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SCIENCES – Virgile Viasnoff : « Nous essayons de comprendre comment le microenvironnement autour des cellules influe sur leurs interactions »

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Virgile Viasnoff - directeur de l'UMI Biomechanics of Cell-Cell Contact (BMC3)
Écrit par Cécile Brosolo
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 7 avril 2017

Agrégé de physique et expert en physique de la matière molle, Virgile Viasnoff a pris un virage à 180 degrés en s'installant à Singapour en 2010 pour faire de la recherche en mécano-biologie. Il dirige l'Unité Mixte Internationale[i] « Biomechanics of Cell-Cell Contact (BMC3) » au sein du MecanoBiology Institute[ii] of Singapore (MBI) de A*STAR. Plongée avec l'intéressé dans une discipline qui étudie l'influence des forces mécaniques sur les réponses biologiques des cellules.

 

www.lepetitjournal.com/singapour - Vous étiez un expert reconnu dans le domaine de la physique et vous avez complètement changé d'activité en vous intéressant à la mécanobiologie et à l'étude des interactions entre cellules. Comment êtes-vous passé de l'un à l'autre ?

Virgile Viasnoff - En effet la biologie n'était pas du tout ma spécialité, ce que je faisais en tant que physicien était totalement différent. J'étudiais notamment le comportement de matériaux à l'échelle de la molécule unique avec des nanotechnologies. Mais justement, c'était une démarche personnelle et j'avais besoin de renouveau. Après, tout a été une question d'opportunités et de rencontres, celles notamment des professeurs Michael Sheetz (directeur du MBI) et Jean-Paul Thiery (ancien directeur de l'unité compartimentation et dynamique cellulaire de l'Institut Curie). Ce sont eux qui m'ont convaincu de venir au MecanoBiology Institute.

Ce qui m'a vraiment intéressé est le fait qu'on fasse travailler ensemble, sur un même sujet de recherche, des personnes d'horizons et de corps de métiers très différents, des physiciens, des biologistes, des gens des sciences des matériaux, des chimistes, etc. Dans les projets interdisciplinaires, il arrive souvent qu'on collabore mais chacun reste dans son laboratoire, dans sa spécialité. Ici, on monte vraiment les projets ensemble de façon efficace. Je suis arrivé en tant que bio-physicien et j'ai appris rapidement la biologie en ayant à ma disposition tous les outils, que ce soit d'un point de vue matériel ou des compétences nécessaires, grâce aux gens avec qui je travaille.

 

Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce que sont la mécanobiologie et l'étude des interactions entre cellules ?

- Nous essayons de comprendre comment le microenvironnement autour des cellules influe sur l'adhérence cellulaire et sur les interactions entre cellules. Elles sentent toutes les propriétés biophysiques de ce qui les entoure, par exemple s'il s'agit d'un milieu souple ou dur, fibrillaire ou non, ou si une tension est appliquée. Nous étudions la façon dont ces propriétés et sollicitations mécaniques influent sur leur comportement.

La biologie classique va étudier l'influence de facteurs solubles (hormones dans le sang, présence de molécules particulières, ...) sur les cellules. En mécano-biologie, nous nous intéressons aux propriétés du milieu dans lequel la cellule évolue, aux facteurs mécaniques qui vont influencer son développement.

Pour donner une illustration simple, prenons l'exemple de la femme enceinte. Les hormones vont changer le corps bien sûr pour qu'il s'adapte, mais lorsque le bébé grandit dans le ventre, la peau va ressentir une tension mécanique. En conséquence, les cellules de la peau vont proliférer et la peau va se détendre.

 

Quels sont vos programmes de recherche ?

- L'activité du laboratoire est très diverse. Cela va de la biologie fondamentale à la biotechnologie et à la micro fabrication. C'est cet aspect multidisciplinaire qui est justement très intéressant.

Pour étudier les interactions entre cellules, nous avons créé des systèmes technologiques qui permettent de simuler l'environnement à l'échelle d'une cellule de façon très contrôlée. Nous utilisons ces microenvironnements dans nos expériences pour  regarder les réponses des cellules à des sollicitations, la façon dont elles sont organisées, leurs mouvements, etc. Pour répondre à nos besoins, nous avons également dû développer des nouveaux systèmes de microscopes.

Nous faisons aussi de la bio-ingénierie. Il s'agit là de transposer ce qu'on sait faire avec deux cellules en l'appliquant à deux populations de cellules, c'est-à-dire étudier la façon dont ces populations interagissent et peuvent se structurer dans l'espace en fonction de l'environnement.

Enfin, une partie de nos activités relève du biomédical ; nous travaillons en collaboration avec le Genome Institute of Singapore (GIS) de ASTAR pour faire des diagnostics sur la diversité du type de cellules qu'on trouve dans des tumeurs.

 

Sur quels types d'applications ces recherches débouchent-elles?

BMC3
- Au sein du laboratoire, nous ne nous intéressons pas directement aux applications biologiques et médicales. Nous faisons de la recherche fondamentale, en apportant la preuve de principe qu'une cellule peut réagir, et comment elle sent son environnement. Mais il est certain que les enjeux et les applications in fine sont extrêmement intéressants.

Par exemple dans notre programme avec le Genome Institute, l'objectif est de classifier les cellules d'une tumeur, de dire si une tumeur a tel ou tel type de cellule et en quelle quantité. D'habitude ce genre de recherche est axé sur le profil d'expression génétique. Nous essayons de le faire en fonction des morphologies des cellules, de leurs propriétés et de leur comportement. L'enjeu est la prédiction de l'évolution d'une tumeur et l'optimisation du traitement. C'est de l'oncologie de précision.

 

Quels types de collaborations scientifiques avez-vous avec la France ?

- Nous avons des collaborations très fortes avec la France. Avec Vincent Studer, Jean-Baptiste Sibarita et Remi Galland, de l'Institut interdisciplinaire de Neurosciences de Bordeaux, nous faisons de l'impression 3D de protéines. Avec l'ESPCI, nous travaillons sur la création des microenvironnements. Avec Jacques Prost, de l'Institut Curie, nous collaborons pour la formulation théorique d'expériences que nous lançons ici.

Ce qui est curieux c'est que ce sont des personnes que je connais très bien depuis plusieurs années, mais avec lesquelles les vraies collaborations ont commencé depuis que je suis à Singapour. Je pense que c'est lié à l'approche scientifique assez inédite de notre laboratoire, et à la complémentarité des moyens et des installations disponibles ici et en France. Cette complémentarité permet d'avoir accès à des choses différentes et ouvre une gamme de possibles, une diversité. De plus, comme les gens viennent de loin, ils restent sur de longues périodes qui permettent de prendre le temps de discuter, d'échanger, et de réellement travailler ensemble. 

Propos recueillis par Cécile Brosolo (www.lepetitjournal.com/singapour), Jeudi 02 février 2017.

 
 

[i] Une Unité mixte internationale (UMI) est un laboratoire créé en partenariat entre des équipes de recherche françaises et étrangères et qui regroupe des chercheurs, des étudiants et des post-docs de chaque institution partenaire. C'est le niveau ultime de la collaboration scientifique internationale. Le directeur de l'UMI est nommé conjointement par le CNRS et l'(les) institution(s) partenaire(s).

[ii] Le Mechanobiology Institute of Singapour est un des cinq centres d'excellence (Research Centers of Excellence). Les Research Centers of Excellence (RCEs) ont été créés et sont cofinancés par la National Research Foundation (NRF) et le Ministry of Education (MOE). Ils sont au nombre de cinq, et leur mise en place a été extrêmement sélective. Ces structures ont pour vocation d'attirer et retenir des chercheurs universitaires de renommée internationale afin de conduire des projets de recherche de très haut niveau et ayant un impact fort à Singapour et à l'international. En parallèle, un autre objectif vise à amener les étudiants Singapouriens à orienter leur carrière vers la recherche.

 

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