A l’entrée du National Museum, un drôle de manège - littéralement - fait de coussins orange et de rubans vert pomme accueille les visiteurs. Conçu par Matali Crasset, star du design français, cette installation introduit la nouvelle exposition du musée The More We Get Together : Singapore's Playgrounds 1930 – 2030.
Réflexions sur le design avec l’une de ses plus talentueuses représentantes.
lepetitjournal.com : Vous avez vu l’exposition présentée ici sur les aires de jeux. Quel type de réflexions vous inspire t’elle ?
Matali Crasset : Dans cette exposition, au-delà de l’intérêt porté aux projets et différents espaces présentés, il y a un travail sur l’histoire du design, en allant rechercher dans les archives de Singapour. Qui a dessiné quoi ? Quelles ont été les différentes étapes de création et l’évolution de ces aires de jeu depuis les années 30 ? J’apprécie beaucoup ce type d’exposition. Cela donne une « culture du design », qui s’articule très bien ici, autour de cette thématique.
Cela est d’autant plus important qu’aujourd’hui, les aires de jeux, peu importe le lieux, ce sont souvent des unités préfabriquées et implantées sur un site. Ce constat est fait ici, à Singapour et en France… C’est pour cela que j’ai été invitée, pour repenser une nouvelle typologie.
Parlez-nous justement de The Dynamic Lines of Our Nest, que vous avez créé sous la coupole du Musée...
The Dynamic Lines of Our Nest n’est pas une aire de jeu mais une installation où les familles sont invitées à participer. Elle propose à la fois une interaction avec le public et un autre partage de cet espace. Comme beaucoup de mes créations, elle est inspirée par la nature, par un arbre de la région, le Banyan Tree. J’ai voulu donner l’impression, en s’asseyant sur les coussins, d’être sous ses branches. C’est une installation également interactive.
Que pensez-vous du design, celui que vous voyez ici dans cette exposition ou ailleurs à Singapour. Y-a-t’il selon vous un « esthétisme » particulier du design singapourien ?
Franchement, l’esthétisme m’importe peu. Ce qui m’intéresse est plutôt de l’ordre de l’interaction entre les espaces, le vivre ensemble, le partage et pour cela, les aires de jeux sont très emblématiques.
Y-a-t’il un élément dans la conception des aires de jeux à Singapour, qui vous a surprise ou intriguée ?
Non, pas vraiment. Les enfants sont les mêmes partout : ils ont envie de bouger, de s’amuser, d’éprouver les choses. Par contre, l'une des spécificités de Singapour réside dans ces relations pacifiées entre les communautés. En tant que professionnelle, je m’interroge. Comment cela a été possible et comment cela tient ?
Comment définiriez-vous votre métier ?
Mon cœur de métier est le design industriel, donc un design reproduit en série. Mais j’aime pousser les limites de ma discipline. Ma question centrale : qu’est ce qui donne du relief à la vie ? J’aime créer des typologies singulières pour permettre plus de partage et d’évolution. J’ai toujours fait des structures évolutives, même pour du mobilier domestique. C’est donner également l’occasion à chacun de se prendre en main, de s’approprier l’objet, le lieu, de faire ses propres choix. En somme d’être acteur dans un espace, qu’il soit collectif ou privé.
EXPOSITION, The More We Get Together: Singapore's Playgrounds 1930 - 2030.
Le Musée national de Singapour propose un voyage nostalgique, en revenant sur les terrains de jeu des enfants singapouriens depuis les années 30 et en imaginant leurs futurs.
Au delà de l’exposition sur la « culture du design » comme le souligne Matali Crasset, cette exposition est pour le Musée National l’occasion de mettre en avant une histoire collective : celle des aires de jeu au pied des Housing and Development Board, les HDB, où les enfants singapouriens ont créé des liens et ont forgé, en jouant ensemble, une identité propre au delà de leur communauté d’origine, comme le rappelle Angelita Teo directrice du Musée :
« Beaucoup d'entre nous, qui avons grandi à Singapour, garderont de bons souvenirs du temps passé sur les terrains de jeux du quartier. C'est un lieu d'amusement et d'aventure, où se forment des liens et des amitiés. Avec l'exposition The More We Get Together : Singapore's Playgrounds 1930 - 2030, nous nous concentrons sur ces espaces communautaires où des personnes d'origines différentes se rassemblent et découvrent comment l'importance des terrains de jeu va au-delà de leurs structures physiques pour inclure leur place et leur signification dans notre société »
L’exposition commence au début du XXe siècle, où les aires de jeux désignées étaient peu nombreuses et éloignées les unes des autres, les enfants se contentant souvent de jouer dans n'importe quel espace ouvert qu’ils pouvaient trouver. C'est également au cours de cette période que des terrains de jeux communautaires ont commencé à émerger dans des zones telles que People's Park, Dhoby Ghaut et Katong Park.
Dans les années 1950 et 1960, les aires de jeux sont rapidement devenues un élément à part entière des HDB de Singapour, en devenant l’un des éléments de cohésion de cette jeune nation. Au départ, il s'agissait principalement d'équipements de jeu fonctionnels tels que des toboggans et des balançoires. L’exposition fait la part belle à « l’âge d’or »des aires de jeux des HDB des années 1970 et 1980, avec notamment les dessins originaux des aires de jeux en mosaïque, créées par M. Khor Ean Ghee, le premier concepteur d'aires de jeux HDB, dont celle du dragon de Toa Payoh.
Dans les années 1990 et 2000, les terrains de jeux devaient offrir des jeux plus aventureux et plus sûrs aux amateurs de sensations fortes. Cela a conduit à la rédaction de normes pour les terrains de jeux et à l'émergence d'une nouvelle industrie de sociétés singapouriennes de terrains de jeux, telles que Playpoint et CT-Art.
Au cours de cette période, les terrains de jeux sont passés d'une aire principalement axée sur les besoins des enfants à un espace communautaire plus inclusif qui s'adresse aux personnes âgées, aux adultes et aux enfants. Les terrains de jeux pour enfants ont été placés à proximité d'installations sportives, créant ainsi des espaces intergénérationnels.
La question qui se pose à la fin de cette exposition est : comment faire que ces espaces de jeux continuent à jouer leur rôle social, entre les enfants d’abord et entre les générations ?
Détails pratiques :
Du 20 avril 2018 au 30 septembre 2018
10h-19h tous les jours
National Museum of Singapore,
Stamford Gallery, Niveau 1
Entrée gratuite