À Singapour, certains restaurants deviennent des institutions par constance, sincérité et travail. Bar-Roque Grill en fait partie. Sa signature : une cuisine européenne moderne, nourrie de charcuteries maison, de viandes maturées sur place, de spécialités alsaciennes, et surtout d’un esprit de table généreux. Derrière cette réussite, il y a un duo soudé Nicolas Schwarz, le directeur, et le chef Stéphane Istel, Alsacien enraciné en Asie depuis plus d’une décennie. Portrait.


Au coin d’une terrasse ouverte de Tanjong Pagar, un parfum de viande et le tintement de verres se mélangent à la chaleur humide de Singapour. C’est ici, au Bar-Roque Grill, que Stéphane Istel, un chef globe-trotteur d’origine alsacienne, a installé son savoir-faire depuis douze ans. Dans ce restaurant, rien n’a été écrit sans mouvement ni sans voyages, tout vient de quelque part. Assis derrière une table haute avec vue sur la rue, nous attendons le chef pour une rencontre.
L’Alsace au départ puis New York comme plongée dans l’inconnu
Lorsque nous lui demandons de se présenter, Stéphane commence simplement “je suis Alsacien et j’ai fait mes études en Alsace.” Un début plutôt simple, à la différence de son parcours. Car, à peine formé, Stéphane décide de partir pour Saint-Tropez et à Saint Marin dans les Caraïbes, où il enchaîne les saisons. À 21 ans, il revient en France pour tenter de grandes maisons. Ce passage par Marc Veyrat est un tournant, mais pas celui que l’on peut imaginer : “j’ai juste réalisé que le fine dining n’était pas pour moi… Les macarons, le Michelin, tout ça.”. Lui rêve plutôt de “cuisine familiale, comme dans une brasserie ou un bistrot”. Un jour, un ami d’enfance le pousse vers New York. Il tente un essai chez Daniel Boulud, “cela m’a plu. Je suis resté.”
Un jour, le téléphone sonne. C’est Daniel Boulud : “Je ne suis pas d'accord, tu reviens à New York !”. Alors Stéphane reprend le chemin de la cuisine et de son métier.
Mais six mois plus tard, sa vie bascule littéralement dans un escalier new-yorkais : “je suis tombé avec 40 litres de fond de poulet chaud sur la figure et sur la jambe.” Stéphane reste cinq mois à l’hôpital et subit des greffes et souffre énormément.
A sa sortie, il ne supporte plus la chaleur et n’ose plus approcher les casseroles. “j’avais peur de tout ce qui était chaud, j’avais perdu l’envie”. Il rentre en France et nous confie se replier sur lui-même. Un jour, le téléphone sonne. C’est Daniel Boulud : “Je ne suis pas d'accord, tu reviens à New York !”. Alors Stéphane reprend le chemin de la cuisine et de son métier.
Justement, à Tanjong Pagar, il y a une terrasse et deux salles qui lui font les yeux doux. “L’idée est de faire un restaurant comme à la maison.”
Vancouver, puis l’Asie…le continent où tout s’aligne
Après cinq ans aux États-Unis, Stéphane part ouvrir un bistrot à Vancouver en 2008. Mais l’ennui le gagne… On lui parle de Miami, puis de Singapour. Pourquoi pas ? Stéphane arrive en 2010 dans la Cité-Etat pour ouvrir DB Bistro au Marina Bay Sands. Et là, quelque chose s’installe. Il élabore sa cuisine et s'épanouit. Nous sommes en 2013 et Stéphane a alors 35 ans. Comme il a toujours prévu dans son plan de vie, il souhaite ouvrir son propre restaurant. Justement, à Tanjong Pagar, il y a une terrasse et deux salles qui lui font les yeux doux. “L’idée est de faire un restaurant comme à la maison.”, confie le chef entre deux coups de feu pendant l’interview. Au début, il installe une gigantesque rôtisserie. Puis, au fil des années, il écoute la clientèle : “doucement, le restaurant a tourné plus vers le steak”. Alors, la rôtisserie disparaît et le grill s’impose.
Au Bar-Roque Grill, les charcuteries maison deviennent une signature. La viande maturée sur place aussi. Les classiques alsaciens - tarte flambée, choucroute… - sont bien à la carte. Le menu change régulièrement, “suivant le produit, ce que j’ai envie de cuisiner” insiste Stéphane.
Depuis neuf ans, le partenariat avec le chef Stéphane repose sur un équilibre rare

A Stéphane, la créativité et le feu des fourneaux, à Nicolas, la vision et la gestion
En 2016, Nicolas Schwarz rejoint l’aventure de l’Alsacien. Entrepreneur et restaurateur accompli, Nicolas s’impose comme une figure de la scène culinaire locale. Avant de s’établir en Asie, Schwarz a lui aussi construit un parcours solide, dans l’hôtellerie de luxe, à Antibes, à Courchevel, à Cannes, à Monaco puis en Australie. Depuis neuf ans, le partenariat avec le chef Stéphane repose sur un équilibre rare : à Stéphane, la créativité et le feu des fourneaux. A Nicolas, la vision, la gestion et le lien avec les équipes. Ensemble, ils traversent les crises - notamment le Covid - en transformant les contraintes en opportunités. “Nous nous sommes jamais disputés… Nous avons toujours la même vision et la même idée” confie Stéphane
Nous devons rester un restaurant accessible, pas trop cher. Je ne veux pas couper sur la qualité. Nous changeons régulièrement notre carte
Qui vient s’attabler aujourd’hui s’interroge-t-on. Selon Stéphane, 30 à 40 % d’habitués reviennent chaque semaine. Le reste de la clientèle vient du quartier, des hôtels voisins mais aussi des réseaux sociaux et du bouche-à-oreille qui ne s’est jamais vraiment éteint. Mais le chef est réaliste : “Depuis 2023, le marché est plus difficile. Il y a trop de restaurants pour le nombre de clients à Singapour.” Et puis, les gens sortent un peu moins, dû à l’inflation, l’incertitude économique, le coût de la vie. Alors il ajuste son propos, sans renoncer : “nous devons rester un restaurant accessible, pas trop cher. Je ne veux pas couper sur la qualité. Nous changeons régulièrement notre carte et nous proposons des semaines spéciales.”
Avec Nicolas, le duo conjugue savoir-faire français, sens du détail et esprit d’entreprise. Confidences à la rédaction lepetitjournal.com Singapour, de nouveaux projets entrepreneuriaux en Asie trottent dans sa tête : “Il y a l’envie… mais rien encore sur le papier” confie Stéphane Istel avant de regagner la salle puis sa cuisine. Comme à la maison, le bar-roque est une halte très conviviale dans une ville pressée.
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