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Portraits de New Yorkais : Luca et les mots

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Écrit par Nicolas Cauchy
Publié le 17 février 2023, mis à jour le 17 février 2023

Entrepreneurs, conjoint, de passage ou établi : cette rubrique dresse le portraits des expatriés à New York.

Aujourd'hui, Luca et la Julliard School

 

Parce que quand j'ai peur, j'y vais

 

"Je me souviens très bien de cet après-midi de 2018. Je remontais la Ve avenue. J’avais dépassé la Trump Tower, et c’est au moment où je me suis assis sur un banc de Central Park que j’ai pris mon téléphone. J’avais manqué un appel. L’appel que j’attendais. 

— Luca, ici la Juilliard School. Rappelez-nous vite !

Ma candidature était acceptée. J’intégrais la Juilliard. 

La Juilliard School est une institution. Un conservatoire. Entre ses murs ont été formés des acteurs comme Robin Williams ou Kevin Spacey. Des danseurs, des chorégraphes, des compositeurs. Pina Bausch, Philip Glass… et moi. 

 

Je suis né d’un père français et d’une mère italienne. Ma grand-mère a toujours aimé chanter. J’ai vécu toute mon enfance à la campagne. 

Des États-Unis, je connaissais la Californie et Disneyland d’Orlando pour lequel j’avais travaillé deux mois. Une sacrée claque pour un enfant des Yvelines. Je voulais être acteur. J’avais fait le conservatoire de Versailles et le cours Simon à Paris. 

En 2014, alors que je regarde sur Arte un documentaire fascinant sur la Juilliard School, ma mère me demande : « Pourquoi tu ne postulerais pas ? » Je n’y crois pas du tout mais j’envoie quand même les deux vidéos demandées. Une en français et deux autres en anglais. Je suis sélectionné pour passer une série d’auditions à New York. 

J’ai toujours eu un mental de sportif. Je ne me suis jamais dit « Et si ça ne marche pas ? » J’ai toujours voulu être le meilleur dans tout ce que je faisais parce que le second, c’est le perdant. Finalement, je fais partie des élèves autorisés à passer les dernières audiences à New York. On est 50. Ils en garderont 18. On passe trois jours en immersion totale, avec les enseignants. 9h-22h. On ne sait pas du tout sur quel critère on est évalué. Je ne suis pas retenu.

Je déménage ensuite à Londres. Je n’ai pas de travail. Je me débrouille. Je passe des castings, tourne dans un court métrage à Budapest. 

 

Quelques années plus tard, j’avais complètement abandonné le projet de la Juilliard quand une amie m’en reparle. Pourquoi ne pas tenter de nouveau ? La première fois, j’ai tout fait pour qu’ils m’aiment. Pas cette fois. Je voulais seulement profiter du moment présent, ne pas me projeter, être heureux d’être là. Je passe de nouveau une série d’auditions et je suis pris. 

Je quitte Londres pour New York et lance une cagnotte en ligne pour financer ma rentrée. Je prends le parti d’écrire mon histoire sous la forme d’une lettre adressée à mon ancien moi. Une lettre qui raconte tout ce que j’ai appris et qu’il faut toujours aller là où ça fait le plus peur. Je reçois de nombreux dons, de mes proches mais aussi d’inconnus, comme cette actrice de la Comédie Française. 

Ma première année est une révélation. Le travail est très physique, très centré sur le corps, sur la façon de se tenir, de bouger. Les acteurs font énormément de recherches sur le personnage qu’ils interprètent. D’où vient-il ? Quelle est son histoire ? La langue française est si riche que l’on utilise moins son corps. On est moins dans la préparation et peut-être plus dans la poésie et la liberté. A la Juilliard, on apprend à incarner un rôle et comment on s’y prépare. 

Financièrement, l’école m’aide avec un système de bourses qui paye mon loyer et mes déplacements. Je suis prioritaire parce qu’étranger. Le seul Français de la section drama. 

Le répertoire est essentiellement américain : Shakespeare, Arthur Miller, Tennessee William, August Wilson. J’ai essayé de faire jouer un auteur français, Florian Zeller mais ça n’a pas fonctionné. Il faut des pièces susceptibles d’occuper les dix-huit élèves. Des créations qui nous « vendent » auprès des professionnels du cinéma et du théâtre. 

 

Maintenant que je suis diplômé, que je possède tous les outils « Juilliard », je voudrais retrouver ma liberté d’avant, ma capacité à remettre les choses en cause, continuer à être curieux et plus que tout à être moi-même, ce qui n’est jamais facile mais toujours le plus important. 

Le compte à rebours du visa a commencé. J’ai peu de temps pour trouver des rôles, une compagnie. Sans quoi je devrais quitter le pays, pour la France, peut-être. Ou l’Italie. Malgré tout je reste toujours confiant.

La peur est toujours là et c’est bon signe. Parce que dès que j’ai peur, j’y vais."