Célébrer Napoléon, le commémorer, lui rendre hommage et les honneurs qui vont avec ; l’ignorer, le condamner, l’effacer et même l’annuler de l’histoire… À chacun sa sémantique, son point de vue et ses arguments. 200 ans après sa mort, Napoléon Bonaparte continue de faire parler de lui, tant en bien qu’en mal. À l’heure où la « woke and cancel culture » ont le vent en poupe, la question du bicentenaire de sa mort a fait couler beaucoup d’encre partout en Europe. Mais qu’en est-il de l’Italie, pierre angulaire des succès militaires du plus célèbre des générales corse ?
Quelques célébrations discrètes mais notables à Rome et sur l'île d'Elbe
Personnalité ambivalente et contrastée, le passage de Napoléon Bonaparte dans l’histoire contemporaine italienne a laissé une trace indélébile. Pour autant, on ne peut pas dire que le bicentenaire ait donné lieu à des commémorations ou des célébrations comparables à celles qui se sont déroulées en France le 5 mai 2021. Réalisée à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte, la rétrospective « Napoléon et le mythe de Rome » revient sur la relation qu’entretenait le général français avec la Cité Éternelle. L’exposition revient notamment sur l’annexion de Rome par l’Empire entre 1809 et 1814.
Emmanuel Goût, passionné d’histoire napoléonienne installé à Moscou devait se rendre à Sainte-Hélène pour la commémoration du bicentenaire. Empêché par la situation sanitaire, et se trouvant à Rome, l’idée d’une célébration sur place fait vite son chemin en lui. Après quelques coups de fil, il parvient à rassembler une petite équipe de passionnés autour d’un évènement né de la spontanéité devant le musée Napoléon de Rome. Ils sont Canadiens, Espagnols, Français, Italiens et Russes et ont tous en commun « le désir de célébrer la mémoire d’un grand homme […] en échappant aux polémiques actuelles ainsi qu’au déni d’oubli ». La petite cérémonie débute à 17h47, heure à laquelle aurait été prononcée la mort de Napoléon Bonaparte. Sous la lecture des deux premiers paragraphes de L’âme de Napoléon de Léon Bloy ainsi que d’un passage de Il cinque maggio de Manzoni, Emmanuel Goût conclu l’événement avec le dépôt d’une gerbe ornée d’un grand « N » orange.
Protagoniste essentiel du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, l’île d’Elbe a célébré en 2014 le bicentenaire de son arrivée sur le petit territoire. Bien qu’exilé, Napoléon s’empressa d’apposer sa marque durant son séjour et on le dit à l’origine de « la première AOC de l’île d’Elbe, en reconnaissant la valeur du vin Aleatico ». Désireux de rendre hommage à l’empereur disparu, Elbe a souhaité « créer une semaine napoléonienne » avec en vue d’en faire à terme « un évènement annuel récurrent. Travaillant en étroite collaboration avec des associations internationales comme la Fédération Européenne des Cités Napoléoniennes ou la Route Napoléon, leur but est d’organiser une série d’événements dispatchés sur l’ensemble de l’été 2021 ; l’occasion pour l’île d’Elbe de relancer son tourisme au sortir de la crise sanitaire.
Napoléon, populaire à Milan, méprisé à Venise
Le traité de Campoformio de 1797 marque la mort de la république de Venise. Abandonné entre les mains de l’Empire Austro-Hongrois, les Vénitiens, à l’image du poète Ugo Foscolo, gardent encore à ce jour un souvenir bien amer de ce Napoléon qui les vendit à leurs ennemis. La proclamation de l’empire apaisa quelque peu les tensions avec les habitants de la Sérénissime, sans toutefois parvenir à totalement les dissiper. Pour preuve, à l’abdication de l’empereur en avril 1814, ses détracteurs menacèrent de renverser la statue érigée en son honneur sur la place Saint-Marc en aout 1811, après l’établissement du port franc. Il en résulta que la statue fut déplacée sur l’île de Saint-Georges Majeur.
À Milan en revanche, le souvenir de Napoléon est plus contrasté. Arrivé dans la ville en 1796 et couronné au Duomo en 1805, l’empereur français a pour Milan une grande admiration. Accueilli comme un libérateur de la Lombardie, dont le duché était sous domination autrichienne depuis le traité de Baden de 1714, qui avait conclu la fin de la guerre de succession d’Espagne, il rend à cette région son autonomie et lui offre la « République » comme modèle politique. Très vite, Napoléon entreprend des travaux d’urbanisme et d’embellissement de la ville, qu’il souhaite faire entrer dans le nouveau siècle, et fait appel aux services de Luigi Canonica.
Napoléon, empereur-pilleur
S’il y a bien une chose que les Italiens n’ont pas pardonné à Napoléon, et plus généralement aux Français, c’est bien le vol de leurs œuvres d’art. Profitant de ses campagnes militaires aussi brutales que meurtrières, Napoléon a mis la main sur de nombreuses chefs-d’œuvre.
Napoléon, à l’origine de l’unité nationale italienne ?
C’est pétri des idéaux de la Révolution de 1789 que Napoléon débarque au Bel Paese en 1796. Devenu le visage des victoires de la France révolutionnaire en Italie, son arrivée met fin aux régimes absolus rependus un peu partout sur la péninsule. Il permet la naissance de nouveaux états comme les Républiques Ancônienne, Cispadane ou Romaine. Imposant sa conception de la politique, du droit, et même de l’éducation, Napoléon séduit le cœur des Italiens, qui après quelques résistances finissent par se laisser conquérir par l’esprit innovateur de Napoléon, cet étranger qui parlait si bien leur langue.
En fondant le Royaume d’Italie, Napoléon posa les jalons de ce qui devait conduire au Risorgimento, le mouvement d’unité nationale italien, afin d’y a d’asseoir une unification qui pour beaucoup d’habitants transalpins n’avait rien d’évident. Il profita notamment de son occupation pour introduire le Code civil ainsi que le jacobinisme administratif français. Monarque absolu et « arbitre entre deux siècles opposés, celui des Lumières et du rationalisme éclairé face à celui du romantisme irrationnel et de la Nation », Napoléon nourrit par sa vision de l’Europe le sentiment national italien. Il « arma les esprits des patriotes » qui contribuèrent au « Risorgimento […] tout au long du XIXème siècle. »