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Portraits de New-Yorkais : Jacqueline, la persévérante

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Écrit par Nicolas Cauchy
Publié le 7 février 2023, mis à jour le 7 février 2023

Entrepreneurs, conjoint, de passage ou établi : cette rubrique dresse le portraits des expatriés à New York. Aujourd'hui, Jacqueline, la persévérante.

 

17 mars 2020. New York. Mon mari m’annonce qu’il veut divorcer. 
    Je suis l’épouse d’un expatrié. Mexicaine et Française. Mon visa, mon appartement, mes revenus, tout dépend de lui. Je suis une « femme de ». Et il me quitte. 
    20 mars 2020. Le gouverneur de New York annonce le lockdown. 
    Tout s’effondre. 


    Les États-Unis, c’était le rêve de mon mari. Nous nous étions rencontrés à Mexico, la ville où je suis née. Depuis toute petite, je voulais vivre en Europe, voyager, apprendre le Français. L’Amérique du nord ne m’attirait pas du tout. Je suis beaucoup trop à gauche pour ça. L’argent roi… 
    Quand je rencontre mon mari, il est étudiant en journalisme. C’est un Français cultivé. Un intellectuel. On s’écrit un temps et puis, une fois mes études en Sciences politiques achevées, je le rejoins à Paris. La ville de mon mariage. Ma ville de cœur. 
    Comme je ne parle pas le français, je passe mes journées en bibliothèque à travailler. Je cumule les petits boulots. Je m’inscris à l’université et passe un Master en urbanisme. Je trouve un emploi dans le logement social et gravis les échelons pendant dix années pour occuper une place de cadre. 
    En 2017, on propose à mon mari de devenir correspondant pour Les Échos à New York. 


    New York ! Je suis réticente, mais mon mari en a tellement envie ! Nous quittons la France. Je quitte mon emploi. Je deviens « femme de ». 
    Mon visa ne me donne pas le droit de travailler, mais je ne vais pas rester à ne rien faire. Je m’investis dans le bénévolat. Je distribue des vêtements, de la nourriture. Je plaide aux Nations Unies pour faire reconnaitre les droits des mères. Je vais souvent visiter le marché Malcom Shabazz à West Harlem pour parler français. Je rencontre plein d’étrangers. La pauvreté est partout. Elle confirme l’idée que je me faisais de l’Amérique du Nord, où la réussite n’est que matérielle. Ségrégation, misère, racisme. L’Amérique de Trump dans ce qu’elle a de pire.
    Je m’inscris à l’ANY qui accueille les Français qui viennent d’arriver. Je reprends les études au Hunter College où je passe un Master en Politique Urbaine et Leadership.         
    Je trouve ma place. 


    Et puis mon mari m’annonce qu’il veut divorcer. J’ai 40 ans.


    Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je dois faire ?
    Sans le visa de mon mari, je ne peux pas rester. Mais je ne veux plus quitter les États-Unis. Je veux terminer mes études. Si je pars, je veux avoir construit quelque chose. Nous convenons de rester mariés jusqu’à la fin de mes études. 
    Je pars vivre en colocation à Brooklyn, dans une grande maison victorienne, avec des poules et un potager. On prépare à manger pour tout le monde, à tour de rôle. Pendant toute la période de mes études, je fais du babysitting tout en m’investissant dans le bénévolat. Je m’inscris aussi à un stage et j’explore la ville. 
    Et puis mes études se terminent et le divorce est prononcé.     
    Je n’ai plus de visa. 
    Je ne sais plus où aller. Rentrer à Mexico ? Quel échec ! Revenir à Paris où nous avions été si heureux ? À ce moment-là de ma vie, trop douloureux. 
    Et puis, par hasard, on m’apprend qu’il existe un visa spécial pour les Canadiens et les Mexicains qui sont qualifiés dans… l’urbanisme ! Je fais ma demande et j’obtiens mon visa TN sans difficulté,  après être restée plusieurs mois en dehors des États-Unis. C’est la loi  !
    Lorsque je reviens à New York, ce n’est plus pour suivre le rêve de quelqu’un d’autre. C’est ma décision. Mon mari est parti et je suis restée. 
    Je signe un contrat de trois ans avec ATD Quart Monde. On se bat contre la pauvreté et pour faire reconnaître la dignité des gens. Le petit salaire est le même pour toute l’équipe. On mène une vie humble et ATD Quart Monde paye ma couverture santé, ainsi que mon loyer. En un an, j’ai dormi dans vingt endroits différents. Toutes mes affaires sont dans un storage. Mais je suis heureuse. La page est tournée. J’ai pris ma revanche. 
    Un jour prochain, dans quelques années, je reviendrai sans doute en France. 
    Paris reste ma ville de cœur. 
    Mexico, mes racines. 
    Et New York, la ville de la persévérance. 

Pour contacter Jacqueline

nicolas cauchy
Publié le 7 février 2023, mis à jour le 7 février 2023