrit sur l’identité personnelle, affirmant (contre Locke et les philosophes classiques) que celle-ci se formait au fur et à mesure qu’elle est racontée, elle est essentiellement narrative. De même, l’idéologie joue le même rôle sur le plan social : elle raconte, tisse l’identité collective.

Mais chez Ricoeur, l’idéologie doit avoir son pendant : l’utopie, à la fois comme proposition d’une société alternative, comme mise en question du pouvoir et enfin comme « logique folle du tout ou rien » (L'idéologie et l'utopie, page 57). Cette tension, selon le philosophe, n’est pas antinomique, mais au contraire complémentaire : la société balance, doit balancer encore entre conservatisme (idéologie) et progressisme (utopie) :

« Pour pouvoir rêver d’un ailleurs, il faut déjà avoir conquis, par une interprétation sans cesse nouvelle des traditions dont nous procédons, quelque chose comme une identité narrative ; mais d’autre part, les idéologies dans lesquelles cette identité se dissimule font appel à une conscience capable de se regarder elle-même sans broncher à partir de nulle part » (ibid, page 63)

Macron, en tant que politique, semble assumer cette tension combinée du libéralisme, du jacobinisme, et d’un pouvoir très incarné et de progressisme (pensons au nom de son mouvement « En marche »). Dans un entretien au Spiegel, il appelait d’ailleurs à un retour de « l’héroïsme démocratique », ajoutant que “le post-modernisme a été la chose la plus grave qui pouvait arriver à nos démocraties. Cette idée, qu’il faut déconstruire, détruire tous les grands récits, n’est pas une bonne idée“. Son discours sur l’Europe à Athènes ou à la Sorbonne, appelant à rebâtir le discours collectif européen, ira dans ce sens. Autre exemple : son soutien à Madrid pour le maintien de l’unité espagnole, contre le référendum catalan.

La politique, ou les limites de la philosophie

Macron a dit à propos de Ricoeur :

« Ses premiers grands livres, il les a écrits après 60 ans. Ils étaient le fruit de décennies de lecture et d'enseignement. Mais je ne me voyais pas attendre quarante ans avant de réaliser des choses. J'avais envie de vivre ! » (Source)

De là à penser que c’est le philosophe qui l’a sinon poussé, du moins inspiré à entrer en politique, il n’y a qu’un pas. Toujours est-il que sur ce point, Macron diffère de Ricoeur : ce dernier pensait que la pensée était déjà une action. Or, Macron, qui a collaboré à la Revue Esprit, pensait ce travail d’écriture et de réflexion insatisfaisant. Dans un article de 2011, il écrivait :

« L’action politique est ainsi écartelée entre ces deux temporalités : le temps long qui la condamne à la procrastination ou l’incantation et le temps court qui appelle l’urgence imparfaite et insuffisante. Parce qu’on attend de l’État qu’il gère l’immédiat face auquel on ne peut presque rien ou le très long, lui qui seul est immortel. L’aporie de l’action politique contemporaine est précisément liée au fait que, écartelé entre ces temporalités, le politique ne semble plus parvenir à construire une action propre et durable »

Il semble qu’il ait décidé de tenter de résoudre, par l’engagement politique, cette dialectique pour trouver une forme de praxis politique.

En conclusion, ces influences ne font pas du président de la République un « philosophe », au sens où ce dernier produit une pensée originale, mais celui d’un politique nourri de philosophie, conscient de la fragilité du politique et faisant le pari d’une réflexion critique sur le pouvoir, son propre pouvoir.