Avec la Suisse et le Rwanda, Singapour est l'un des trois pays au monde à avoir 4 langues officielles. Les quatre langues coexistent notamment dans le système scolaire : il s'agit de l'anglais, du chinois mandarin, du malais et du tamoul. Mais seules deux sont obligatoires pour les écoliers, à savoir l'anglais et la “langue maternelle”, déterminée par le pays d'origine, par exemple, le tamoul pour les Indiens. Ces langues ont été choisies pour des raisons historiques et politiques lors de l'indépendance de Singapour en 1965. Aujourd'hui, Singapour est un pays de bilingues qui évolue doucement vers le monolinguisme.
La dynamique des langues à Singapour est complexe: d'un côté, aucune langue n'est majoritaire dans le pays et de l'autre, plusieurs ethnies peuvent parler la même langue ou alors une ethnie peut parler plusieurs langues. La langue la plus parlée, qui représente plus d'un tiers de la population totale, rassemble les locuteurs du min nan ou “chinois taïwanais”. Or, cette langue chinoise ne jouit d'aucun statut officiel à Singapour. En effet, c'est le chinois mandarin qui est la langue officielle, même s'il est deuxième en nombre de locuteurs (un quart de la population). Le malais (langue officielle) et le cantonais sont parlés respectivement par 7,6 % de la population. Les Indiens sont en principe le troisième groupe ethnique majeur, mais celui-ci est hétérogène puisqu'on y trouve des Tamouls, des Bengalis, des Panjabis, des Hindis etc Parmi les autres langues numériquement importantes, il faut citer le filipino (2,6%), l'indonésien (2%), le tamoul (langue officielle, 2%), le javanais (1,5%), le bengali (1,3%). En 2015, l’anglais devient la première langue la plus parlée devant le mandarin.
L’anglais superstar
Depuis 1987, la langue officielle dans les écoles est l'anglais. Au niveau primaire, les élèves suivent un cursus en 6 ans qui vise à leur fournir une bonne maîtrise de l’anglais, de leur langue maternelle et des mathématiques. En fonction de leur niveau, les élèves peuvent commencer les sciences dès la 3ème année. Les élèves les plus à l'aise dans leur langue maternelle peuvent également choisir de l'approfondir. A l’issue du cycle primaire, à 12 ans, les élèves passent un test, le Primary School Leaving Examination (PSLE), qui va déterminer leurs capacités à suivre des études secondaires et à orienter leurs poursuites d’études. L'anglais demeure la principale langue d'enseignement dans toutes les écoles, tandis que la “langue maternelle” est réservée aux cours de langue maternelle et d'éducation morale.
Ce système d'enseignement bilingue est propre à Singapour et se distingue des modèles pédagogiques bilingues typiques dans lesquels le contenu scolaire est enseigné dans les deux langues cibles. En effet, la politique du bilinguisme a institué comme règle de base que l'apprentissage de la langue maternelle dans les écoles primaires et secondaires n'est pas nécessaire à la transmission des connaissances. C'est avant tout un « legs culturel » pour préserver les identités et les valeurs culturelles asiatiques.
Selon le ministère de l'Éducation, la maîtrise de l'anglais est vitale pour les élèves singapouriens, cette langue étant reconnue comme la langue de l'administration, de l'éducation, du commerce, des sciences, de la technologie et de la communication internationale. Les compétences en anglais sont évaluées au moyen d'examens écrits qui comprennent l'écriture, la compréhension et la rédaction de textes, tandis que pour les examens oraux les élèves sont invités à lire à haute voix des passages et à décrire des images ou des illustrations. L'anglais est cependant dans les faits une langue seconde pour la majorité des enfants, mais enseigné comme langue première, alors que la langue maternelle ou première est enseignée comme langue seconde. Comme l'accent est mis sur l'anglais, les élèves qui réussissent à maîtriser leur langue maternelle à un niveau performant à la fin de leurs études primaires peuvent être dispensés des cours de langue maternelle au secondaire. Dans certaines situations, les élèves singapouriens sont autorisés à choisir un «programme simplifié» en langue maternelle, voire obtenir une exemption complète des cours de langue maternelle. Cela vaut pour les cas de difficultés d'apprentissage, comme la dyslexie ou d'élèves nés à l'étranger qui n'ont aucun contact avec les langues maternelles enseignées à Singapour. Un élève peut alors choisir d'étudier une langue non officielle telle que le français, l'allemand ou le japonais « comme langue maternelle ».
« Speak Mandarin »
Depuis 1979, le gouvernement a fait la promotion du mandarin par ses campagnes "Speak Mandarin" (« Parlez mandarin »). Le premier ministre de l'époque, Lee Kuan Yew, avait déclaré que le mandarin avait été choisi pour unifier la communauté chinoise par une seule langue. Avec la montée du nombre des locuteurs du mandarin à Singapour, les politiciens croyaient que ce nombre pourrait même dépasser celui des usagers de l'anglais. Dans une entrevue accordée à des journalistes français en 1989, l'ancien premier ministre Lee Kuan Yew déclarait que, s'il avait eu la possibilité de revenir à 1965 (déclaration d'indépendance) ou à 1970, il aurait conservé l'école primaire chinoise et encouragé davantage les parents à envoyer leurs enfants à l'école de langue chinoise, quitte à augmenter les heures d'enseignement de l'anglais langue seconde. De plus, il aurait accordé une année supplémentaire (au niveau primaire ou secondaire) pour aider les élèves «moyens» à passer du chinois ou de la langue maternelle à l'anglais.
En résumé, Singapour semble avoir atteint les principaux objectifs fixés par les autorités en matière de politique linguistique et scolaire. Selon la vision idéologique de Lee Kuan Yew, il fallait adopter à la fois l'anglais pour le commerce et la langue maternelle pour préserver l'identité ethnique. Cependant, la progression de l'anglais aux dépens des autres langues a entraîné la perte d’une partie de la riche diversité linguistique de Singapour. Le pays a aussi choisi de passer d'une politique de multilinguisme à une politique de bilinguisme qui a entraîné des conséquences imprévues. |
Reprise de l'article paru dans le magazine Singapour n°14 (Nov 2019 – Avril 2020)
dont le dossier central était : « L’éducation à Singapour ».