Renée Kaddouch, avocat à Paris et foreign lawyer à Singapour, spécialisée en droit des sociétés depuis près de 20 ans, et en Asie depuis 2012 répond aux questions de lepetitjournal.com à propos des start-ups notamment dans le contexte économique du COVID
Lepetitjournal.com : Singapour est parfois décrite comme le paradis des start-ups, qu’en est-il vraiment ?
Renée Kaddouch : Force est de constater que Singapour a su mettre en place un système légal et fiscal qui, en s’adaptant à la vie de l’entreprise et donc de la start-up, en favorise le développement :
Outre une fiscalité très favorable pour les jeunes entreprises qui consiste, entre autres, en l’exemption partielle d’IS (impôt sur les sociétés) les 3 premières années d’exercice, l’absence de taxation des dividendes, ainsi que celle des plus-values et plus généralement un niveau d’impôt sur le revenu très bas.
Toutes les différentes branches du droit qui peuvent avoir un impact sur les entreprises et leur développement créent un terreau très favorable à l’épanouissement du business.
Il est intéressant de souligner que la notion de startup n’est pas un concept juridique, elle utilise les formes juridiques existantes et non une forme spécifique pour se créer et se développer. C’est le droit singapourien lui-même qui est favorable dans son ensemble aux entreprises et donc aux start-ups par ricochet.
Par exemple, la private company limited by shares, la forme sociale la plus utilisée par les start-ups et les entreprises, peut n’avoir qu’un seul actionnaire et la présence d’actionnaires étrangers n’est pas limitée, ce qui est très attractif pour des investisseurs et entrepreneurs étrangers.
En outre, avec pour seule limite celle de nommer un directeur « ordinarily resident » (en pratique soit citoyen singapourien ou soit résident permanent), les formalités de création sont simples et rapides.
Le droit des sociétés ne connaît pas les règles impératives du droit français, ce qui permet une grande souplesse. Citons l’absence de prohibition des clauses dites léonines (qui interdisent d’attribuer à un actionnaire la totalité des bénéfices, ce qui est donc à Singapour possible), ou l’absence de libre révocabilité des dirigeants (qui empêche en France d’indemniser un dirigeant révoqué, alors qu’à Singapour une telle indemnisation est concevable).
Le droit du travail est également très libéral. Il est possible de recruter et de licencier des employés assez simplement, sous certaines réserves le contrat de travail faisant office de loi entre les parties, assurant une grande fluidité sur le marché du travail et une prise de risque limité lors de l’embauche d’un nouveau salarié.
La particularité du droit singapourien réside dans le fait que la législation, au contraire du droit français qui va chercher à protéger la partie la plus faible au contrat, ne vise qu’à garantir la liberté contractuelle, vue comme un corollaire de la liberté du commerce.
C’est donc la liberté qui domine le droit des sociétés singapourien.
Les aides gouvernementales font en outre légion pour aider les entreprises qui débutent et les plus anciennes !
Plus important encore, le droit est aussi adapté au financement de la start-up
La préoccupation majeure des fondateurs est de ne pas être dilués ou le moins possible et de garder le contrôle et la direction de l’entreprise.
Celle des investisseurs est de contrôler leur investissement et réaliser une plus-value à l’échéance de quelques années. Pour concilier ces intérêts qui, sans être antagonistes, ne concordent pas toujours, le droit singapourien offre une plus grande souplesse.
Pour ne citer qu’un seul exemple, le droit singapourien ne reconnaît pas légalement l’existence du droit dit préférentiel de souscription de l’actionnaire. Celui-ci, une des pierres angulaires du droit français des sociétés, offre à tout actionnaire le droit légal de participer à un tour de tables, aux mêmes conditions de prix et ce droit ne peut être supprimé que par la majorité des actionnaires à des conditions assez strictes (notamment la nécessité du rapport préalable d’un auditeur). Par conséquent, à Singapour, les actionnaires qui désireraient faire rentrer un investisseur et lui seul dans le capital n’auraient pas à supprimer le droit préférentiel de souscription, qui n’est pas reconnu par la loi. Cela simplifie considérablement le processus d’augmentation de capital. Les actionnaires doivent simplement respecter l’éventuelle clause dite anti-dilution. Cette clause permet aux actionnaires anciens de la société de souscrire à l’augmentation de capital en cours, aux mêmes conditions de prix et est donc un mécanisme similaire au droit préférentiel de souscription prévu contractuellement, et non légalement,
Une autre différence majeure tient à l’absence de valeur nominale des actions (qui fixe une valeur définitive aux actions, quelle que soit la valeur de l’entreprise, la différence entre celle-ci et le prix effectivement versé par l’investisseur à la société s’apparentant à une sorte de « prime à l’entrée »). Le calcul du nombre d’actions à émettre est effectué librement, en fonction de la valeur de la société, sans que les autres actionnaires ne soient dilués du seul fait d’un capital antérieur plus faible.
Le processus d’augmentation du capital lui-même, qui permet de mettre en œuvre juridiquement l’entrée de l’investisseur, est également très simplifié.
Contrairement au droit français, singapourien ne connaît pas la différence entre apports en nature (apport d’un bien) et en numéraire (apport d’une somme d’argent) et le processus d’augmentation est similaire dans les deux cas. Puisqu’il n’existe pas de droit préférentiel de souscription, on l’a dit, aucun rapport d’un auditeur n’est émis avant l’émission des actions, ni, quand les actions sont payées en nature, aucun rapport spécial d’un commissaire aux apports (qui est auditeur spécial dont un rapport est requis en droit français avant toute décision des actionnaires relative à une augmentation de capital par apports en nature).
Avez- vous remarqué un changement dans l’investissement pendant cette crise du Covid 19 ?
En tant qu’avocat, j’ai ressenti un vrai fléchissement, si les processus d’investissements qui avait débuté avant la crise n’ont pas été suspendus ou abandonnés, comme cela pu être le cas lors de la crise de 2009 par exemple, l’investissement est d’une manière générale très ralenti.
Les contraintes pesant sur les déplacements empêchent investisseurs et fondateurs de startups de se déplacer dans la région. Or, un des facteurs clés de la décision d’investir tient à la personne des fondateurs et à l’équipe qui les entourent. Comment prendre une telle décision sans avoir rencontré les fondateurs autrement que via vidéo ? Dans la Silicon Valley, certes, certaines opérations ont été conclues de cette manière mais à ma connaissance, elles sont davantage une exception que la règle, aux Etats Unis, en Europe ou en Asie.
Bien entendu, les investisseurs continuent d’étudier des dossiers, voire d’investir de manière purement locale. Certains secteurs tenant à ce que j’appelle l’e-something (e-commerce, e-sport, e-learning, e-heatlhcare …) ont particulièrement la cote et devraient exploser post-pandémie.
J’ai donc de grands espoirs pour une reprise rapide que l’on commence d’ailleurs à sentir très clairement localement.
Par ailleurs, Singapour, et au-delà l’Asie du Sud-Est, devraient être un grand bénéficiaire du monde post Covid. La stabilité de la cité Etat, la situation politique à Hong Kong, et la recomposition géopolitique en cours en Asie, qui devrait perdurer bien après les élections américaines, constituent autant de facteurs qui rendent Singapour plus attractive que jamais aux yeux des entreprises et investisseurs étrangers.
Renée Kaddouch, avocat à Paris et foreign lawyer à Singapour