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Que diriez-vous d’une pause “temple” ?

temple chinoistemple chinois
Le temple Yueh Hai Ching aujourd’hui (copyright Roots.sg)
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 14 février 2023, mis à jour le 14 février 2023

Perdu au milieu des gratte-ciels du centre financier, le temple Yueh Hai Ching est le plus vieux temple Teochew de Singapour. Ce petit bijou d’architecture a été restauré il y a une dizaine d’années sous la houlette d’un conservateur particulièrement attentif à sauvegarder l’authenticité du site. Sur une surface limitée, il offre un vaste panorama de l’artisanat et de la mythologie chinoise. Donc, si vous travaillez autour de Raffles Place et que vous voulez vous changer les idées, rendez-vous au 30 B Phillip street.

Un site de culte datant de deux siècles

La structure du site telle qu’on la voit aujourd’hui date de la fin du 19ème siècle (entre 1895 et 1900). Mais l’étude des documents cadastraux historiques montre que le temple existait, sous une forme sans doute plus simple, depuis au moins 1826. Il aurait succédé à un petit autel couvert d’un toit de feuille de palmiers érigé au même endroit dès 1820, soit un an après le débarquement de Raffles. Celui-ci avait instauré un système permettant aux chinois d’être transportés gratuitement à Singapour et d’y être nourris en échange de leur travail. Inutile de dire que la communauté chinoise, dont la vie dans leur pays était rude, a explosé en quelques années : entre 1819 et 1821, le nombre de chinois était déjà passé de 30 à 1200 !

Durant le 20ème siècle, le temple a été rafraîchi plusieurs fois, mais de manière superficielle et en altérant parfois ses traits d’origine. Le temple a été classé monument historique en 1996. Au début des années 2000, des problèmes structurels sérieux affectant sa pérennité furent mis en évidence. Une rénovation en profondeur a eu lieu de 2010 à 2014 avec le souci de retrouver l’authenticité de la construction du 19ème siècle, en faisant appel à des artisans chinois maintenant les techniques de l’époque. Cela a valu au temple une récompense de l’UNESCO Asia-Pacific. Cette rénovation ainsi que les études qui y ont concouru, sont détaillées dans le livre « Divine custody » écrit par Yeo Kang Shua, le conservateur qui a dirigé ces travaux.

 

ancien temple
Le temple dans l’ancien Singapour (copyright National Museum of Singapore)

 

La localisation de ce lieu de culte ne doit rien au hasard. N’oublions pas que l’actuelle Philip street était à l’origine la ligne de côte. La première chose que faisait les immigrants chinois débarquant à Singapour était de remercier les dieux de leur avoir permis d’arriver à bon port. Yueh Hai Ching n’est d’ailleurs pas le seul lieu de culte situé sur cette ligne de côte. A quelques centaines de mètres, sur Telok Ayer qui est dans l’alignement de Philip street, se trouvent deux autres temples qui ont commencé de la même façon : le modeste Fuk Tak Chi (au 76), qui est maintenant un musée, et le grandiose Thian Hock Keng (au 158), toujours en activité.

Cette multiplicité de temples à proximité les uns des autres vient de la diversité des communautés chinoises dont provenaient les immigrants. Chaque communauté avait son langage, sa culture, ses rituels, et ses dieux préférés. De plus, les nouveaux immigrants arrivant en terrain inconnu étaient rassurés de retrouver des personnes de leur communauté. Ainsi, Yueh Hai Ching était le temple des Teochew, originaires d’une province du sud de la Chine, Thian Hock Keng, celui des Hokkien, majoritaires, et Fuk Tak Chi, celui des Hakka.

Outre leur rôle religieux, les temples ont souvent servi de centres communautaires : centre administratif pour faciliter les démarches, centre d’aide social pour les nécessiteux, allant jusqu’à héberger les nouveaux arrivants en attente de logement, et lieu de spectacle, avec la production d’opéras édifiants lors des festivals. Yueh Hai Ching jouait donc tous ces rôles pour la communauté Teochew. D’ailleurs, il est aujourd’hui toujours administré par l’association Ngee Ann, association à but non lucratif, qui porte le nom du département de la province de Canton dont sont issus les Teochew, et qui a été créée en 1845 par un groupe de leaders de cette communauté, soucieux d’aider leurs compatriotes immigrant à Singapour.

Une structure classique des temples chinois.

Les Chinois de Singapour ont cherché à y répliquer la structure des temples de leur région d’origine. Cela commence par un mur de clôture qui isole le temple du reste du monde.

Passé le portail d’entrée, on pénètre dans la cour, assez vaste, avec des fourneaux destinés à bruler les offrandes destinées aux dieux et aux ancêtres, ainsi que les supports des bâtons d’encens. On découvre alors en fait deux temples quasiment identiques côte à côte. Celui de gauche, un peu plus large, est dédié à Mazu, la déesse de la mer, aussi appelée Tian Hou, impératrice du ciel, à qui était déjà dédié le premier autel à l’origine du site. Celui de droite est dédié à Shang Di, le père céleste, le dieu suprême dans la mythologie chinoise. Ce sont les deux plus importantes divinités pour les Teochew.

 

plan temple
Vue générale du temple (copyright Southeast Asian Ceramic Society)

 

 

Ce temple a toutes les caractéristiques des temples chinois. La structure est en bois, avec un toit en tuiles dont les bords sont légèrement recourbés vers le haut. Mais la courbure touche aussi le faîte des toits, et ceci est caractéristique des temples Teochew, comme la couleur grise des tuiles.

 Il a une orientation grossièrement Nord-Sud, l’entrée étant vers le Sud, tant pour suivre les principes de géomancie que pour éviter que la lumière et la chaleur ne pénètrent trop à l‘intérieur du temple. Chacun des temples a une structure interne identique, avec une succession de trois espaces délimités par des partitions. Le dernier, la salle de prière, est le plus sombre, pour faciliter le recueillement.

Il n’y a pas de fenêtres. Outre les portes, les seules ouvertures sont des puits d’aération qui se trouvent de chaque côté du deuxième espace de chaque temple. Ces puits d’aération ont aussi pour fonction d’évacuer les fumées d’encens particulièrement abondantes lors des festivals. C’est pour pour protéger les décorations intérieures, que le brulage des offrandes a été aujourd’hui déplacé dans la cour. Au-dessous de ces puits se trouvent des bassins permettant de recueillir l’eau de pluie. Les plus curieux observeront que l’un de ces bassins contient une tortue sacrée.

Derrière les deux temples, il y a un autre bâtiment, de deux étages, qui n’est pas accessible au public et qui abrite des locaux administratifs liés à la gestion du temple.

Une décoration reflétant la culture Teochew

Ce qui frappe quand on rentre dans la cour, c’est la profusion de décorations aux couleurs vives qui ornent les toits. Ces sculptures en céramique figurent des légendes populaires chinoises, sous forme de scènes d’opéra Teochew. Outre les personnages, on y trouve des animaux mythiques (dragons notamment) et des éléments de décor comme des rochers, de la végétation, et des pagodes. Même le dessous des toits n’échappe pas à cette abondance de sculptures. Si vous vous retournez, vous verrez que le toit du portail d’entrée est tout aussi peuplé.

 

toit temple
Les décorations du toit (copyright Ngee Ann Kongsi)

 

A l’intérieur des temples l’abondance des décorations est encore plus impressionnante. Sur les battants des portes d’entrée (il faut se retourner pour les voir), on trouve des personnages menaçants : ce sont les dieux des portes, peints de couleurs vives, destinés à empêcher les mauvais esprits d’entrer. La couleur rouge et brune des poutres et des piliers en bois donne une atmosphère chaleureuse et intime, qui contraste avec la blancheur des murs.

 

interieur temple
Aperçu de la décoration intérieure (copyright Zaobao)

 

Quand on lève les yeux, on est émerveillé par la luxuriance de la charpente qui fourmille de décoration en tout genre, avec beaucoup de dorures. Chaque poutre, chaque pilier, chaque équerre de charpente, chaque mur est décoré d’une manière ou d’une autre.

On y retrouve les scènes des opéras Teochew, soit sous forme de sculptures, soit sous forme de gravures, sur certaines poutres, comme sur les murs qui entourent les bassins. Il y a aussi beaucoup d’inscriptions en chinois : textes relatifs à la philosophie taoïste, dénominations de divinités, ou formules poétiques. L’inscription la plus remarquable est un don de Guangxu, l’avant-dernier empereur de Chine, à ce temple juste après sa reconstruction à la fin du 19ème siècle. Elle se trouve au plafond du deuxième espace du temple de Tian Hou (celui de gauche) et se distingue par son fond doré et son encadrement travaillé. Yueh Hai Ching est le premier temple et l’un des deux seuls à Singapour à avoir reçu cet honneur. Les quatre caractères qui figurent sur la plaque signifient : « Lumière des mers et nuages de bon augure ». Comme tous les écrits de cette époque, ils sont écrits en caractères traditionnels et se lisent de droite à gauche. La colonne de petits caractères à droite de la plaque rappelle les circonstances de cette donation.

 

plaque temple
La plaque de l’empereur Guangxu

 

Comme c’est un temple taoïste, on y trouve des représentations du maitre, Lao Tseu, sur le mur de gauche de la première salle du temple de Tian Hou, et à la droite de l’autel de la salle de prière du temple de Shang Di. Il est reconnaissable à son front proéminent, symbole d’une grande sagesse.

 

portrait lao tseu
Lao Tseu

 

De part et d’autre du deuxième espace des deux temples, on trouve deux animaux symboliques : à gauche, le tigre, symbole de l’Ouest, a droite, le dragon, symbole de l’Est. De part et d’autre des portes qui mènent aux salles de prière, on voit des phénix, symboles de la beauté féminine. En vous retournant dans les deuxièmes espaces, vous verrez que les battants de portes sont décorés avec des personnages dorés somptueusement habillés, féminins, pour le temple de Tian Hou, et masculins, pour le temple de Shang Di.

De part et d’autre des deux salles de prière, sont alignés des objets portés lors des processions. On y voit aussi une grosse cloche en bronze et un tambour pour les cérémonies. Des offrandes, principalement des oranges, sont déposées sur les autels. On y trouve aussi une petite cloche destinée à attirer l’attention des dieux, lorsqu’on a fini sa prière. De nombreuses divinités sont représentées.

En fait, ce petit temple de 1440 m2 a la plus grande concentration d’éléments d’architecture traditionnelle chinoise qu’on puisse trouver dans un seul bâtiment à Singapour. Il y aurait bien d’autres choses à dire à son propos, mais espérons que cet article vous aura convaincu de l’intérêt d’une visite.

Le temple est accessible gratuitement tous les jours de 8h à 17h. C’est un temple en activité. Donc prière de respecter la sainteté du lieu. En particulier ne dérangez pas les personnes qui font leurs dévotions. Les photos sont permises sauf dans le troisième espace, le plus sacré, de chacun des deux temples.

Le temple est particulièrement animé dans la période du Nouvel an chinois, les anniversaires de ses deux divinités (Shang Di : 3ème et 4ème jour du 3ème lunaire, soit les 24 et 25 mars en 2023 ; Tian Hou : 23ème et 24ème jour du 3ème mois lunaire, soit les 13 et 14 avril en 2023), le festival des fantômes affamés (7ème mois lunaire), et le festival de mi-automne (10ème mois lunaire).

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