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Singapour n’est pas près de faire faillite

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Le quartier financier de Singapour (copyright Bondsupermart)
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 22 septembre 2022

Les Etats, comme les particuliers, épargnent pour générer des revenus complémentaires ou pouvoir affronter des périodes difficiles. Les fonds souverains et les réserves monétaires de Singapour représentent aujourd’hui à eux seuls plus de trois fois le produit intérieur brut (PIB) du pays (533 milliards de SGD en 2021), ou plus de 15 fois le budget du pays (environ 100 milliards d’euros en 2022), ce qui en fait le champion du monde en matière d’épargne publique, pour les pays non producteurs de pétrole, et ce sans compter les fonds de pension et l’énorme patrimoine immobilier.

 

Les principaux actifs de l’état singapourien sont ses deux fonds souverains (Temasek et GIC), les réserves monétaires de la banque centrale (MAS), le fond de retraite (CPF), et l’immobilier. Cet article traitera des deux premiers volets, sachant que les deux autres sont difficilement comparables entre pays. L’importance des fonds de retraite dépend du mode de constitution des retraites : Singapour a opté pour un système par capitalisation, d’où un fond de retraite dont le montant est du même ordre de grandeur que le PIB. Par ailleurs, à Singapour, depuis l’indépendance, au-delà des terrains et bâtiments utilisés par l’administration, l’état est le propriétaire en dernier ressort de 80% des terrains du pays : la plupart des propriétés « privées » sont en fait des baux emphytéotiques de longue durée (99 ans pour la plupart) et même celles qualifiées de « freehold » peuvent être réquisitionnées à tout moment par l’état à des conditions léonines.

 

Les fonds souverains

Un fonds souverain est un fonds d’investissement détenu par un état financé par les excédents de l’activité économique du pays. Temasek a été créé en 1974, et GIC, en 1981, ce qui les classent parmi les quatre plus anciens fonds souverains avec celui de Koweit créé en 1953 et celui d’’Abu Dhabi créé en 1976. Temasek et GIC ont des caractéristiques différentes.

Peu de temps après l’indépendance de Singapour, les britanniques décidèrent d’en retirer leurs forces armées et toutes les activités qui y étaient liées. Comme cela représentait 20% de l’activité économique du pays, le gouvernement décida d’utiliser les infrastructures dont il était devenu propriétaire pour développer de nouveaux secteurs d’activité. Mais il prit rapidement conscience qu’il n’était pas le mieux placé pour gérer ces diverses entreprises. C’’est pour cette raison que Temasek fut créé, en y transférant les diverses participations de l’état. Cette nouvelle société d’investissement, est soumise au droit commun des compagnies, notamment en matière d’impôts et de rapports publics. Bien que n’ayant comme seul actionnaire que le gouvernement singapourien, elle bénéficie d’une grande latitude dans la gestion de ses participations et son conseil d’administration est constitué en majorité de leadeurs du secteur privé. Par ailleurs, Temasek n’intervient pas dans les décisions prises par les sociétés dans lesquelles elle détient une participation.

L’objectif de Temasek est de construire un portefeuille, résistant aux aléas et rentable sur le long terme, en s’appuyant sur quatre tendances de fond : la digitalisation, l’évolution de la consommation, la durabilité, et l’augmentation de la longévité. Chaque investissement fait l’objet d’une analyse rentabilité-risque rigoureuse.

Aujourd’hui Temasek est à la tête d’un portefeuille de plus de 400 milliards de SGD, principalement en actions, dont la moitié est constituée de sociétés non cotées. Sa composition est diverse en termes de pays et de secteurs.

 

singapour fonds souverains

 

Son rendement a varié depuis sa création. Il a été de 5.83 % pour la dernière année.

A titre de comparaison, les avoirs de BPI France, le fonds souverain français, ne sont que de 36 milliards d’euros, soit 1.5 % du PIB français. Même en y rajoutant les participations de l’Agence de Participations de l’État (APE), qui regroupe les actions des entreprises publiques, on n’arrive qu’à 160 milliards d’euros, soit environ 7% du PIB.

Si Temasek est une entité assez indépendante, GIC, qui gère les réserves gouvernementales (dérivées des excédents budgétaires), est directement géré par le gouvernement. Curieusement le rapport officiel de GIC ne mentionne pas le total des avoirs (pour vivre heureux, vivons caché !). Mais le SWFI (Sovereign funds wealth institute, organisme international de référence) les estime aujourd’hui à 690 milliards de USD, soit 970 milliards de SGD au cours de change actuel : presque deux fois le PIB du pays !

Les objectifs de gestion de GIC sont comparables à ceux de Temasek, mais la composition de son portefeuille est plus diversifiée en termes nature d’actifs :

 

singapour fonds souverains

 

Le rendement de ce portefeuille est assez stable : entre 4 et 6 % suivant les années.

 

La banque centrale (MAS)

Elle gère les réserves officielles de change du pays, notamment à des fins de politique monétaire, de manière conservatrice. Elles s’élèvent aujourd’hui à environ 400 milliards de SGD, en forte diminution (-30%) par rapport à son niveau en début d’année, due à une croissance très forte des prêts au gouvernement (+ 226 milliards de SGD). Son dernier exercice comptable s’est traduit par une perte nette de 7.4 milliards de SGD, ce qui a soulevé quelque émoi au parlement ces dernières semaines.

 

Le champion mondial de l’épargne publique après les pays producteurs de pétrole.

Mais ces aléas touchant les réserves gérées par la banque centrale n’entament la solidité financière de l’entreprise Singapour. Les actifs gérés par les fonds souverains de Singapour et sa banque centrale représentent aujourd’hui plus de 3 fois son PIB et plus de 15 fois son budget. A titre de comparaison, voici les chiffres concernant quelques autres pays pour 2020 (dernière année, certes exceptionnelle, mais où tous les chiffres sont disponibles). La colonne « réserves et fonds souverains » tente de cumuler les actifs des états hors fonds de pension et immobilier, ce qui n’est pas toujours facile compte tenu de l’hétérogénéité de l’organisation de ces actifs selon les pays. Mais cela donne quand même quelques ordres de grandeur.

 

singapour budget

 

Si tous les pays gèrent des réserves via leur banque centrale, beaucoup, notamment parmi les pays développés de longue date, n’ont pas de fonds de souverain. Ceux-ci ont été mis en place par des pays qui bénéficient d’excédents commerciaux significatifs, mais qui doutent de leur pérennité. L’idée est de les mettre de côté pour investir dans des secteurs plus pérennes, bénéficier de revenus complémentaires, et être prêts à faire face à des crises économiques. Cela est notamment le cas des pays producteurs de pétrole, mais aussi des pays qui sont sortis du sous-développement plus récemment. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les fonds souverains de Singapour soient si importants : c’est un pays sans ressources naturelles, mais dont l’activité économique dépend complètement du reste du monde. Si jamais les échanges internationaux venaient à se tarir dans le cadre d’une « déglobalisation » (ce qui n’a rien d’improbable ans le contexte actuel), Singapour aurait du souci à se faire, mais pourrait utiliser ses abondantes réserves pour rebondir.

 

Une contribution déterminante au budget du pays

Au-delà des dividendes reçus de Temasek, le gouvernement peut utiliser jusqu’à 50% des plus-values à long terme attendues de Temasek, de GIC, et de la MAS. Cela constitue le premier poste de recette du budget de Singapour (21%). Cette spécificité, combinée avec des dépenses publiques limitées, explique la modicité des déficits budgétaires (5% en 2022) et la faible pression fiscale. Le reste des gains est préservé pour les futures générations.

Cependant, le gouvernement peut puiser dans ces réserves pour faire face à des événements exceptionnels. Cela a été notamment le cas à l’occasion de la pandémie : un peu moins de 50 milliards de SGD ont été ainsi extraits des réserves entre 2020 et 2022. Mais une telle ponction exceptionnelle ne peut se faire qu’avec l’accord du Président de la République, dont c’est d’ailleurs un des rares pouvoirs concrets.

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