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Féminisme italien : des avancées remises en cause depuis 1980

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8 mars 2017, dans les rues de Rome, Manifestation Non Una di Meno
Écrit par Aurore Pageaud
Publié le 18 janvier 2021, mis à jour le 18 janvier 2021

Dans une série de trois articles, retour sur l’histoire du féminisme italien, voici le dernier article.

 

"Nous avons eu 20 ans de fascisme, 30 ans de Démocratie Chrétienne et 20 ans de Berlusconi, ça n’a pas aidé les droits des femmes" 

Nadia Pizzuti, journaliste franco-italienne et militante féministe.

 

L’Italie a connu un mouvement de mobilisation de masse féministe des années 1950 aux années 1980. Puis les avancées ont été paradoxales. Les droits sont acquis en théorie, mais peinent à être appliqués en réalité.

En 1979, est légalisé l’avortement. La clause d’objection de conscience est cependant légale, elle permet à un médecin de refuser de pratiquer l’avortement. Les objecteurs de conscience représentent 7 médecins sur 10, et ce pourcentage atteint 90% dans certaines régions du sud de l’Italie ! Les différences régionales sont fortes et les luttes féministes ne sont pas les mêmes à Milan ou à Palerme.

 

L’éducation sexuelle n’est pas obligatoire dans l’enseignement italien et les moyens de contraception ne sont pas encore connus de toutes et tous. Pour Laura Pisano, universitaire italienne et militante féministe, la transmission générationnelle de la lutte n’a pas eu lieu : « Il n’y a plus de revendications aussi fortes que dans les années 1970. » Les luttes féministes ne sont plus prioritaires, l’auto-conscience n’est plus pratiquée. Le passage féministe d’une génération à l’autre est difficile, les jeunes filles grandissent avec le sentiment que tout est acquis, qu’il n’y a plus besoin de se battre.

Les effets de la télévision misogyne berlusconienne retentissent encore aujourd’hui. La banalisation et la vulgarisation du corps des femmes a été forte. Silvio Berlusconi n’a pas inventé ces codes sexistes, il a repris des stéréotypes déjà présents dans la société italienne et les a adaptés au néolibéralisme. On peut encore en voir les effets en regardant la télévision italienne, les présentatrices reprennent des codes de féminité extrêmement poussés. Il est dur de briser ce mur de stéréotypes bien ancrés dans la société, et diffusés en permanence dans les médias.

Au début de l’affaire Weinstein, Asia Argento, célèbre actrice italienne, a été l’une des premières femmes à accuser Harvey Weinstein de viol. Le soutien qu’elle a reçu dans les médias italiens n’a été que très partiel : sa parole a été remise en doutes de tous les côtés, à tel point que l’actrice a annoncé avoir quitté l’Italie. C’est seulement depuis 1996 que le viol a été requalifié en crime contre la personne en Italie. Il était considéré comme un crime contre la morale, ce qui affaiblissait la peine.

 

De nombreux combats restent encore à mener

Le taux d’emploi des femmes est encore faible et disparate selon les régions. Il est de 49% en moyenne en Italie, contre une moyenne européenne de 63%. En Sicile, ce taux s’élève à 29%. C’est un enjeu à la fois féministe, politique et économique pour l’Italie. La gauche italienne souhaite s’approprier ces combats mais les relations entre partis politiques et mouvements féministes restent encore difficiles.

En octobre dernier, le Sénat italien a reconnu la valeur essentielle des activités de la Casa Internazionale delle Donne en faveur de l’avancée des droits des femmes. Le Sénat a remboursé une dette de 900 000 euros que la Maison des femmes avait contracté auprès de la municipalité de Rome. Au contraire, la maire de Rome, Virginia Raggi, issue du Mouvement 5 étoiles, refuse de rétablir l’accord initial prévu pour un loyer modéré. Elle ne veut pas reconnaître les travaux essentiels de la Casa delle Donne.

De plus, l’ingérence de l’Eglise dans la reconnaissance politique des droits des femmes complique toutes les avancées. En octobre dernier, un cimetière totalement illégal de fœtus a été découvert au nord de Rome. Les « cimetières des anges » sont demandées depuis des années par les associations pro-vie. Un cimetière de cette sorte a même été inauguré en 2012 par la municipalité de Rome. Cette dernière découverte est cependant de caractère illégal, l’hôpital et les services de déchets démentent. La municipalité n’a pas souhaité s’exprimer.

 

Les influences actuelles sont variées

Les combats féministes italiens actuels rejoignent les luttes françaises. La GPA et le voile sont au cœur des débats. Comme en France, les associations italiennes ne sont pas toutes d’accord. C’est l’Amérique du Sud qui influence aujourd’hui l’Italie. L’enjeu commun est la lutte contre les violences et les féminicides. Le mouvement argentin Ni Una Menos connaît un énorme retentissement en Italie, beaucoup plus qu’en France. Les jeunes militantes féministes italiennes se sont réunies dans le mouvement Non Una Di Meno. Elles reprennent les manifestations et les happenings de rue. En novembre 2017, plus de 150 000 personnes manifestaient dans les rues de Rome contre les violences faites aux femmes ! Ce mouvement réunit principalement des jeunes femmes très éduquées, sans toucher toute la société. C’est pour cela que la transmission générationnelle est mise en doute.

Cependant, un nouveau courant féministe s’est développé par les réseaux sociaux, en Italie comme en France : le pop-féminisme, venant principalement des Etats-Unis. Ce mouvement touche un plus grand nombre de jeunes femmes. Il revendique le « girl power », une forme décomplexée de féminisme, n’appartenant pas seulement aux sphères militantes. La prise de pouvoir des femmes passe par la sororité et par la lutte quotidienne grâce aux réseaux sociaux. Ce courant suscite beaucoup de critiques et de débats, notamment sur la sexualisation du corps des femmes. Malgré tout, il doit être pris en compte pour comprendre les méthodes actuelles de luttes féministes. Les moyens et les combats ne sont donc pas les mêmes mais la lutte contre les inégalités continue.

 

En conclusion de cette série de trois articles, nous pouvons affirmer que le féminisme italien s’est profondément transformé depuis les premiers mouvements. Le féminisme italien est très différent de notre conception française. Le différentialisme est rejeté en France pour de multiples raisons mais les textes sont incroyablement intéressants à étudier. L’égalité oui, mais dans un autre monde, un monde où les femmes créeraient leur propre modèle, sans penser que l’homme est la valeur absolue. Voilà pourquoi les associations féministes militent autant pour la reconnaissance des femmes dans l’Histoire, pour la reconnaissance de la place du féminin dans le langage, pour l’enseignement des luttes féministes : afin que chaque femme ait conscience de sa place réelle dans la société, une place complète et indépendante.

 

Remerciements à Laura Pisano, Nadia Pizzuti, Maria Flavia Zucco, Ilaria Scalmani, Elvira Federici, Giovanna Olivieri, Christine Veauvy, Aurora Pinelli et Chiara Petricone pour leurs réponses et leur temps.

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