Le président russe Vladimir Poutine, accompagné de six des dix ministres du nouveau gouvernement russe, s'est rendu à Pékin pour rencontrer le président chinois Xi Jinping, les 16 et 17 mai 2024. Cette rencontre marque le premier voyage à l’étranger du président russe depuis sa réélection en mars dernier, son deuxième déplacement en Chine en un peu plus de six mois, mais également les 75 ans de relation diplomatique entre les deux pays. Guerre en Ukraine, économie, qu'en est-il ressorti ?
Sortir de l'économie de guerre
Vladimir Poutine a été reçu en grande pompe au Palais du Peuple, les deux Présidents saluant la relation sino-russe comme un « facteur de stabilité et de paix dans le monde et d’intérêt fondamental pour les deux pays et les deux peuples ». Poutine a fait l’éloge de la Chine en tant que premier partenaire commercial de la Russie. En effet, les échanges commerciaux entre les deux pays ont explosé depuis l’invasion de l’Ukraine, dépassant les 240 milliards d’euros en 2023, selon les douanes chinoises (soit une augmentation de 70% en dix ans). Dans une déclaration conjointe, Pékin et Moscou expriment leur volonté de renforcer davantage leur "partenariat sans limites" établi en février 2022, peu avant l'engagement de la Russie dans le conflit avec l'Ukraine. Alors que Vladimir Poutine vient de nommer Andrei Belousov, un économiste réputé pour ses compétences en matière d'organisation, au poste de ministre de la Défense et que la quasi-totalité du gouvernement russe accompagnait le président à Pékin, il semble désormais que Moscou prépare la transition de son économie, cherchant en Chine des échanges décorrélés de la seule industrie de guerre, danger qui avait précipité, on s'en souvient, la chute de l'Union Soviétique.
La solution du conflit ukrainien
Les États-Unis ont mis en garde la Chine en fixant une limite à ne pas franchir : ne pas fournir d’armes à la Russie. Si les États-Unis estiment que le soutien économique chinois permet quand même à la Russie de se doter de missiles, de drones et de chars, aucune preuve n’a montré que la Chine fournissait directement des armes à la Russie. Xi Jinping a déclaré sur le sujet que : "Les deux parties sont d'accord sur le fait qu'une solution politique à la crise en Ukraine est la voie à suivre et que la Chine espère que la paix et la stabilité seront rapidement rétablies sur le continent européen (…)". Dans un communiqué commun publié par le Kremlin, il est souligné que la Russie et la Chine souhaitent éviter toute escalade supplémentaire en Ukraine. Le communiqué met également en garde contre les prises de décisions susceptibles de prolonger les hostilités et d'aggraver le conflit. Le Kremlin affirme notamment que les fournitures d'armes de l'Occident à l'Ukraine sont responsables de la persistance du conflit. Cette déclaration semble donc être dirigée envers les États-Unis et l'Europe. Avec les visites récentes à Pékin du Secrétaire d’État américain Anthony Blinken ou encore de Stéphane Séjourné, le ministre français des affaires étrangères, l’Europe et les États-Unis ont appelé la Chine a joué un rôle de médiateur en utilisant de son influence avec la Russie. Rappelons que depuis le début de la guerre russe en Ukraine, Pékin n’a jamais condamné la Russie et s’est abstenue de parler d’invasion.
Consolidation d'un bloc asiatique
Particulièrement engagés pour un déplacement des échanges économiques vers l'est au détriment de l'ouest, les deux présidents ont évoqué la question de la croissance du groupe des BRICS (NB : les neufs pays faisant partie du groupe sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran). Pour ce faire, la Chine et la Russie ont annoncé que 90% de leurs échanges commerciaux se feront désormais en roubles ou yuans, abandonnant le dollar américain. Cette initiative est une étape importante dans la promotion des monnaies locales et est un pas de plus vers l’abandon du dollar américain. Selon le Président russe, le passage aux monnaies nationales est bon pour l’économie de leurs pays respectifs mais l’une des principales raisons de cette décision est également de dépasser les sanctions imposées à la Russie par l’Occident. De plus, les pays des BRICS travaillent sur l’élaboration d’une monnaie commune qui serait utilisée au sein des pays de l’alliance et qui donnerait naissance à une nouvelle monnaie qui pourrait devenir une des monnaies du marché mondial.
Nouvelle route commerciale via l'Arctique
Alexei Likhachev, chef de Rosatom, a annoncé lors de cette visite que les deux pays avaient créée un sous-comité pour la création d'une route arctique maritime du nord, une route maritime commerciale qui va longer la côte arctique russe de la mer de Kara jusqu'au détroit de Béring. Rosatom représentera la partie russe et du côté chinois, elle sera dirigée par le ministre des Transports. Avec le développement de cette route, il sera possible d’augmenter le transit des produits chinois jusqu’à 50 millions de tonnes d’ici 2030. Cette route maritime, qui longera la côte arctique russe, vise à réduire de moitié le trajet entre l’Europe et les ports d’Extrême-Orient par rapport à la route du canal de Suez.
De plus, la forte demande de pétrole brut russe en Chine a stimulé le volume de marchandise transportée entre les deux pays, la Russie étant devenue en 2023 le premier fournisseur de la Chine en pétrole, devançant l’Arabie Saoudite. Les importations de pétrole russe en Chine ont augmenté de 25 % en 2023, atteignant un niveau record de 2,14 millions de barils par jour. Cela a permis à la Chine d'économiser environ 3,4 milliards de dollars sur neuf mois. Parallèlement, les importations de gaz russe ont également augmenté de 40 %, atteignant 33,7 milliards de mètres cubes, aidant Gazprom à compenser partiellement la baisse de ses exportations vers l'Europe.
Une déclaration commune anti-américaine
Les deux hommes politiques ont également déclaré dans un communiqué « leur profonde inquiétude sur les tentatives des États-Unis visant à déstabiliser l’équilibre stratégique dans la région » de l’Asie de l’Est. En effet, Taïwan est une question sensible, au cœur des tensions entre la Chine et les États-Unis depuis de nombreuses décennies. Dans cette déclaration commune, les deux présidents s’engagent à collaborer pour faire face aux pressions américaines qu’ils considèrent comme « destructrices et hostiles ». De plus, les dirigeants affirment leur volonté de renforcer les liens entre leurs forces armées respectives et d’étendre leurs exercices militaires conjoints.
La collaboration passe par Harbin
Le président russe a effectué une brève visite à Harbin, en Chine, une ancienne ville russe. Sa visite à l'Institut de Technologie de Harbin est perçue comme un signe de solidarité sino-russe contre les sanctions américaines et d'un renforcement de la coopération militaire. En effet, l’université subit les sanctions américaines, la raison étant « l'acquisition et la tentative d'acquisition de biens fabriqués aux États-Unis en soutien aux programmes associés à l'Armée populaire de libération de Chine ». Il n’en reste que la ville située à quelques centaines de kilomètres de la frontière russe et qui est cruciale pour les échanges commerciaux et stratégiques entre Pékin et Moscou. La Corée du Nord, soutenue par la Chine, est également située à proximité immédiate de cet espace et pourrait bénéficier directement de la mise en place d'une zone d'échanges spéciale. A noter aussi que les îles de cette région traditionnellement objets de conflit frontalier entre la Russie et la Chine, devraient jouer le rôle de zone franche pour les deux pays. Une avancée en direction d'une économique d'après-guerre pour la Russie qui lance aujourd'hui les bases de son futur développement.
A suivre.