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SCIENCES HUMAINES – LE REGIONALISME DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

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Écrit par Cécile Brosolo
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 2 novembre 2016

Docteurs en sciences humaines et sociales, Meng-Hsuan CHOU et Pauline RAVINET étudient les relations internationales et les politiques publiques en matière d'Enseignement supérieur. Lauréates du programme de collaboration scientifique franco-singapourien MERLION, les deux jeunes chercheuses développent un projet sur le phénomène du Régionalisme dans l'Enseignement Supérieur.

A l'ère de la mondialisation, l'Enseignement Supérieur change et se développe rapidement depuis une vingtaine d'années, au point de devenir un marché mondial à part entière. Les Universités sont perçues comme le moteur de « l'économie de la connaissance », clefs de l'innovation et de la production des talents. Poussées par les classements internationaux des meilleures institutions mondiales, elles deviennent « globales » et rivalisent pour attirer des chercheurs de renom, des étudiants internationaux et des subventions.

Dans ce contexte, on observe que les Etats se rapprochent par régions (Europe, ASEAN par exemple), pour harmoniser leur politiques matière d'enseignement supérieur et favoriser la mobilité à travers les frontières, afin d'être plus compétitifs sur la scène internationale, tendance que Meng-Hsuan CHOU et Pauline RAVINET appellent Higher Education Regionalism (Régionalisme dans le domaine de l'Enseignement Supérieur).

Meng-Hsuan Chou est membre du programme d'élite Nanyang Assistant Professorship de la Nanyang Technology University (NTU) à Singapour. Pauline Ravinet est Maître de Conférences en France en science politique au CERAPS[1] -Université de Lille. Rencontre à Singapour avec Meng-Hsuan Chou.

 

Dr. Pauline RAVINET et Dr. Meng-Hsuan CHOU

 

Pouvez-vous nous décrire votre projet de recherches ?

Dr. Meng-Hsuan Chou - Dans le cadre de ce projet, nous étudions d'un point de vue humain et social, l'émergence et l'évolution de cette tendance de globalisation et de régionalisation de l'Enseignement Supérieur. Nous cherchons à décrire et expliquer les mécanismes politiques et sociaux en jeu, ce qui motive cette dynamique, particulièrement en Europe et en Asie, qui en sont les acteurs centraux et les conséquences sur les systèmes éducatifs nationaux.

Le fonctionnement européen est connu : programmes de mobilité étudiante ERASMUS depuis les années 1980, processus de Bologne depuis les années 2000, etc. Pour le cas de l'Asie du Sud-Est, tout un ensemble de développements régionaux sont en revanche beaucoup moins connus. Notre premier objectif est donc de réaliser une comparaison de ces deux dynamiques régionales.

Le second objectif de ce projet est de mettre en lumière le rôle central de professionnels dans ces dynamiques. On considère trop souvent que la connaissance et les personnes circulent librement dans le monde, dans un flux continu et sans heurt. Mais la réalité est tout autre. Pour permettre la mobilité internationale et les collaborations, il est nécessaire de mettre en place des politiques volontaristes et des cadres institutionnels. Le rôle essentiel, et pourtant invisible, des personnels administratifs et ressources humaines des Universités pour favoriser les mouvements des enseignants et chercheurs nous intéresse particulièrement dans cette étude. 

Quels sont les principaux résultats scientifiques et les perspectives de votre projet ?

- Nous avons défini une approche heuristique pour analyser un phénomène social important, qui se propage dans le monde entier, à savoir la multiplication des coopérations entre pays pour développer l'économie du savoir. Notre étude détaillée, en Europe et en Asie, constitue la première analyse systématique dans le domaine. Jusqu'à présent, aucune étude  n'avait permis d'effectuer des comparaisons régionales, ou alors elles ne comportaient pas d'étude empirique, de travail de terrain.

Pourquoi la collaboration entre Singapour et la France est-elle importante pour votre projet ?

- Cette collaboration est très importante car la France et Singapour sont deux grands partenaires, respectivement de l'Europe et de l'Asie du Sud-Est, pour l'enseignement supérieur et la recherche et innovation, et sont impliqués dans de nombreuses initiatives régionales et internationales. Ils sont tous deux conscients de la place centrale du savoir et des compétences dans la création de richesses, la compétitivité des nations et les performances en termes de croissance, de revenus et de création d'emplois. Ces deux pays constituent donc une base de comparaison idéale.

Quels sont les enjeux de vos recherches pour le grand public ?

- Le phénomène de globalisation de l'enseignement supérieur est un enjeu crucial pour le grand public, car il a un impact tout à fait concret sur les diplômes et sur les vies des gens. Les régions représentent un niveau pertinent pour appréhender ce phénomène : renforcent-elles la globalisation de l'enseignement supérieur ? ou au contraire, observe-t-on plutôt, qu'elles jouent un rôle de régulateur ou d'amortisseur de la globalisation? ?

Prenons l'exemple des classements internationaux des Universités. Le classement du « Times Higher Education » vient de sortir fin septembre, et je suis certaine qu'il a attiré l'attention de tous les présidents des Universités et des médias du monde entier. Ces classements reposent sur certains critères et ne sont pas absolus, mais il y a quelque part l'idée qu'ils sont représentatifs de la compétitivité des pays eux-mêmes. En conséquence, les Etats réagissent via leurs politiques publiques en matière d'éducation supérieure. Le grand public est en général très attentif à la performance de Universités nationales et aux réponses données par leur gouvernement pour assurer une qualité de l'enseignement supérieur et rester compétitifs.

Il est intéressant d'essayer de comprendre la place des régions face à ce développement des rankings. D'un côté, on peut dire que les classements accentuent et quantifient la compétition entre régions (combien d'universités européennes dans le top 100 ?), mais d'un autre côté, on observe aussi des initiatives régionales, comme U-Multirank en Europe, de produire des classements régionaux.

Quelle est votre vision du programme MERLION ?

- MERLION a été une aide formidable pour consolider cette coopération avec le Dr. Pauline Ravinet. Sans ce programme, nous n'aurions pas eu l'opportunité, ni le cadre, pour poursuivre notre collaboration, d'autant plus que nous sommes toutes deux de jeunes chercheuses, en début de carrière, et nous avons besoin de nous faire connaître et d'accroitre notre réseau. Le financement de la mobilité est fondamental, car il nous permet de tester des sujets et des partenariats, et d'explorer la faisabilité de projets de recherche. Il nous permet aussi de participer à des conférences et des publications internationales.

La plupart du temps, les financements accordés pour les projets de recherche par les agences nationales ne prévoient que très peu de moyens, voire aucuns, pour les déplacements à l'international. Or cela s'avère très couteux pour nos laboratoires. Le fait que la France soutienne la mobilité des chercheurs via les partenariats comme MERLION, et participe au développement de nouvelles collaborations, est précieux.

D'une façon générale, je pense que les Partenariats Hubert Curien (PHC) de coopération scientifique français ont une grande importance et sont réellement pertinents et efficaces. Nous nous sommes d'ailleurs rencontrées pour la première fois avec le Dr. Pauline Ravinet grâce au PHC Aurora, équivalent du programme Merlion entre la France et la Norvège. Notre collaboration avait alors débouché sur de nombreuses communications dans des conférences internationales, et des publications. 

Quels sont vos futurs projets ? Allez-vous poursuivre cette collaboration ?

- Nous poursuivons notre collaboration avec le Dr. Pauline Ravinet dans le cadre de mes recherches, financées par le Ministère de l'Education de Singapour (MOE). Je souhaiterais également renforcer notre collaboration par des cotutelles de thèses, en accueillant des doctorants en France ou à Singapour.

Nous avons des projets de publications communes, en particulier en vue de la onzième general conference ECPR (European Consortium for Political Research) à Oslo en 2017. Aussi, nous organiserons à NTU en 2017 une Université d'été sur le thème des politiques transnationales en matière d'Enseignement Supérieur. 

Propos recueillis par Cécile Brosolo (www.lepetitjournal.com/singapour) Jeudi 03 novembre 2016.

 


[1] Le CERAPS - Centre d'Etudes et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales ? est une Unité Mixte de Recherche du CNRS et de l'Université de Lille 2. C'est un laboratoire de la Maison Européenne des Sciences de l'Homme et de la société  (MESHS).

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Pour en savoir plus sur ce sujet : deux articles de blog sur des publications récentes de Meng-Hsuan Chou et Pauline Ravinet :

Researching the rise of ?higher education regionalisms' around the world: Suggestions for those in the field by Meng-Hsuan Chou and Pauline Ravinet

What is higher education regionalism? And how should we study it?

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Le PHC MERLION est le programme de coopération scientifique franco-singapourien. Piloté par le service scientifique de l'Ambassade, il initie et favorise les échanges entre laboratoires de recherche des deux pays en finançant la mobilité des chercheurs. Depuis sa création en 2006, près de 180 projets ont été soutenus.

Pour célébrer ses 10 ans, votre édition s'associe avec l'Institut Français Singapour et vous propose 10 portraits de chercheurs.

Voir nos articles :

COOPERATION SCIENTIFIQUE - Le programme MERLION fête ses 10 ans !

COOPERATION SCIENTIFIQUE ? Entretien avec Christian MINIATURA, directeur de recherches au CNRS

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COOPERATION SCIENTIFIQUE ? Bio-informatique et recherche sur le cancer : entretien avec le Dr. Touati BENOUKRAF

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