L’attrait fiscal de Singapour est bien connu. Mais qu’en est-il exactement quant à son ampleur et à ses ressorts ? Le débat actuel du budget de Singapour devant son parlement donne l’occasion de creuser ces questions, avec quelques comparaisons avec la France.
Le 14 février dernier, Lawrence Wong, ministre des Finances, Premier ministre adjoint, et probable prochain Premier ministre, a présenté le budget du gouvernement de Singapour devant son Parlement. La date de cette présentation budgétaire peut surprendre : c’est que Singapour suit la tradition anglo-saxonne, qui fait démarrer les années comptables et budgétaire au 1er avril.
Singapour est un petit pays riche et densement peuplé.
Singapour est un territoire de 730 km2 (dont 150 gagnés sur la mer), sur lequel vivent un peu moins de 6 millions d’habitant, ce qui en fait le troisième pays le plus densément peuplé au monde derrière Macao et Monaco, avec plus de 8200 habitants au km2 (France : 105 habitants au km2).
La richesse d’un pays est communément mesurée par son PIB (Production Intérieure Brute), qui agrège la valeur ajoutée de toutes les unités de production situées dans ce pays, en y ajoutant les impôts et en y retranchant les subventions. Selon les estimations du FMI pour 2023, Singapour ne se situe qu’au 35ème rang mondial (avec un PIB de 447 milliards USD), loin derrière la France qui est 7ème (avec un PIB de 2810 milliards USD). Cela n’est pas étonnant compte tenu de la taille de Singapour. Mais si on rapporte le PIB a la population, Singapour se retrouve 5ème au niveau mondial avec un PIB par habitant de 84.500 USD (la France est 22ème avec 42.650 USD par habitant).
Dans le reste de cet article, le PIB servira d’échelle pour les tentatives de comparaison entre la France et Singapour, en éliminant du budget public français la composante sécurité sociale française (dont l’équivalent est le CPF singapourien), qui a elle seule représente environ un tiers des prélèvements obligatoires et la moitié des dépenses publiques (soit un peu plus d’un quart du PIB français).
Un quasi équilibre budgétaire
Le déficit budgétaire prévu en 2023 est de 350.000 SGD. Cela représente moins de 0.3 % des dépenses publiques et 0.1 % du PIB. Rappelons qu’en France le déficit budgétaire en 2023 représente 5% du PIB, bien au-delà des 3% requis par le traité de Maastricht pour intégrer la zone euro.
En fait, sur les 25 dernières années, le budget de Singapour est en moyenne significativement excédentaire, les excédents compensant largement les quelques déficits, limités, liés à des périodes de crise. Rappelons qu’en France le dernier excédent budgétaire date de 1974 ! De ce fait, dans le budget de Singapour, il n’y a pas de service de la dette (qui obère le budget public de la France de 45 milliards d’euros en 2023).
Cela ne veut pourtant pas dire qu’il n’y a pas de dette publique : en fait celle-ci est de de l’ordre de 500 milliards de SGD. Mais contrairement à la France, les emprunts correspondants servent à financer des investissements productifs, dont les revenus couvrent les remboursements, et non pas à couvrir des déficits budgétaires.
Une faible pression fiscale
En 2023, le gouvernement singapourien prévoit de lever 96.7 milliards SGD de taxes de diverses natures, ce qui représente 15 % du PIB prévu (contre 30% en France hors cotisations de sécurité sociale). Cette situation est due, d’une part, à une grande maitrise des dépenses publiques et, d’autre part, à l’alimentation du budget par la moitié des revenus annuels des énormes fonds souverains de Singapour, qui pernet en moyenne de financer 20% des dépenses publiques (18.5% en 2023). Ces fonds souverains ont par ailleurs permis de financer les dépenses extraordinaires dues à la pandémie sans impact notable sur le budget : un prélèvement exceptionnel de 40 milliards de SGD a été ainsi fait entre 2020 et 2022.
Les principales recettes fiscales proviennent de l’impôt sur les sociétés (25%), la GST (18%), et l’impôt sur le revenu (17%). Le reste des recettes fiscales provient de multiples sources, comme le droit de timbre, les droits de douane, les taxes sur les véhicules (COE), les taxes carbone, … A noter qu’à Singapour, il n’y a ni impôt sur les successions, ni impôt sur la fortune, ni impôt sur les plus-values, et que les seuls sont imposés les revenus relatifs à des activités liées à Singapour. Il ne faut donc pas s’étonner du nombre croissant de milliardaires, venant s’installer ici ou y déposer leur fortune. Par comparaison, le tiercé gagnant des recettes fiscales en France est la TVA (38%), l’impôt sur le revenu (23%), et l’impôt sur les sociétés (17%).
Les barèmes d’impôts sont sensiblement moindres qu’en France, ce qui explique la moindre pression fiscale. Le taux standard de l’impôt sur les sociétés s’établit a 17% (contre 25% en France), et celui de la GST (équivalent de notre TVA) passe cette année à 8% (contre 20% en France). A Singapour, l’impôt sur le revenu s’appuie comme en France sur un barème progressif, mais les taux y sont plus faibles et les seuils plus élevés : Le taux maximum de 24 % n’est atteint que pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros, alors qu’en France le taux maximum de 45% est déjà atteint pour les revenus dépassant 170.000 euros (ceci sans compter le système des parts qui n’existe pas à Singapour).
Certaines évolutions fiscales reflètent la volonté du gouvernement de s’attaquer aux inégalités croissantes dans la société singapourienne comme l’augmentation significative du droit de timbre pour l’acquisition de propriétés privées de grande valeur et des droits d’enregistrement pour les voitures de luxe, la hausse du taux d’imposition des hautes tranches de revenu. En parallèle, les subventions accordées aux primo propriétaires de HDB sont plus élevées.
Des dépenses publiques maitrisées
Les dépenses des organismes gouvernementaux singapourien pour 2023 s’établissent à 104 milliards de SGD : cela représente 18.5% du PIB, contre 56.6% en France. Dans l’ordre décroissant, les bénéficiaires des budgets sont les ministères sociaux (éducation, santé, logement, culture, …), ceux liés à la sécurité et aux affaires étrangères, ceux liés au développement économique (transport, commerce, industrie, …), et le reste (finance, justice et autres organes publics). Les hausses les plus significatives concernent l’éducation, la sécurité, et l’environnement.
Le faible niveau des dépenses publiques provient du fait que beaucoup de services gratuits en France, sont payants à Singapour, comme l’éducation, et que certains domaines publics en France ne le sont pas à Singapour ??
L’effectif des organismes publics singapouriens est de l’ordre de 143.000, soit un employé pour 42 habitants (en France : un employé pour 34 habitants).
A cela, il faut rajouter 20 milliards de subventions diverses, essentiellement destinées à compenser les effets de l’inflation et de l’augmentation de la TVA pour les ménages les plus pauvres, mais aussi à stimuler l’économie singapourienne (recherche, productivité, reconversion, …) et la natalité (à travers des primes à la naissance et des aides aux parents de jeunes enfants.
Pour une présentation complète du budget 2023 de Singapour, cliquez ici.