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Comment le patrimoine urbain est-il géré à Singapour ?

The art house at the old parliament patrimoine singapourThe art house at the old parliament patrimoine singapour
Le plus vieux bâtiment de Singapour date de 1826
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 12 octobre 2021, mis à jour le 13 octobre 2021

La conservation du patrimoine est une préoccupation relativement récente à Singapour. Il n’existe plus grand chose de la période avant l’arrivée des britanniques au début du 19ème siècle. De plus, beaucoup de bâtiments construits ces deux derniers siècles ont fait les frais de la modernisation du pays malgré leur valeur culturelle, architecturale, historique, ou touristique.

 

Les Anglais n’ont rien fait pour conserver ce qui existait avant leur arrivée à Singapour

Les premiers Anglais qui ont débarqué à Singapour ont trouvé sur la colline de Fort Canning (alors appelée « la colline interdite ») de nombreux vestiges de constructions bien plus anciennes : une muraille, un ancien verger, des bains, et des bâtiments en briques. Mais tout cela a été progressivement détruit pour faire place à la demeure de Sir Stamford Raffles, puis au fort qui a donné son nom anglais a cette colline. Cela a permis d’accréditer la thèse de la « découverte » de Singapour par les anglais, alors que l’on sait maintenant que Singapour était déjà un « hub » commercial prospère au 14ème siècle.

Même certains bâtiments construits durant la colonisation britannique n’y ont pas survécu. C’est le cas du Grand Hôtel de l’Europe qui, en son temps, avait la réputation d’avoir la meilleure table de Singapour. Il fut construit en 1907 et démoli en 1932, pour faire place à la Cour Supreme (aujourd’hui intégrée dans la National Gallery).

 

ancien batiment a singapour
Le Grand Hotel de l'Europe (1907-1932) (copyright National Archive of Singapore)

 

Le seul rescapé de l’époque précoloniale est un « keramat » (« sanctuaire » en malais) du 14ème siècle, situé sur le flanc Sud de Fort Canning et supposé abriter les restes du dernier des cinq rois de Singapour.

 

savtuaire malais
Le sanctuaire de Fort Canning

 

La conservation des monuments et sites remarquables singapouriens a seulement 50 ans

Au lendemain de l’indépendance, ce sujet n’était évidemment pas la première préoccupation du gouvernement singapourien, qui devait avant tout trouver du travail et des logements décents pour les deux millions d’habitants. Il a fallu attendre 1971 pour que, dans le sillage du « Preservation of Monuments Act », soit créé le PMB (Preservation and Monument Board), responsable de la sauvegarde des monuments et sites remarquables qui reflètent le passé de Singapour. Dans ce cadre, il identifie les sites présentant un intérêt historique, culturel, archéologique, architectural, ou artistique, et les recommande comme monuments nationaux à conserver. La décision est prise par le ministre de tutelle et officialisée par sa publication dans la « gazette » (Journal officiel de Singapour). Une fois le site classé monument national, il ne peut être modifié sans accord du PMB, qui doit veiller à son entretien et à sa promotion. Le PMB relevait à l’origine du ministère de développement national. En 1997, il a été transféré au ministère de la communication et de l’information. En 2009, il a été fusionné avec le NHB (« National Heritage Board »).

 

eglise armenienne
L'église arménienne, datant de 1936, est la plus ancienne église de Singapour (copyright mothership)

 

Les 8 premiers sites, dont 6 lieux de culte, ont été classés en 1973. Aujourd’hui, on en compte 73, dont environ la moitié date du 19ème siècle. Le plus ancien date de 1826 : il s’agit de l’ancien Parlement (aujourd’hui « The Arts House » dans le quartier colonial), réputé le plus vieux bâtiment de Singapour encore debout. Parmi ces 73 monuments nationaux, 30 sont des lieux de culte. Le reste comprend des établissements d’enseignement, des musées, des ouvrages d’architecture civile, des hôtels, et des bâtiments gouvernementaux et commerciaux. Mais pas d’habitation.

Au-delà de cette liste de monuments classés gérée par le NHB, il a aussi un inventaire de plus de 7000 bâtiments préservés (« conserved ») géré par l’URA (« Urban Redevelpment Authority »). Des quartiers entiers, comme Chinatown, Little India, Kampong Glam, ou Tiong Bahru, sont ainsi préservés. Ces sites doivent obéir à une certain nombre de règles. Ils sont limités à certains usages : par exemple, oui à la médecine traditionnelle chinoise et aux restaurants, mais non aux salons de massage et aux discothèques. La structure et les éléments d’architecture originaux des bâtiments historiques doivent être conservés et restaurés autant que possible, sans les reconstruire entièrement, sauf si c’est absolument nécessaire. Toute addition ou modification doit être préalablement autorisée, ainsi que tout changement d’usage du bâtiment. Avant toute restauration, des études approfondies doivent être menées pour garantir un travail soigneux et fidèle à l’architecture d’origine. Des règles détaillées, dépendant des quartiers doivent être suivies. Ces règles ne concernent pas seulement les bâtiments préservés, mais aussi certains bâtiments situés dans les zones préservées.

Cette carte interactive montre en rose bordé de noir toutes les zones préservées. A l’intérieur apparaissent entourés de rouge, les bâtiments préservés, de jaune, les monuments nationaux, et de vert, les bâtiments non préservés mais faisant néanmoins l’objet de certaines contraintes.

 

ruelle avec maisons colorees
Un exemple de quartier préservé, Blair plain (copyright Flickr)

 

Cependant de nombreux bâtiments, qui pouvaient prétendre à la classification ou à la préservation, ont été sacrifiés sur l’autel du développement. En voici quelques exemples.

 

anciens batiments
Ancien YMCA, Villa Mandalay, Ecole St Margaret et ancien Théâtre National

 

L’indépendance n’a pas changé grand-chose au manque d’intérêt pour le Singapour d’avant la colonisation. Il n’y a pas eu de démarche institutionnelle dans le domaine archéologique. Il a fallu attendre 1984 pour que de premières fouilles soient entreprises à Fort Canning, et ce par une équipe d’une université indonésienne. Depuis, un nombre croissant de singapouriens s’intéressent à cette période. Les universités ont monté des programmes et projets touchant à l’archéologie. Des fouilles entreprises dans divers endroits de Singapour ont permis d’exhumer de nombreux objets témoignant de la vitalité de ce port avant l’arrivée des anglais. Mais ces entreprises ne sont pas vraiment soutenues par les agences gouvernementales, avec lesquelles les équipes, volontaires, doivent négocier pour effectuer des recherches. Curieusement, le contenu des terrains sur lesquels sont construits les monuments historiques n’est pas couvert par les contraintes de conservation.

 

Aujourd’hui, l’opinion publique singapourienne est plus sensible à la conservation du patrimoine et n’hésite pas faire entendre sa voix

Dans certains cas, cette voix est entendue, comme pour les bâtiments de Dakota Crescent construits en 1958 par le SIT (Singapore Improvement Trust) prédécesseur du HDB (Housing Development Board), et situés près du MRT Mountbatten. Ce quartier tient son nom du modèle d’avions qui atterrissait souvent sur le premier aéroport civil voisin de Kallang. En 2014, le HDB, propriétaire des lieux, annonça que l’ensemble allait être démoli pour faire place à de nouveaux immeubles d’habitation. Des singapouriens se sont alors mobilisés pour sauver ce qu’ils considéraient comme le témoignage de l’architecture d’une époque : immeubles bas, de formes originales, et séparés par des espaces verts importants. Au milieu, se trouve une aire de jeux couvert de mosaïque en forme de colombe. Les appartement étaient basiques mais modernes pour l’époque (eau courante, électricité, toilettes avec chasse d’eau). Certains avaient un petit balcon. Les agences gouvernementales ont commencé à échanger avec les groupes communautaires pour trouver une solution. Finalement, il a été décidé de conserver un groupe représentatif des 4 types d’immeubles autour de l’aire de jeux centrale pour des usages communautaires, et redévelopper le reste.

 

aire de jeux
L’aire de jeux de Dakota crescent (copyright Coconuts)

 

Mais dans d’autres cas, les protestations n’ont pas eu d’effet. C’est par exemple le cas de l’immeuble Pearl Bank, situé près du MRT Outram et achevé en 1976. Ce témoignage de l’architecture « brutaliste » (du français « béton brut ») était un des premiers condos a taille élevée et à forte densité. Il avait une forme unique de fer à cheval. Lorsque la nouvelle de sa vente a été connue en 2018, de nombreux singapouriens, dont des architectes, se sont mobilisés pour sauver cet immeuble. Mais, finalement, l’immeuble a été démoli pour faire place à un nouveau condo.

 

batiment d'habitation
Le condo Pearl Bank a été démoli en 2020 (copyright Singaplex)

 

Un combat toujours en cours concerne la sauvegarde du dernier Kampong de Singapour, Kampong Lorong Buangkok, qui a déjà été amputé par la construction de HDB et dont la disparition est envisagée. Construit en 1956, il est pourtant le dernier témoignage encore vivant du mode de vie des singapouriens jusqu’au milieu du siècle dernier. Une trentaine de familles y habitent encore. Le sujet est monté jusqu’au parlement, mais sans conclusion. N’hésitez pas à y faire un tour avant qu’il soit trop tard. Mais soyez respectueux de la vie privée de ses derniers habitants.

 

batiment religieux malais
Le « surau » (salle de prière en malais) de Kampong Lorong Buangkok (copyright ngsiewchwee)

 

Ce 4 octobre, un amendement au Preservation of Monuments Act a été présenté au Parlement pour renforcer la protection des monuments classifiés et en étendre la définition.

Cet amendement vise à donner plus de pouvoir au NHB pour empêcher tous travaux susceptibles de nuire à l’intégrité du monument, jusqu’à permettre à un de ses représentants de forcer l’entrée d’un site sans mandat judiciaire, s’il y a des soupçons de travaux non autorisés et si le propriétaire des lieux ne coopère pas.

Cet amendement étend la définition de monuments historiques à tout espace, terrestre ou aquatique, contenant des traces passées ou présentes d’activités humaines, avec ou sans bâtiment. Le premier candidat pour ces nouveaux types de sites classés est le Padang.

 

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