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Aux origines de la ville éternelle

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Écrit par Simon Deniaud
Publié le 3 décembre 2020, mis à jour le 8 octobre 2023

La ville de Rome laisse une trace indélébile dans l’Histoire occidentale ; pourtant, il ne s’agit pas de la plus vieille fondation du pourtour de la Méditerranée, ni même en Europe non plus qu’en Italie. Alors, pourquoi est-elle surnommée avec un prestige aussi communément admis “la ville éternelle” ? Tout cela même alors qu’elle est depuis près d’un siècle décriée parfois en Italie, pour sa vétusté, ses liens avec l’idéologie fascistes, et son manque de dynamisme économique...

La métaphore, le symbole sont, il est vrai, aisément portés par la personnification en un gigantesque palimpseste, fait de ruines et d’antiquités, bâtie successivement et de manière monumentale en ses périodes fastes, puis rebâtie de ses cendres après des temps de décadence. Rien d’étonnant alors qu’elle nous apparaisse à nous comme digne de son surnom, tel le phénix qui par le feu se relève de lui-même tous les cinq cents ans.

C’est de l’histoire même des origines de la ville qu’est issu son surnom. En effet, dans l’Antiquité, on a dans l’idée que les citoyens romains croyaient dur comme le fer de leur légion, que les conquêtes successives et la domination du monde donnaient ce lustre bien mérité au joyau de leur civilisation, qui ne pouvait être qu’éternel. Du moins c’est semble-t-il dans ce but démagogique et presque nationaliste que l’on peut percevoir son élaboration. Si l’on veut éviter toutes considérations téléologiques, il est nécessaire de rebâtir ce que l’on sait du contexte dans lequel est apparue cette glorieuse dénomination.

 

Au Ier siècle avant Jésus-Christ : faire renaître le lustre de Rome

Nous abordons ici le Ier siècle avant J-C., siècle de guerres civiles, de remises en cause de la République, de critiques des mœurs décadentes d’une cité qui s’est trop enrichie. Le pouvoir et la gloire à leurs combles créent une sorte de remise en cause des fondements de la ville ; c’est ainsi qu’à la manière des Grecs, les Romains se tournent vers leur passé. Jusque-là, ils avaient été plus intéressés par la loi et le bien fondé de leurs institutions que par l’élaboration d’une histoire officielle. Ainsi, Auguste, avant de s’élever comme être divinisé et empereur de cet immense territoire, demande expressément à des poètes comme Ovide ou Virgile de faire renaître le lustre de Rome. 

L’origine de cette idée d’éternité se situe donc par exemple dans le premier chant de l'Énéide, écrit dans l’antépénultième décennie du Ier siècle avant J-C. Vénus, mère d’Énée, demande à Jupiter de respecter sa promesse de faire des Romains les maîtres de l’univers ; il prophétise alors la grandeur de Rome, garantissant leur “imperium sin fine”, et il ne place pas de durée à la grandeur de leur empire. Les fondations de Rome, ainsi élevées, se trouvent être gravées dans le marbre de l’Histoire littéraire.

Cette volonté de donner plus de poids au cycle du temps proprement romain peut être mis en parallèle avec la volonté de mieux définir l’origine du peuple romain, ce qui se traduit par un intérêt pour la culture et la science Étrusque. Effectivement, ces derniers (qui ont été englobés entièrement par la conquête romaine après la chute de Véies au IVe siècle) étaient millénaristes et pensaient que leur culture perdurerait dix siècles. Or les Romains, eux, pensaient que leur empire en durerait douze, c’est du moins ce qu’établit Varron au Ier siècle avant J-C. C’est à cette époque que les Romains décident de faire revivre les jeux séculaires qui manifestent le passage d’un siècle. Coutume empruntée d’ailleurs aux Étrusques. Néanmoins, la littérature et les historiens latins sous Auguste développent l’idée d’un renouvellement lorsque s’achèveront ces douze siècles primordiaux. La brique et la maçonnerie à leur tour inscrivent une volonté politique de s’ériger en cité qui durera toujours.

 

Une devise pour Rome

Pour ce qui est de la naissance du terme exact, il faut s’intéresser à des passages peut-être moins connus de l’histoire romaine. Tibulle, contemporain de Virgile, dans la cinquième élégie de son livre II, produit un distique que l’on peut considérer comme l’origine de celle plus connue tirée du livre V de l’histoire monumentale de Tite-Live : “Romulus aeternae nondum formaueurat urbis moenia consorti non habitanda Remo”, que l’on peut traduire par : “Les murailles de la ville éternelle à peine formée par Romulus, Remus ne pouvait plus s’y trouver”. C’est donc au premier siècle avant Jésus-Christ que l’expression se trouve être rendue courante, et surtout usuelle puisque Auguste associe cette idée d’une ville « éternelle » en réformant d’abord les jeux séculaires qui commémorent alors la naissance et la renaissance de la ville, conjugués à la rénovation de la République sous son patronat. Il associe son nom aussi à une nouvelle égérie de la puissance romaine, la déesse Rome, qui porte le même nom que la ville. Allégorie de la puissance et finalement du pouvoir impérial, ce qui constituera toujours le motif au siècle suivant de l’association de diverses divinités solaires tout particulièrement au culte de la ville et surtout à celui des Empereurs.  

Vu du XXIe siècle, l’on pourrait établir que la création du mythe répond en effet déjà à toutes ces exigences. L’importance de l’influence du destin soumis à l’allégorie de la ville, personnifie en quelque sorte une destinée manifeste, que ce soit le vol des oiseaux et la pratique augurale dans l’épopée de Romulus ou l’influence de Vénus et la catabase de celle d’Énée, l’expression figure une prédestination divine que s’attribue la ville elle-même. On s’éloigne déjà des dieux tutélaires, protecteurs des cités, ce qui est plus courant dans l’Antiquité notamment chez les Grecs avec la religiosité de l’Urbs soumise à la ville. Ce qu’on peut appeler symbole de propagande contient alors déjà le terreau favorable à celle tout autre que promulgue ensuite la religion chrétienne.

 

Au service de la ville ...

Ainsi le statut de ville reine de la chrétienté, dans un nouveau paradigme se remémore et renouvelle l’expression, l’usant dans de mêmes propensions à lier indéfectiblement croyance et influence à travers le siècle. Elle est corrélée avec le rôle du trône de Saint Pierre, dont le rôle sur terre s’apparente au seul pouvoir qui soit éternel en opposition avec les pouvoirs séculaires des rois et empereurs. Dès le XVe siècle, le patrimoine religieux de la ville est restauré (principalement les basiliques des premiers siècles, Santa Maria di Trastevere, le Vatican même) dans le but de rappeler la primauté et l’ancienneté de la foi romaine et de la glorifier jusqu’à lier les fondations antiques de la ville aux nouvelles couches urbaines que chaque Pape cherche, s’il le peut, à embellir.

 

... et du tourisme

Aujourd’hui, le tourisme s’est logiquement emparé de l’expression dans une formule toute trouvée, qui permet non seulement de rappeler le passé ancien de la ville, mais aussi de pérenniser l’attraction qu’elle suscite. Un surnom apposé à l’histoire de la ville maintenant inhérent à ses cortèges et hypogées de traces historiques que parcourent à longueur d’années et en flot ininterrompu des hordes de touristes. Une Rome toujours bénie bien qu’envahie, qu’elle soit mise à sac par des hordes dites « barbares » ou par les millions de touristes qui chaque année la foule. Vestige d’un passé ancien ou chacun tire encore et pour longtemps bienfaits et monnaies de sa riche histoire.

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