Nous connaissons tous les parfums Dior, Paco Rabanne, Chanel, Yves Saint Laurent, Gucci, Hermès, Armani mais qui se cache derrière ces fragrances ? Qui a créé ces odeurs qui nous rappellent une grand-mère, un événement ou même un lieu. Les odeurs sont partout, agréables ou nauséabondes, elles nous accompagnent tout au long de notre vie, que ce soit dans notre assiette, sur un être bien-aimé ou dans les transports publics.
Lepetitjournal.com a rencontré Edouard Clère, Directeur des Ventes Parfumerie Fine chez Firmenich en Asie, afin d’en savoir plus sur la question.
L’histoire de Firmenich
Firmenich est une entreprise Suisse de création de fragrances et d’arômes fondée à Genève en 1895 par un chimiste suisse, Philippe Chuit. Dès le 1er janvier 1900, Fred Firmenich devient associé majoritaire de l'entreprise et prend en charge le développement commercial. Depuis, les générations se sont succédé à la tête de l’entreprise qui arbore ce nom depuis 1934. Patrick Firmenich fait partie de la 4e génération aux commandes de la société, avec aujourd’hui Gilbert Ghostine comme CEO.
« Firmenich is the world’s largest privately-owned fragrance & flavor company. »
C’est toujours une entreprise familiale et indépendante, quand bien même son chiffre d’affaires s’élève désormais à plus de 4 milliards de USD et que sa réputation est mondiale. Firmenich compte 8000 employés dans plus de 100 pays, et reste leader en Parfumerie Fine au niveau international.
Firmenich a créé de grands classiques de la parfumerie tels que Acqua Di Gio d’Armani, CK One de Calvin Klein, Flower by Kenzo, Light Blue de D&G, L'eau d'Issey d’Issey Miyake, et plus récemment Gucci Bloom ou encore Black Opium de YSL.
Une entreprise présente à Singapour depuis plus de 40 ans
L’Asie est une zone en pleine croissance avec une classe moyenne qui se développe, et un pouvoir d’achat en augmentation ; ici comme ailleurs, les gens aiment le parfum. Même si la majeure partie du business reste le « body and home care » (détergent, savon, shampoing …,) la parfumerie fine ou Fine Fragrance se développe bien.
« Ici en Asie, les marchés sont moins matures comparativement à la France, par exemple, qui a une culture parfum forte, ancrée dans son histoire. De plus en plus de personnes en Asie aiment les parfums et se parfument, le potentiel est donc là avec une démographie qui joue en notre faveur. »
Firmenich possède une usine à Singapour, à Tuas, où sont fabriqués les parfums. Il y a bientôt trois ans et en parallèle de ce site, un nouveau « Creation & Development Center » dédié à la Parfumerie a été inauguré à Science Park Drive. Toutes les catégories parfums y sont représentées : fine fragrance, body care (gel douche, shampoing, savons…), skin care (lotions, cosmétiques...), oral care (dentifrices…) mais aussi fabric care & home care (produits d’entretien, lessives, détergents…). L’entreprise compte 300 personnes réparties sur les deux sites.
« Sur le site de Science Park nous avons les parfumeurs, les évaluateurs, qui travaillent ensemble mais aussi les responsables commerciaux, le marketing, les fonctions support, le management ainsi que les laboratoires d’application et de création... »
L’usine de Singapour fabrique pour tous les pays d’Asie hors Chine et Indonésie, deux pays où Firmenich possède également des usines de production de parfums.
La création d’un parfum, un subtil mélange de molécules
Pour créer un parfum, les parfumeurs vont utiliser à la fois des ingrédients issus de matières naturelles mais également des matières dites de synthèse, créées par la chimie. Explications :
La nature produit de belles choses mais les matières naturelles coûtent chères et ont leurs limites, que ce soit quantitativement ou qualitativement ; en effet, les quantités sont restreintes avec une demande mondiale croissante, et les produits naturels peuvent contenir beaucoup d’allergènes et de toxicité. On peut donc par la synthèse produire ou reproduire des odeurs extrêmement qualitatives, sans risque pour la santé. Une huile essentielle naturelle pure peut être irritante quand elle est appliquée directement sur la peau, alors qu’une huile de synthèse sera potentiellement bien moins nocive pour la peau car les molécules odorantes ont été choisies et élaborées par la chimie.
« Parfois nous combinons la synthèse et la nature lorsque la nature ne nous offre que de toutes petites quantités d’huile essentielle comme c’est le cas de la Rose Centifolia de Grasse par exemple. Nous n’avons souvent pas assez de quantités de matières naturelles pour fabriquer certains parfums à l’échelle industrielle mondiale. »
Les maisons de création sont même capables de reproduire des odeurs que l’on trouve dans la nature via la synthèse grâce notamment à des technologies de type « Headspace », ou « NATUREPRINT® » chez Firmenich. C’est une technique développée dans les années 1970 qui permet de capter les odeurs naturelles avant de les reconstituer à l’identique. Certaines fleurs dégagent des odeurs délicieuses mais ne peuvent être obtenues sous forme d'huile essentielle extraite de la nature. Le muguet par exemple est une fleur dite muette.
Si on ne peut pas en extraire de l’huile essentielle, ainsi comment reproduire son odeur dans un parfum ? « L’odeur du muguet tout comme les odeurs de fruits tels que la pêche ou la pomme par exemple sont donc reconstituées par la synthèse. La violette est également une fleur dite muette, le chimiste va devoir s’attacher à reproduire ses molécules odorantes qui seront par la suite utilisées par le Parfumeur pour élaborer la fragrance. »
En résumé un parfum est un assemblage de matières premières naturelles et de synthèse, et c’est le rôle du Nez (du Parfumeur) que de réaliser une combinaison harmonieuse d’ingrédients destinée à provoquer une émotion chez le consommateur final.
Il y a plusieurs manières d’extraire des molécules odorantes des matières naturelles telles que les fleurs. Il y a notamment la distillation, l’extraction au gaz CO2 ou encore par solvant volatile. Avec une même matière première, en fonction des méthodes d’extraction dont les maisons de création ont chacune leur savoir-faire et expertise, seront extraites différentes notes et facettes olfactives.
Des ingrédients brevetés
Les matières premières de synthèse représentent la grande majorité des ingrédients utilisés aujourd’hui en parfumerie.
« Quand nous créons de nouvelles senteurs grâce à la chimie, nous sommes parfois les seuls à posséder ces molécules odorantes ce qui nous donne un avantage compétitif face à la concurrence. Imaginez un artiste peintre qui aurait en sa possession des couleurs que n’ont pas les autres. Nous créons donc chaque année de nouvelles odeurs et molécules que nous brevetons et gardons précieusement, ces ingrédients sont qualifiés de ”captifs”. »
Pour réaliser un bon parfum, il est important d’avoir un parfumeur talentueux, créatif et visionnaire, mais il faut évidemment qu’il ait accès aux meilleures matières premières sur le marché.
« Chez Firmenich, nous avons une des plus grandes palettes d’ingrédients de l’industrie, avec beaucoup de ”captifs” qui sont donc des odeurs que nous sommes les seuls à posséder. »
Firmenich s’attache par la force des choses à rester à la pointe de l’innovation en investissant tous les ans 10% de son chiffre d’affaires en R&D, soit environ 400 Millions de USD, ce qui permet notamment de créer de nouvelles molécules et technologies innovantes. Le centre de recherche principal se situe à Genève, le fief historique de cette entreprise familiale.
Pour les végans, bon à savoir : la parfumerie n’a plus le droit d’utiliser des matières animales. Tous les muscs utilisés aujourd’hui sont des muscs de synthèse, tels que les muscs blancs. Firmenich a notamment décroché le Prix Nobel de chimie en 1939 pour ses travaux portant sur le musc artificiel, une très grosse molécule aujourd'hui utilisée partout en parfumerie, de l'assouplissant au flacon chic de parfumerie fine, et qui donne de la tenue, du corps et de la longévité au parfum.
La composition et la fabrication du parfum en Parfumerie Fine
Un parfum est constitué d'une partie odorante concentrée, qui est un mélange d'huiles essentielles, de molécules naturelles ou synthétiques, souvent appelé « concentré de parfum ». Il est aussi constitué d'un support ou base (comme par exemple l'alcool pour une eau de toilette). Le « concentré de parfum » est fabriqué à partir d’un assemblage d’ingrédients, qui sont pesés automatiquement - pour la majore partie de la formule - par des robots, puis manuellement par les laborantins qui rajouteront les quelques matières premières manquantes dans la composition du Parfumeur.
Quand un parfum est créé, il faut s’assurer qu’il ne va pas changer avec le temps, que ce soit au niveau de sa couleur ou de son odeur. Il faut toujours s’assurer qu’il n’y aura pas de problèmes dits de stabilité. De nombreux tests sont ainsi effectués dans les laboratoires d’application du Centre de Création.
« Nous faisons beaucoup de tests de stabilité durant lesquels nous malmenons les fragrances pour s’assurer qu’en présence de températures élevées et dans le temps, le parfum ne bougera pas avec aucune modification, ni dans son apparence ni dans sa structure olfactive. »
L’objectif est bien d’éviter tout risque de coloration ou de décoloration du jus, et de maintenir la qualité du parfum dans le temps sans aucune altération de son odeur.
Il y a « parfumeur » et « évaluateur »
Le parfumeur et l’évaluateur ont souvent suivi une formation de chimiste ; les deux travaillent main dans la main au quotidien, le parfumeur est vraiment sur la composition de la formule du parfum en tant que créateur, et l’évaluateur est là pour orienter et guider le travail du Nez. Il y a une dimension très technique dans le travail du parfumeur avec la manipulation des molécules et des matières premières, mais il faut également des aptitudes à sentir toute la journée. Il est essentiel d’être extrêmement précis dans les dosages, les assemblages mais il faut également être très créatif pour donner naissance à une fragrance qui soit belle, et qui puisse toucher à l’émotionnel du particulier. C’est un mélange de scientifique et d’artistique.
« L’évaluateur est au parfumeur, ce que le sommelier est à l’œnologue. »
Les parfumeurs sont donc sur la construction du parfum avec les différents composants qui font partie de la formule, et chaque parfumeur a son style et sa propre sensibilité : formules courtes ou longues il n’y a pas de règle, un parfum peut compter jusqu’à plus de 150 ingrédients différents.
L’évaluateur(trice) - appelé(e) également Fragrance Development Manager - connaît tous les nouveaux parfums qui sont lancés sur le marché ou existants au niveau international ou local, il/elle sent toute la journée et va orienter le travail du parfumeur en fonction des tendances actuelles selon la zone géographique, ou la cible, car les goûts en matière de parfum ne sont pas les mêmes partout. Certaines régions et cultures aiment les notes florales, légères, fruitées, d’autres préfèrent les notes orientales, sucrées voire même fumées, boisées ou épicées.
Le cerveau, réservoir de souvenirs olfactifs
Sentir, c’est le métier des évaluateurs. L’odorat se travaille, comme un muscle, si on ne le fait pas on perd un peu de ses aptitudes à mémoriser les senteurs. A force de le faire, ils développent une sensibilité beaucoup plus forte qui s’affine au fil du temps.
« Chez Firmenich, il y a également une entité « Sensory » qui teste la performance des parfums, à différents moments de la journée, après application et dans des conditions réelles d’utilisation. Des panels internes et externes de personnes ont donc été constitués pour évaluer la puissance et la qualité des parfums dans la durée ; une partie de ces collaborateurs externes sont mal-voyants voire aveugles, leur donner un travail nous permet d’être en ligne avec nos valeurs de ‘Social Responsibility’. »
« C’est un peu comme pour les vins dans l’œnologie avec les arômes, le cerveau enregistre les milliers d’odeurs et permet à l’évaluateur de les mémoriser et d’en cerner les différentes notes. »
Si on fait un parallèle entre la vue et l’odorat, ce que l’on voit est traité et interprété par le cerveau alors que l’odorat impacte directement l’émotionnel sans analyse préalable. Une image vue 5 secondes va être retenue 5 heures, alors que lorsque l’on sent un parfum 5 secondes, le cerveau va s’en souvenir 5 ans. La mémoire olfactive est donc la plus puissante et l’odorat est même utilisé à des fins thérapeutiques dans les centres pour personnes âgées par exemple. Cela permet notamment de faire travailler le cognitif des personnes atteintes d’Alzheimer en stimulant leur mémoire et en sollicitant des souvenirs associés à des odeurs ; tout en leur procurant du bien-être, on freine la dégénérescence.
Des odeurs mais aussi des arômes pour vous régaler
En plus de la création et production de parfums, Firmenich fabrique également des arômes alimentaires. Là encore, l’aromaticien va s’attacher à assembler des molécules et ingrédients pour créer des saveurs que l’on retrouvera dans des plats, biscuits, sodas ou autres aliments, et l’industrie utilise à la fois des arômes naturels et des arômes de synthèse mais identiques à la nature.
Avec les enjeux liés à l’alimentation, avec de plus en plus de bouches à nourrir, les arômes de synthèse sont de plus en plus demandés par l’industrie agro-alimentaire. En plus d’aromatiser des yogourts ou des boissons, on peut reconstituer des arômes d’aliments carnés et y retrouver à la fois le goût mais également la texture, comme pour l’« impossible burger » qui connaît un grand succès actuellement.
Une collaboration respectueuse avec les fournisseurs
Pour la catégorie Parfums, on compte 2000 ingrédients différents dans la palette de matières premières chez Firmenich, une partie desquels sont des naturels.
« Les ingrédients naturels sont stratégiques car évidemment une belle matière, une belle huile essentielle d’une plante, d’une fleur ou d’une racine apporte énormément à un parfum. »
Il y a quelques années, Firmenich a créé un programme appelé « NaturalsTogether™ », il s’agit ici pour l’entreprise suisse d’aider et de protéger tous ces fournisseurs de matières premières pour sécuriser les approvisionnements des composants qui rentrent dans l’élaboration des parfums. Que ce soit pour la Vanille de Madagascar, le Vétiver de Haïti, le Oud du Laos ou encore le Patchouli d’Indonésie, ces produits sont rares et très précieux pour la composition d’une fragrance.
« Notre programme a pour but de soutenir ces fermiers en leur construisant notamment des écoles ou des hôpitaux, en leur garantissant des salaires minimums pour les encourager à continuer à cultiver ces produits au lieu de partir dans les villes pour y chercher du travail. Nous ne fonctionnons pas simplement en mode ‘Charity’ mais davantage en mode ‘Responsible Business’. L’approche est donc bien Win-Win et sustainable puisque les producteurs ont besoin de nous et que nous avons besoin d’eux, et les partenariats ont vocation à s’inscrire dans la durée. »
Les défis de cette industrie dans ces prochaines années
Le plus grand défi pour les maisons de création sera bien d’avoir accès à de très belles qualités de matières premières naturelles, et en quantité car les ressources sont limitées. La nature a cette beauté que l’on ne peut pas toujours reproduire par la chimie.
« Nous aurons également des enjeux au niveau de la communication car les consommateurs imaginent que « naturel » c’est bon et safe pour la santé, et que « synthétique » ne l’est pas. Ce qui est assez déconnecté de la réalité. L’objectif de Firmenich est de produire ces molécules de synthèse de la manière la plus sustainable possible avec une approche éco-responsable. L’entreprise vient à ce sujet de décrocher la distinction ‘Platinum’ de l’organisme EcoVadis, pour ces performances environnementales et sociales exceptionnelles. »
Tous les chefs d’œuvre de la parfumerie le sont d’ailleurs grâce aux molécules de synthèse qui les rendent uniques (Chanel 5 - Aldehydes, Thierry Mugler Angel - Ethymaltol, Dior Eau Sauvage - Hedione, Guerlain Shalimar - Ethylvaniline…)
L’industrie des parfums et des arômes va être contraint de créer de plus en plus de molécules inspirées de la nature mais de manière synthétique.
« Nous irons de plus en plus vers cette production car nous allons manquer de matières naturelles. »
Vous pouvez voir les vidéos qui donnent une réalité assez précise de ce qui se passe sur le terrain, dans les champs où sont cultivées ces belles matières premières en suivant ce lien.
La formation de parfumeur ou évaluateur en France se fait notamment à l’ISIPCA (Institut Supérieur International du Parfum, de la Cosmétique et de l'Aromatique alimentaire) ou encore à l’Ecole Supérieure du Parfum.
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