Boon, 38 ans, est un acteur principal de la troupe Xing Xing Yong Hwa Teochew Opera, une des dernières troupes d’Opéra Chinois à Singapour. Passionné et opiniâtre, il vit au rythme de son art et des représentations malheureusement de plus en plus rares à Singapour. Récit d’une passion et d’un art traditionnel en voie de disparition à Singapour.
Lumières brillantes, musique, costumes raffinés et colorés, maquillage épais et coloré sont le quotidien de Boon, 38 ans, interprète principal de la troupe Xing Xing Yong Hwa, fondée et dirigée par Qui Yufeng.
L’opéra chinois, ou théâtre chinois, est un art traditionnel ancestral, qui conjugue musique, chant, théâtre, danse et acrobaties. Les histoires racontées, riches de symboles, puisent leurs origines dans les traditions et les légendes anciennes. « Les histoires parlent de guerriers, de l’empereur, de princesse et de concubines, de méchants et d’officiers loyaux. Elles parlent du passé, de l’histoire de la Chine aussi. Ce soir, je joue un général », explique Boon.
En ce milieu d’après-midi au temple Kew Huang Keng, Boon et les autres artistes de la troupe commencent déjà la longue préparation pour la représentation de ce soir ... de longues heures de préparation minutieuse pour un spectacle généralement de 3 heures.
Derrière la scène et son mince rideau, une estrade de fortune fait office de coulisses et de loges. Dans cet espace restreint, on se prépare ardemment sous les ventilateurs salutaires, dans une ambiance joyeuse mais sérieuse. Les acteurs se maquillent, essaient leurs costumes et en font les derniers ajustements. On accorde les instruments, on règle les lumières, et met au point les derniers détails pour la représentation.
Les maquillages, véritables peintures, et costumes colorés revêtent une grande importance, et ont des fonctions précises. La catégorisation des personnages se fait notamment à travers le maquillage, qui définit le caractère, le sexe, l’âge et le statut social. « Le maquillage est très simple pour les personnages masculins, mais très complexe pour les personnages féminins. Les coiffures sont également extrêmement importantes et d’une beauté incomparables. Pour la préparation, on utilise de vrais cheveux, que l’on amidonne pour leur donner cet aspect brillant et pouvoir les façonner et les placer avant d'orner la coiffure de bijoux colorés et délicats pour les rôles principaux ».
Devant la scène, une dizaine de chaises en plastique rouge. L’audience ne se presse pas devant le spectacle ... « Avant, il y avait 200 à 300 personnes par jour et maintenant jamais plus de 100 à 150. Parfois, on se produit devant aucun public. Personne ne nous regarde. C'est très triste. Certains d'entre nous pleurent parfois ... Tellement d’efforts et de passion, ... c'est très dur », confie Boon, « Nous jouons pour la passion de l'Art et pour les Dieux. Nous devons imaginer que les Dieux nous regardent, et faire un grand spectacle ! »
L'opéra chinois a pourtant eu son heure de gloire à Singapour. Pendant près d'un siècle, jusqu’aux années 1960 l’opéra de rue a captivé plus de spectateurs que toute autre forme de divertissement sur scène, les plus populaires étant le Teochew, le Cantonese, le Jingju (Pékin) et le Hokkien. Mais les années 1980 ont marqué son déclin à Singapour, avec le vieillissement de la population attachée à cet art traditionnel, l’imposition du mandarin à l’école par le gouvernement, et la disparition des dialectes.
Pour Boon, « Singapour est un pays multiracial et chacun avait un dialecte différent, le nôtre est le Teochew. Mais aujourd’hui plus personne ne le comprend. Il ne reste que 3 troupes Teochew aujourd’hui à Singapour, et une dizaine de troupes professionnelles en tout. La société de consommation et de divertissement a aussi entrainé la perte de la tradition et l’attrait pour cet art ». Il ajoute que les réglementations sur le bruit et la circulation dans les années 70 ont encore limité les activités de l’opéra chinois. Enfin, « ce n’est pas un art facile à apprendre, donc les jeunes ne veulent pas se tourner vers l’opéra chinois ».
Je ne sais pas combien de temps cet art peut encore durer à Singapour. Le jeune public ne vient plus voir cet art. C'est un art mourant.
Mais Boon est un passionné, et un acharné de travail. Rien ne l’empêchera de pratiquer son art. L’opéra chinois est sa passion, sa raison d’être. « J'ai un autre job, dans le stylisme. Je travaille jusqu’à 16h, et ensuite je me précipite à l'opéra. Je commence à 17h30 et je joue jusqu' à 22h30. Quand je joue, j'oublie tout. Je suis totalement impliqué, j’y mets tous mes efforts et toute mon âme et ça libère tout mon stress. Je le fais pour ma passion de l'art et non pour l'argent. C'est un art mourant, car on ne peut pas vivre de cet art et nourrir une famille à Singapour, mais je lutte pour le garder vivant ».
Aujourd’hui, les spectacles sont commandés par les temples. Les troupes reçoivent en moyenne entre 1 500 $ et 1 800 $ pour une représentation de 10 à 20 comédiens. « Certains essaient même de marchander le prix jusqu' à 1 200 $. Avant, c'était beaucoup plus ». Les comédiens gagnent donc une somme dérisoire - moins de 80 $ la nuit - puisque des centaines de dollars sont dépensées pour les musiciens, le transport, la main-d'œuvre pour les accessoires, l'installation et le démantèlement de la scène.
« J'ai découvert l’opéra vers 3 ou 4 ans, avec ma mère et ma tante. C’était incroyable ! J’ai été impressionné par les costumes et la façon dont les interprètes s'habillaient, se déplaçaient ... et puis, à l'époque, il y avait un large public et on accordait beaucoup d'attention aux interprètes. C'était comme un rêve pour moi. J’ai commencé à jouer à l’âge de 5 ans, des rôles de soldats : tu es là et tu ne fais rien ! Mais j’étais heureux. J’ai ensuite appris, et je ne me suis plus arrêté .... ».
Si l'Opéra chinois est en train de disparaître à Singapour, il est toujours très actif à l'étranger, en Chine, à Taiwan, à Hong Kong. Une plongée passionnante dans la culture traditionnelle chinoise, à découvrir absolument à Singapour avant qu'il ne soit trop tard !