Vous avez certainement noté la diversité des noms de quartiers de Singapour, reflétant sa nature multiculturelle. Mais savez-vous que Holland Village n’a rien à voir avec les Pays-Bas, que Kampong Glam tire son nom d’un arbre et que Little India est une dénomination récente destinée à attirer les touristes ? En fait, connaitre l’origine des noms des quartiers, dont certains ont évolué avec le temps, amène à en savoir plus sur leur histoire et celle de Singapour.
Si dans certains endroits le concept de « quartier » est parfaitement défini (à Paris, par exemple, c’est une subdivision administrative de l’arrondissement, et il y a quatre quartiers par arrondissement), ce n’est pas le cas à Singapour. Vous avez les 28 « districts », qui sont liés à l‘ancien système de code postal, qui peuvent être regroupés en trois régions, et qui sont aujourd’hui utilisés par les agents immobiliers pour localiser les habitations. Vous avez les 64 « survey districts », qui servent pour le cadastre. Vous avez les 55 « planning areas » (cf. carte ci-dessus) de l’URA (« Urban Redevelopment Authority »), qui servent à la planification à long terme de l’occupation des sols du pays : elles sont regroupées en 5 régions et subdivisées en 323 « subzones ». Toutes ces partitions ne se recouvrent pas et vous n’y trouverez pas Holland Village. Pour avoir une liste des quartiers tels que nous les avons en tête, il faut mélanger tout cela, avec un œil sur les noms des stations de MRT et un autre sur les guides touristiques, sans avoir bien sûr la prétention d’être exhaustif.
Il n’est parfois pas évident de retrouver l’origine de ces noms, et cet article reflète les étymologies les plus communément acceptées. Le fait que les noms ont évolué avec le temps rajoute à la difficulté : par exemple, selon les époques, les cartes appellent l’actuel « Serangoon » « Rangung », « Rangon », « Rangong » (1830), « Sarangon » (1843), « Sarangoon » (1844), et « Sirangoon » (1845). Vous pouvez vous amuser à retrouver sur la carte ci-après les noms actuels des quartiers.
Des origines souvent antérieures à la colonisation britannique
La plupart des noms de quartiers proviennent de noms de lieux-dits existant avant l’arrivée des Anglais et sont d’origine malaise. Ils prenaient souvent le nom des rivières (« sungei ») sur lesquelles ils étaient situés, près de leurs embouchures : d’une part, la pêche était l'une des principales activités des habitants, d’autre part, les voies d’eau étaient le moyen le plus pratique de se déplacer dans la jungle qu’était alors Singapour. C’est par exemple le cas de Changi, Geylang, Kallang, Jurong, Serangoon, ou Tampines.
Certains noms de quartiers font directement référence à cette localisation : « Hougang » (« derrière la jetée » en Hokkien), « Sengkang » (« jetée prospère » en Hokkien), Lim Chu Kang, Yio Chu Kang, et Chao Chu Kang (en référence aux propriétaires chinois des terrains jouxtant des rivières), Tanjong Pagar (qui fait référence aux haies pour faire sécher les filets de pêche), « Pasir Ris » (« sable blanc » en malais), « Tuas » (méthode de pêche traditionnelle des malais utilisant des branches de cocotiers).
Puis, il y a les quartiers portant le nom de collines (« Bukit » en malais) : « Bukit Batok » (colline des coquilles de noix de coco), « Bukit Panjang » (colline longue), « Bukit Timah » (colline de l’étain, dont il n’existe en fait pas de trace de production à cet endroit). « Bukit Merah » est en fait la traduction malaise de l’anglais « Red Hill », à cause de la couleur du sol due à l’argile, d’où la présence de briquèteries dans les années 1930. Dans les noms liés à la géographie, citons aussi « Tanglin » (« grande colline de l’Est » en Teochew), « Toa Payoh » (« grand marécage » en Hokkien).
Ensuite, il y a les quartiers portant des noms d’arbre (Changi, Kampong Glam, Kranji, Sembawang, Tampines) ou d’animaux (le héron pour « Serangoon », la tortue pour « Katong », le requin pour « Jurong »).
Il y a aussi les quartiers portant des noms de communautés indigènes qui y séjournaient : Kallang, Seletar, Bugis.
Enfin, certains noms de quartiers rappellent leur usage passé : « Geylang » (fabrique, petite usine), « Punggol » (gaulage des arbres fruitiers), « Bedok » (grand tambour pour appeler à la prière, en relation avec la mosquée qui s’y trouvait), « Bishan » (translitération en Pinyin d’une expression cantonaise signifiant « pavillons sur le gazon » faisant en fait référence à un grand cimetière établi à cet endroit en 1870).
De l’héritage britannique à nos jours
Des gouverneurs et autres autorités coloniales britanniques ont laissé leurs traces dans le paysage en donnant leurs noms à des quartiers : « Clementi » (de Sir Cecil Clementi Smith, le gouverneur des Straits Settlements de 1887 à 1893), « MacPherson »( du lieutenant-colonel Ronald MacPherson), « Holland Village » (de Hugh Holland, dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’il est arrivé très tôt à Singapour). Mais les Anglais ne sont pas les seuls à avoir influencé la toponymie : « Yishun » tire son nom de Lim Nee Soon, propriétaire de grandes plantations d’ananas et de caoutchouc à cet endroit, et « Boon Lay » vient de Chew Boon Lay, un autre magnat du caoutchouc.
« Ang Mo Kio » est un héritage indirect de la présence britannique : en Hokkien, cela signifie « red hair man’s bridge », « Ang Mo » étant le terme générique, toujours usité, pour désigner les caucasiens. Ce nom fait référence au pont sur la rivière Kallang construit à cet endroit par Johnson Turnball Thomson, gouverneur des Straits Settlement de 1841 à 1853.
« Chinatown » est une invention de Raffles, qui dans son plan d’urbanisme de 1822, décida d’y localiser les immigrants d’origine chinoise. Le nom de ce quartier en chinois comme en malais est « l’eau des chars à bœufs », en référence au système de distribution de l’eau de l’époque.
« Queenstown », première ville nouvelle construite à Singapour dans les années 1950, fut nommé d’après la reine Elisabeth II, qui fut couronnée à cette période. « Novena » est le nom de l’église qui a été construite dans ce quartier après la seconde guerre mondiale. « Woodlands » tire son nom de l’aspect boisé de la côte de cette zone, vue de Malaisie. « Marine Parade » est un quartier construit dans les années 1970 sur des terrains gagnés sur la mer, d’où son nom. Quant à « Orchard », on a du mal à imaginer que c’était une succession de « vergers ».
Le nom de « Little India » a moins de 40 ans. C’est le résultat d’une volonté marketing de l’office du tourisme de Singapour pour y attirer les visiteurs. Auparavant, le quartier s’appelait Serangoon, et les Indiens étaient loin d’être les seuls à y résider.