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Alexandre Apéry, portrait d'un Français aux racines singapouriennes

Si Alexandre Apéry s’est installé à Singapour peu après la fin de ses études, ce n’est pas par hasard. Son père, expatrié dans la cité-État en 1975, s’y est marié avec sa mère, Singapourienne. Ses grands-parents tenaient une boulangerie bien connue sur East Coast road. Lepetitjournal.com est allé à la rencontre de cet ingénieur biculturel aux multiples facettes.

Alexandre Apéry sur le tournage de Do it en 2023Alexandre Apéry sur le tournage de Do it en 2023
Alexandre Apéry sur le tournage de Do it en 2023
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 25 mars 2025, mis à jour le 28 mars 2025

 

Alexandre Apéry, qu’est-ce qui vous a amené à Singapour ?

Je suis français et j'ai grandi en France, d’un père français et d’une mère singapourienne. Mon père est parti à Singapour en 1975 pour travailler chez Schlumberger sur les plateformes pétrolières. C’est à Singapour que mes parents se sont rencontrés et mariés. Pendant mon enfance, nous y passions régulièrement un à deux mois chaque été, ce qui m’a permis de garder le contact avec ma famille maternelle.

Je suis revenu à Singapour en 2011 en tant que VIE chez Alstom, sur le projet de construction de la Circle Line, où j’ai occupé le poste de contrôleur de gestion. À la fin de mon VIE, bien que je n’aie pas reçu d’offre de cette entreprise, j’ai décidé de rester à Singapour, non seulement parce que j’y avais rencontré celle qui allait devenir mon épouse, mais aussi parce que le caractère dynamique et multiculturel de la société m’avait profondément séduit. J’ai ensuite poursuivi ma carrière en direction financière chez Atos puis chez Worldline, Ubisoft, et plus récemment chez Accenture, toujours à Singapour.

 

 

Alexandre Apéry et sa famille
Alexandre Apéry et sa famille 


 

 

Ingénieur de formation, vous avez fait l’essentiel de votre carrière dans des postes financiers ou de contrôle de gestion. Pourquoi?

Après mes études d’ingénieur à l’ESTP, je débute ma carrière en audit financier chez Mazars, suite à une première expérience en bureau d’études qui ne correspondait pas à mes attentes. Je souhaitais diversifier mes compétences et relever des défis plus stratégiques, ce que l’audit m’a permis de faire grâce à la diversité des missions et des secteurs.

Au cours de mes trois années chez Mazars, j’ai pu comprendre comment les activités opérationnelles des entreprises se reflètent dans leurs comptes et bilans financiers. Mon profil d’ingénieur m’a apporté une compréhension approfondie des processus, me permettant ainsi de relier les aspects techniques et financiers. Je considère que cette double compréhension est essentielle, car la santé financière d’une entreprise ne résulte pas uniquement des chiffres, mais des choix stratégiques et des actions concrètes mises en place pour atteindre ses objectifs.

 

 

En 1931, mon arrière-grand-oncle, Tan Siang Fuan, achète une boulangerie à Singapour située au 75 East Coast Road.

 

 

Parlez-nous de votre famille singapourienne ?

En 1931, mon arrière-grand-oncle, Tan Siang Fuan, originaire de l’île de Hainan, achète une boulangerie à Singapour située au 75 East Coast Road. Il recueille alors son neveu, mon grand-père, lorsqu'il quitte lui aussi Hainan, encore jeune garçon. Des années plus tard, mon grand-père lui succéde, puis, dans les années 1970, un de mes oncles prend la relève.

Au fil des années, la Katong Bakery & Confectionery devient un lieu incontournable de Katong / Joo Chiat, et un endroit très prisé par les habitants du quartier . À son apogée, dans les années 1960, la boulangerie fournissait le pain servi à bord des vols de Singapore Airlines et comptait une vingtaine d'employés, souvent originaires de Hainan, auxquels mon arrière-grand-oncle offrait emploi et logis.

La boulangerie était particulièrement réputée pour ses pièces montées préparées pour les mariages et ses Swiss rolls (gâteaux roulés en cylindre garnis d'une couche de crème ou de confiture). Elle était également connue sous le nom de "Red House" en raison de la couleur vive de ses murs, qui se démarquaient nettement des autres maisons du quartier.

 

 

La boulangerie de la famille Tan au début de années 1990 (© National Archives)
La boulangerie de la famille Tan au début de années 1990 (© National Archives)

 

A Singapour en 2001 la boulangerie familiale
A Singapour en 2001 la boulangerie familiale

 

Bien plus qu'un simple commerce, la Katong Bakery était un véritable foyer familial. Si la boulangerie occupait le rez-de-chaussée, toute la famille Tan vivait au premier étage. Ainsi, trois générations — de mon arrière-grand-oncle à ma mère et ses frères et sœurs — y ont vécu, dans un modèle de foyer familial intergénérationnel qui était courant à l'époque. Je fréquentais cette boulangerie avec beaucoup d'enthousiasme lorsque j'étais enfant en vacances. Pour moi, c’était un monde totalement différent de la France : les sons, les goûts, les couleurs. Tout me semblait si nouveau et fascinant. Ces souvenirs très marquants ont nourri mon amour pour Singapour et l’Asie, et ont en grande partie motivé mon expatriation une fois devenu jeune adulte.

Malheureusement, la boulangerie familiale a fermé ses portes en 2003, le loyer étant devenu trop élevé. Cependant, le bâtiment existe toujours aujourd’hui : le rez-de-chaussée est désormais occupé par un café tendance, et le premier étage a été transformé en appartements de condominium. Récemment, j’ai eu l’opportunité de mener des recherches sur cette boulangerie dans le cadre du projet Katong-Joo Chiat Collective Memories.

 

 

Bien que je sois à moitié singapourien par le sang, je me sens naturellement de culture française, et je suis souvent surpris par certains aspects de la culture locale.

 

 

En savoir plus sur le projet Katong-Joo Chiat Collective Memories

 

 

Comment vivez-vous cette biculturalité ?

Bien que je sois à moitié singapourien par le sang, je me sens naturellement de culture française, et je suis souvent surpris par certains aspects de la culture locale. Par exemple, lorsque ma femme et moi avons emménagé dans notre appartement à Yishun, elle n’a pas compris pourquoi je voulais acheter une table à manger. Pour elle, et comme dans beaucoup de familles à Singapour, chacun mange à son heure. En revanche, dans la culture française, le repas est avant tout un moment de partage et de réunion.

Un autre aspect concerne le rapport au travail. En lien avec la Katong Bakery, je me suis entretenu avec mon oncle, qui en a été le boulanger pendant une trentaine d’années. Je lui ai demandé s’il avait aimé exercer ce métier pendant tout ce temps. Pour lui, la question ne se posait pas en ces termes : il n’a pas choisi ce rôle, qu’il a endossé en tant que fils aîné, et s’en est acquitté. Cet esprit de devoir filial me semble fondamental dans la culture sino-singapourienne, particulièrement à une époque où Singapour n’avait pas encore atteint le niveau de développement d'aujourd’hui.

 

 

Lors du projet Katong-Joo Chiat Collective Memories
Lors du projet Katong-Joo Chiat Collective Memories

 

 

Do It raconte une journée dans la vie d’une jeune singapourienne d’aujourd’hui, confrontée à une hiérarchie autoritaire et à des influenceurs toxiques

 

 

Que faites-vous aujourd’hui ?

En 2024, j'ai pris la décision de quitter mon poste pour des raisons structurelles et personnelles. Cette décision a fait suite à la signature d’un contrat commercial majeur, qui m’a demandé un investissement considérable sur une période prolongée. Une fois cet objectif atteint, j’ai souhaité prendre du recul pour me consacrer à ma famille et explorer des activités plus créatives. J'ai ainsi appris la réalisation de films, un domaine qui m'a toujours passionné, en suivant une formation au centre de photographie et de cinéma Objectifs. Puis, j’ai créé mon premier film, ‘Do It.’, avec l’aide de mes camarades de formation qui ont joué les rôles principaux. J’ai occupé tous les rôles créatifs : écriture du scénario, mise en scène, montage, etc...

Ce court-métrage raconte une journée dans la vie d’une jeune singapourienne d’aujourd’hui, confrontée à une hiérarchie autoritaire et à des influenceurs toxiques, et comment elle cherche une échappatoire dans la quête du bonheur matériel. J’ai voulu y aborder les problématiques d’une jeune génération imprégnée par les réseaux sociaux et marquée par le recul des relations humaines au profit des interactions numériques.

J’ai déjà commencé à travailler sur un autre film, qui raconte l’histoire d’une jeune femme quittant tout pour s’expatrier au Japon et poursuivre son rêve de devenir mangaka. Elle espère rencontrer un auteur qu’elle admire profondément. Cependant, son parcours donnera lieu à une grande désillusion, qu’elle utilisera comme base pour son propre manga. Cette œuvre influencera à son tour profondément ses lecteurs. À travers ce projet, je veux explorer comment nous sommes tous inspirés par nos prédécesseurs et comment nous pouvons, à notre tour, inspirer les autres. Je joue également du piano, bien que pas autant que je le souhaiterais. Chopin et Debussy sont mes compositeurs favoris, mais j’apprécie aussi beaucoup le compositeur contemporain Yann Tiersen, qui a su constamment se renouveler depuis ses débuts.

 

 

Sur le tournage de Do it en 2023
Sur le tournage de Do it en 2023 

 

 

Quels sont vos projets pour le futur ?

Je suis actuellement en recherche d’opportunités professionnelles et, comme beaucoup de personnes de ma génération, qui ont grandi dans un contexte de stabilité et de progrès rapide, je cherche à donner davantage de sens à mes activités tout en préservant un équilibre personnel.

Dans la société actuelle, notamment à Singapour, il peut être difficile de trouver un équilibre entre la vie professionnelle intense et le temps pour soi. Je suis convaincu que prendre du temps pour se ressourcer permet de mieux performer tant sur le plan personnel que professionnel. Mon objectif est de concilier ce bien-être avec un rôle stimulant, offrant à la fois autonomie et défis, où je pourrais m'investir de manière durable et significative. Cette réflexion sur l'évolution des priorités personnelles et professionnelles pourrait d’ailleurs inspirer un futur court-métrage.

 

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