Conseiller de coopération et d’action culturelle à l’Ambassade de France à Singapour, Anthony Chaumuzeau revient sur les clés du succès du système éducatif singapourien et sur les grands axes de la coopération universitaire entre la France et la cité Etat.
Quels sont selon vous les raisons à la base du succès de Singapour dans le domaine de l’éducation ?
Anthony Chaumuzeau : A la fin des années 1970, alors que Singapour était encore en phase de développement, le gouvernement a identifié trois grands défis pour le système éducatif singapourien : le faible taux de passage des élèves du primaire au secondaire, le faible niveau d’alphabétisation et la qualité médiocre et inégale des ressources pédagogiques.
Ces conclusions ont été résumées dans le Rapport Goh de 1979, du nom de l’ancien ministre de l’Éducation, le Dr Goh Keng Swee. Ce rapport recommandait de nombreuses réformes pour refaçonner le système éducatif de Singapour, avec notamment une restructuration des programmes scolaires pour les faire passer d’un modèle unique à une approche différenciée plus efficace permettant aux élèves de se développer selon leurs propres rythmes.
Aujourd’hui, Singapour a un système éducatif basé sur la sélection et l’excellence. Dès l’école primaire, les élèves doivent donner le meilleur d’eux-mêmes pour accéder aux meilleurs établissements secondaires et à terme aux universités.
Ce système montre son efficacité, comme en témoigne la première place de Singapour au classement PISA dans les domaines des mathématiques, des sciences et de la lecture. Mais il n’est pas exempt de critiques. C’est un système extrêmement stressant pour les enfants et leurs familles qui jouent leur orientation dès l’âge de 12 ans avec le Primary School Leaving Examination (PSLE), mais également un système qui favorise les familles les plus aisées avec un marché de cours particuliers qui deviennent dans les faits indispensables à la réussite des études.
Dans le cadre de l’Année de l’Innovation France-Singapour en 2018, nos ministères de l’Éducation ont organisé deux séminaires dans le domaine de l’enseignement des mathématiques afin de développer les échanges d’expertise entre nos deux pays. Les autres domaines d’intérêt commun sont notamment la formation des enseignants, l’enseignement précoce et la formation professionnelle. En témoignage de ces échanges de qualité, le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer, a invité son homologue singapourien Ong Ye Kung à participer à la réunion ministérielle sur l’éducation organisée en juillet 2019 dans le cadre de la présidence française du G7. Nous travaillons actuellement sur l’élaboration d’une feuille de route dans le domaine de l’éducation entre nos deux pays.
Quels sont les enjeux de la coopération universitaire entre la France et Singapour ?
Aujourd’hui, Singapour est devenu un véritable pôle d’attractivité pour les étudiants et les universités du monde entier suite aux initiatives lancées il y a une vingtaine d’années par le gouvernement de Singapour afin d’attirer vers la cité-État les futurs talents. La France s’est positionnée sur ce terrain et a développé de nombreux accords avec les universités singapouriennes.
En effet, il existe déjà plus d’une centaine d’accords d’échanges d’étudiants entre des établissements français et singapouriens. Prenons l’exemple du French Double Degree Programme entre la National University of Singapore et six prestigieuses écoles d’ingénieurs françaises (CentraleSupelec, Ecole des Ponts ParisTech, Ecole Polytechnique, Ensta Paris, Mines ParisTech et Telecom Paris). Ce programme existe depuis 20 ans et attire chaque année de nombreux étudiants singapouriens tentés par des programmes de formation d’ingénieur d’excellence. Son 20ème anniversaire est célébrée le 11 novembre à Singapour dans le cadre du Voilah! France Singapore Festival.
Par ailleurs, plusieurs établissements français ont choisi de s’implanter dans la Cité-Etat. L’INSEAD et l’ESSEC, deux prestigieuses écoles de commerce, disposent ainsi de leur propre campus à Singapour. D’autres établissements comme Strate Ecole de Design, l’EDHEC Business School, l’Institut Paul Bocuse ou Vatel développent également leurs formations sur place grâce à des partenaires locaux.
Quelle est la situation actuelle des échanges universitaires entre la France et Singapour ?
L’année passée, près de 500 étudiants sont partis de Singapour vers la France. Petite particularité locale, on comptait parmi eux pas moins de 34 nationalités différentes, et les étudiants de nationalité singapourienne ne représentaient que la moitié de ce contingent, ce qui est révélateur de la diversité des étudiants présents à Singapour.
La moitié des étudiants en partance pour la France choisissent de s’orienter vers des formations en commerce et management, et un tiers est parti pour une formation universitaire, dans des domaines aussi variés que l’informatique, les sciences politiques, le droit ou des études littéraires.
Le développement des offres de formation en anglais dans les universités et écoles françaises est un véritable accélérateur de la mobilité étudiante en provenance de Singapour, et de nombreux établissements prestigieux en bénéficient, comme par exemple Sciences Po, qui a ouvert il y a quelques années des programmes de bachelor entièrement en anglais qui attirent de nombreux étudiants singapouriens de niveau licence.
Quels sont les avantages et inconvénients du système français pour les Singapouriens ?
Les avantages du système français pour les étudiants singapouriens sont divers. D’abord, c’est l’excellence des formations qui attire les étudiants. La plupart d’entre eux partent en effet dans des écoles de commerce, à Sciences Po ou dans les grandes écoles d’ingénieur. Les études en France représentent souvent pour eux leur première expérience longue dans un pays européen et l’occasion de découvrir l’Europe grâce au positionnement géographique idéal de la France. Enfin, le coût des études reste nettement moins élevé que dans les universités anglo-saxonnes, ce qui est un point non négligeable pour l’attractivité de nos formations.
Quel est le bilan de la plateforme France Alumni ?
Créée il y a cinq ans par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et gérée par Campus France, la plateforme France Alumni a été lancée à Singapour en 2016 et comprend aujourd’hui près de 800 anciens étudiants inscrits. Les alumnis de l’enseignement supérieur français à Singapour ont des parcours très divers, dans des domaines aussi variés que le management, l’informatique, la cuisine. En 2020, l’Ambassade de France a pour projet d’organiser plusieurs événements de nature professionnelle afin de consolider ce réseau en lien avec les nombreuses associations d’alumni d’universités et d’écoles françaises actives à Singapour (écoles de commerce, Ecole Polytechnique, INALCO, etc.).
L’Ambassade de France à Singapour a lancé, en mars 2019, le programme « France Excellence ». De quoi s’agit-il ?
Le programme « France Excellence » vise à proposer aux étudiants inscrits à Singapour des stages dans des entreprises françaises, afin de leur démontrer qu’effectuer un séjour en France ouvre vers des carrières très intéressantes. Ce programme a rencontré un grand succès auprès des entreprises françaises et des universités singapouriennes car il correspond parfaitement au souhait d’internationaliser les futures élites locales.
Reprise de l'article paru dans le magazine Singapour n°14 (Nov 2019 – Avril 2020)
dont le dossier central était : « L’éducation à Singapour ».