Que l’on soit touriste ou expatrié en Asie, il n’y a pas besoin d’être un artiste ou de comprendre le chinois pour se sentir interpellé par la calligraphie chinoise. Est-ce le mystère des caractères eux mêmes, l’énergie qui se dégage de la rondeur des traits, ou encore l’harmonie de l’ensemble … ?
Attirée surtout par la fluidité des caractères et leur esthétisme, je me suis inscrite à 30 heures de cours de calligraphie, sans connaitre le chinois. Sous l’œil intrigué des professeurs de calligraphie, j’ai répété patiemment les gestes pour réaliser chaque type de trait, avant de construire mes premiers caractères, puis d’écrire mes premiers poèmes formés de quatre caractères. Au bout de vingt heures de cours, je devais avoir l’air suffisamment enthousiaste pour que le "maitre" de cette petite école de calligraphie (qui a fermé malheureusement depuis) me propose de participer à son projet : avec mille étudiants (à Singapour et surtout en Chine), il avait pour objectif d’écrire un million de caractères en six à sept mois ... Voilà comment je me suis retrouvée à passer plus d’une centaine d’heures, courbée sur ma table en bois, pour calligraphier, sur un rouleau de papier de cent mètres, un conte chinois composé de mille mots. Cette expérience m’a fait réaliser la puissance de cet art, qui est parfois considéré comme supérieur à la peinture.
Techniquement parlant, l’écriture chinoise a beaucoup évolué à travers les différentes dynasties. Standardisée pendant la dynastie Qin pour mieux contrôler la population d’un large empire, la calligraphie est devenue bien plus qu’un moyen de communiquer pendant la dynastie Han. A la fois forme d’art et moyen de perpétuer les traditions, ses règles étaient imposées pas la cour impériale. Pour certains artistes, la calligraphie est aussi devenue un moyen de se révolter en se démarquant par le style (écriture cursive). Il existe ainsi 5 styles encore utilisés aujourd’hui et qui peuvent coexister :
- le style "sigillaire", proche du dessin, qui a été gravé sur les écailles de tortues et les os de buffles,
- le style "scrib" ou "chancelier" qui a permis de simplifier les coups de pinceaux,
- le style "régulier" (Kai shu) facile à apprendre et à lire
- le style "courant", plus rapide et moins strict
- le style "cursif", plus difficile à déchiffrer car les caractères peuvent être connectés et sont simplifiés
Au fil des lignes de calligraphie, j’ai repéré les clefs des caractères chinois, et découvert leur poésie. Alors que la frustration naissait face à mon incapacité à lire le chinois, ma fille m’a rapporté "le grand imagier chinois" de Catherine Louis. Vous y apprenez par exemple que "se reposer" s’écrit "homme + arbre" (homme adossé à un arbre) et qu’espionner s’écrit "arbre + œil" (l’arbre avec un œil). L’écriture chinoise capte ainsi le rapport secret entre les choses et établit une relation entre l’univers et l’homme avec ses signes. Malgré ma lenteur, je revenais toujours avec plaisir me pencher sur mon rouleau.
La calligraphie qui signifie littéralement "jolie écriture" a longtemps eu plus de valeur que la peinture et la sculpture aux yeux des Chinois. Le matériel propre à la calligraphie explique en partie ce statut spécial : le pinceau souple et à pointe fine rend possible le caractère expressif de la calligraphie, la pierre à encre composée de résine de pin brulée permet de contrôler l’épaisseur de l’encre et la densité du pigment, et enfin le papier- inventé par les chinois à partir de fibre de bambou, de chanvre ou de murier- boit l’encre ou résiste au pinceau pour le laisser glisser.
La calligraphie peut être vue comme une belle page d’écriture ou devenir un art de vivre. Pour les calligraphes Chinois, le papier est comme un espace vital, où l’homme donne libre cours à sa sensibilité. Par les variations d’épaisseurs du trait, ses courbes et ses mouvements, le pinceau témoigne de la personnalité et laisse s’exprimer les pulsions et les aspirations de l’artiste ... Les chinois croient en effet à une vision organique du monde par opposition à notre conception mécanique : entre le Yin et le Yang se trouve le vide médian qui permet la circulation du souffle vital. Calligraphier c’est donner vie à ce souffle vital pour établir un lien entre l’homme et l’univers. Comme le dit si bien Francois Cheng dans son livre Et le souffle devient signe : "la calligraphie est un sismographe de notre vérité intérieure […], lorsque le vrai et le beau ont consenti à laisser leurs fugaces et indélébiles empreintes". L’ordre des traits étant imposé et les retouches impossibles, le spectateur peut retracer pas à pas le cheminement de l’artiste, déchiffrer les pressions du pinceau, deviner les ajouts d’encre et ainsi entrer en communion avec le calligraphe. On retrouve ainsi les deux courants de pensées philosophiques chinois, le confucianisme pour la dimension sociale et le taoïsme pour l’approche naturelle.
Mon style est resté très scolaire ! Apprendre le chinois me semble indispensable pour gagner en vitesse et fluidité, et pour donner un peu de personnalité aux caractères. J’ai malgré tout terminé mes mille mots, fièrement, et je continue à pratiquer en intégrant la calligraphie dans mes tableaux et en peignant des caractères sur tissu.
Clin d'oeil de la rédaction :
La calligraphie est aujourd'hui au coeur de l'actualité sportive en France : l'affiche de Roland-Garros 2018 a été réalisée par la Française Fabienne Verdier ! (Voir le site officiel de Roland Garros)