Édition internationale

Entre Washington et Pékin, Singapour reste maître de son destin

Coincée entre l’aigle américain et le dragon chinois, Singapour joue les funambules. Alors que rivalité sino-américaine rebat les cartes de l’ordre mondial, la cité-État mise sur une diplomatie agile pour défendre son autonomie.

Entre Washington et Pékin, Singapour reste maître de son destinEntre Washington et Pékin, Singapour reste maître de son destin
Écrit par Sherilyn Soekatma
Publié le 23 juin 2025, mis à jour le 26 juin 2025

 

Vue de l’extérieur, la position de Singapour face à la Chine et aux États-Unis pourrait ressembler à une forme d’équilibrisme risqué. Mais pour ses dirigeants, il s’agit d’une stratégie mûrement réfléchie : parler à tout le monde, ne dépendre de personne et rester indispensable à chacun. Ni alignée, ni naïve, Singapour s’en tient à une boussole claire : la défense de ses intérêts propres dans un cadre multilatéral fondé sur des règles.

 

La Chine et les États-Unis
Depuis la guerre commerciale de 2018, les relations entre les États-Unis d’Amérique et la Chine n’ont cessé de se tendre. Rivalités technologiques, tensions militaires, restrictions mutuelles : les deux superpuissances s’affrontent sur tous les fronts. 
En Asie du Sud-Est, cette rivalité prend une dimension particulière. De son côté, Washington tente de bloquer l’influence croissante de la Chine tout en renforçant ses alliances, tandis que Pékin étend son influence économique en multipliant les coups de force en mers de Chine orientale et méridionale. 
Pris entre ces deux géants, les États comme Singapour doivent redoubler d’agilité diplomatique.

 

Singapour et les États-Unis : une amitié stratégique

Historiquement, Singapour a toujours refusé de s’aligner totalement sur une grande puissance. Déjà, en 2021, le Premier ministre de l’époque Lee Hsien Loong, affirmait : « Singapour ne peut pas choisir entre les États-Unis et la Chine, étant donné les liens étroits que la République entretient avec les deux superpuissances ». Quatre ans plus tard, cette ligne d’équilibre est poursuivie avec détermination par son successeur Lawrence Wong.

 

Le vice-président Joe Biden et le secrétaire d'État américain John Kerry portent un toast à Son Excellence Lee Hsien Loong, Premier ministre de la République de Singapour, lors d'un déjeuner d'État en son honneur au Département d'État américain à Washington D.C., le 2 août 2016.
Le vice-président Joe Biden et le secrétaire d'État américain John Kerry portent un toast à Son Excellence Lee Hsien Loong, Premier ministre de la République de Singapour, lors d'un déjeuner d'État en son honneur au Département d'État américain à Washington D.C., le 2 août 2016.

 

Si Singapour et les États-Unis ne sont pas des alliés officiels, ils partagent tout de même un lien très fort. Pendant près de 60 ans, les deux pays ont travaillé en tant que partenaires proches pour défendre des intérêts mutuels. Un accord de défense signé en 1990 puis renouvelé en 2019 offre aux forces américaines un accès stratégique aux installations militaires de la cité-État. À l’image de l’économie singapourienne, la relation bilatérale repose sur l’ouverture, l’innovation et une coopération technologique étroite, notamment en cybersécurité, intelligence artificielle et économie verte. Et ces liens forts vont bien au-delà du militaire.

 

La relation entre Singapour et les États-Unis en quelques chiffres…
Plus de 30.000 citoyens américains vivent à Singapour
Près de 40.000 citoyens de Singapour vivent aux États-Unis
Près de 4.500 Singapouriens étudient aux États-Unis
Plus de 1.400 citoyens américains étudient à Singapour chaque année

 

Mais cette relation de proximité n’est pas sans tensions. Singapour voit d’un œil inquiet le virage protectionniste de Washington, notamment depuis le retour en force des droits de douane : « Nous sommes très déçus par la décision des États-Unis, surtout si l'on considère l'amitié profonde et de longue date entre nos deux pays. Ce ne sont pas des choses que l'on fait à un ami », a déclaré le Premier ministre Lawrence Wong, lors d’un discours ministériel sur les droits de douanes américains, le 8 avril 2025. Si Washington attend de ses partenaires régionaux un alignement automatique face à la Chine, la réponse singapourienne reste prudente et réfléchie.

 

Singapour redoute les conséquences économiques d’une guerre commerciale mondiale

 

Une relation « inébranlable » avec la Chine

Avec la Chine les liens sont tout aussi forts, mais de nature différente. La relation repose sur une proximité culturelle, historique et surtout économique. En 2025, Pékin demeure le premier partenaire commercial de Singapour avec des investissements croissants dans les domaines de la finance verte, des technologies numériques ou encore des infrastructures urbaines. Les liens sino-singapouriens en matière de défense sont quant à eux beaucoup plus complexes.

 

D’où viennent les Chinois de Singapour ?

 

La relation entre Singapour et la Chine en quelques chiffres…
En 2023, environ 74.3% de la population résidente de Singapour est d’origine chinoise
Le mandarin est l’une des quatres langues officielles de Singapour. La cité-État applique une politique de « Speak Mandarin Campaign » depuis 1979 pour promouvoir le mandarin.
En 2023, le commerce bilatéral entre la Chine et Singapour s'élevait à 108,39 milliards de dollars.

 

À l’occasion du 35e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays, le Premier ministre Lawrence Wong a souligné le 20 juin 2025 sur CCTV13 « un partenariat très étroit et inébranlable, construit sur la confiance, le respect et la compréhension mutuels ». De Lee Kuan New et Deng Xiaoping à leurs successeurs, la relation sino-singapourienne s’est institutionnalisée progressivement.

En 2025, la relation entre Singapour et la Chine s'approfondit sur le plan sécuritaire. Singapour est « disposée à renforcer la coordination et la coopération avec la Chine sur les plateformes régionales et multilatérales, afin de défendre conjointement le multilatéralisme et l'ordre international », a noté Lawrence Wong lors de sa visite à Beijing, mardi 24 juin 2025. Pékin est sur la même longueur d'ondes : « La Chine est disposée à travailler de concert avec Singapour pour se tenir du bon côté de l'histoire et défendre l'équité et la justice », a renchéri le président chinois, Xi Jinping. Les deux nations ambitionnent de renforcer leur coopération dans des secteurs comme l'économie numérique, l'intelligence artificielle et le développement vert, et souhaitent moderniser les grands chantiers en cours. Mais là aussi, pas d’aveuglement. Singapour reste lucide face aux revendications maritimes de la Chine en mer de Chine méridionale.

 

Lawrence Wong. Crédit : Bureau du Premier ministre Singapour
Crédit : Bureau du Premier ministre Singapour

 

Entre l’aigle et le dragon, une Singapour indépendante

Si Singapour entretient des liens étroits avec les deux puissances, elle tient tout autant à affirmer son autonomie. Face aux pressions croissantes d’un monde bipolaire, la cité-État rejette toute logique d’alignement automatique : « Là où nos intérêts s'alignent, nous travaillerons avec eux. Là où ils ne s’alignent pas, nous resterons fermes et protégerons la sécurité et la souveraineté de Singapour », rappelait Lawrence Wong après l’élection de son parti, en mai 2025.

Cette doctrine d’indépendance stratégique repose sur un principe fondamental : faire du petit point rouge un « partenaire stable et constructif », capable de « contribuer à la paix et à la stabilité » et de « soutenir un ordre mondial fondé sur des règles »

 

A Singapour, Emmanuel Macron prône une troisième voie pour un développement pacifique

 

En affirmant son indépendance, la cité-État pourrait trouver dans l’Union européenne un allié de poids. Emmanuel Macron l’a rappelé au Shangri-La Dialogue, appelant à « une coalition d’indépendance » entre l’Europe et l’Asie : une alliance de nations décidées à s'opposer « à la politique des deux poids, deux mesures », à « protéger leur souveraineté » et à défendre un monde fondé sur des règles. « Si nous faisons équipe, nous représentons un tiers de la croissance mondiale, voire plus en termes de commerce », a-t-il plaidé.

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