Beaucoup de familles à Singapour en ont une. Elles partagent leur quotidien, s’occupent des enfants, font la cuisine et le ménage… discrètes, mais précieuses. Elles, ce sont les helpers, les maids, les Foreign domestic workers, qui, venant des Philippines, d’Indonésie, de Birmanie et d’ailleurs, sont venues chercher un peu de « rêve singapourien » pour construire leur avenir à elles, ou celui de leurs familles.
Elles s'appellent Shirley, Ida ou Lanna. Selon les statistiques officielles, elles sont environ 250 000 dans la cité-État, soit environ une pour cinq ménages. La majorité vient d'Indonésie ou des Philippines, mais elles peuvent venir des onze autres pays approuvés par le Ministry of Manpower (MOM), à savoir : la Malaisie, le Myanmar, la Thaïlande, le Bengladesh, le Cambodge, Hong Kong, l’Inde, Macao, la Corée du sud, le Sri Lanka et Taiwan. Outre leur nationalité, les critères pour prétendre à ce poste sont stricts. Tout d'abord, il s’agit exclusivement de femmes, âgées de 23 à 60 ans (50 au maximum si elles n'ont jamais travaillé à Singapour). Un minimum d'éducation est aussi demandé, elles doivent avoir été au moins 8 ans à l'école - voire plus selon le pays d'où elles viennent. En arrivant à Singapour, elles doivent immédiatement suivre une formation d'une journée. Au programme : une présentation du pays, les conditions de travail, quelques notions de sécurité, et comment elles peuvent gérer le relationnel. Et bien sûr, un test médical est aussi effectué pour s'assurer de leur bonne santé.
Coté employeurs, ceux-ci ont aussi des devoirs et sont soumis à des critères d'éligibilité, que ce soit en termes d'assurance pour couvrir la future employée, de conditions d'hébergement ou de travail. Une formation est aussi indispensable pour bien comprendre les rôles et les responsabilités qui leur incombent. Tout ceci afin de définir un cadre légal et bien établir les devoirs et les obligations de chacun. Le choix d'une helper se fait sur plusieurs critères. Certaines familles vont privilégier une helper d'une nationalité plutôt qu’une autre, pour leur culture, leur religion, leur habilité à parler telle langue, voire leurs compétences culinaires. Ce sont des travailleuses acharnées, en charge de faire tourner une maison toute entière : du ménage au repassage, en passant par la cuisine et les lessives. Parfois même, elles s’occupent des animaux domestiques, d’enfants en bas âge ou de personnes âgées, ou encore de laver les voitures…
De longues journées
Pour Shirley, Ida ou Lanna…, la journée commence tôt. 6h30 le réveil sonne. Après un brin de toilette, un peu de ménage dans leur chambre, elles s'attèlent à leurs tâches domestiques. La maison dort encore quand le petit déjeuner est sur la table, et une partie du ménage déjà entamé. Elles aident ensuite les enfants à se préparer pour aller à l’école. D’ailleurs les enfants s’attachent très souvent à celle qu’ils appellent « Auntie ». Ils le font d’autant plus s’ils sont jeunes et que c’est elle qui les accompagne à l’école. Le reste de la journée est consacré au ménage, au repassage, aux courses et à la préparation des repas. La journée passe vite, car l’école se termine tôt. Après 21h00, elles peuvent enfin se reposer. À ce moment-là, en général, elles en profitent pour faire une visioconférence avec leur famille. Petit moment de réconfort avant d’aller dormir.
Des congés, elles en ont peu. Deux semaines par an pour retourner chez elles. Et aussi un jour par semaine, le dimanche en général. Elles en profitent pour voir leurs amies, elles aussi helpers. Elles se retrouvent à Lucky Plaza, ou bien à l’église, ou pratiquent ensemble une activité : course à pied, danse ou yoga. Leur salaire peut sembler dérisoire, mais il représente deux fois, trois fois, voire davantage, que ce qu’elles gagnaient dans leur pays d’origine. Avec ce salaire, elles peuvent subvenir aux besoins de leur famille ou de leurs enfants. Elles épargnent le reste. La plupart ont des projets : acheter une maison à leur retour, monter leur affaire, devenir prof de yoga…
Les problèmes de maltraitance
Si Shirley, Ida ou Lanna ne sont pas concernées, elles connaissent d’autres helpers qui ont été ou sont victimes de maltraitance. Certains employeurs abusent de leur position dominante : conditions de vie déplorables, restrictions alimentaires, salaire non payé, absence de jours de congés, rétention du passeport … Tout cela a beau être illégal, et le MOM punir sévèrement les contrevenants à un an de prison et 10 000 dollars d’amende, voire à des peines plus lourdes en cas de violences, les phénomènes de maltraitance demeurent une réalité.
L’autre réalité, c’est l’infantilisation dans laquelle sont maintenues beaucoup de helpers sous couvert de les surveiller. Une étude faite par les ONG HOME et TWC2, montre ainsi qu’environ une helper sur cinq vivrait dans un logement où plusieurs caméras seraient installées uniquement dans le but de les surveiller. Pour les mêmes raisons, certains employeurs obligent les helpers à rester à la maison pendant leur journée de repos, ayant peur qu’elles ne se comportent de manière inappropriée, fassent des bêtises ou de mauvaises rencontres si elles venaient à sortir. Une approche que les employeurs justifient par le fait qu’aux yeux de la loi, ils sont tenus pour responsables de leurs agissements.
Reprise de l'article paru dans le magazine Singapour n°13 (Mai-Sept 2019) dont le dossier central était consacré aux femmes.