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Avec la crise, ils quittent New York, sans lui fermer la porte

Crise New YorkCrise New York
Écrit par Sandrine Mehrez Kukurudz
Publié le 1 octobre 2020, mis à jour le 3 octobre 2020

De mémoire de New-Yorkais, on avait rarement vu tant de camions de déménagement en ville, ces dernières semaines. Certes, l’Américain déménage en moyenne vingt-six fois dans sa vie. Un chiffre renversant pour nous, qui traversons notre existence, dans quatre nids, en moyenne, plus ou moins douillets, dans lesquels nous construisons notre environnement rassurant et souvent, élevons des familles, qui reviendront nous rendre visite ensuite. Peut-on vraiment parler d’exode new-yorkais ? Et où vont ces déserteurs de la ville qui ne dormait jamais ?

 

« Pour la première fois de ma vie je n’aime plus New York ». Cette Américano-Belge, mariée à un enfant de New York, n’aurait jamais pensé faire ce constat désolant. Passionnée par la ville, ayant la chance d’habiter dans un des quartiers les plus charmants de Manhattan, elle avait posé ses valises avec l’ambition d’en faire sa résidence à vie.

« Je pars la semaine prochaine » me dit cette Française qui a l’écologie au cœur et qui profite de ce petit chaos en ville pour faire ses cartons pour Nashville. « Plus rien ne me retient. Je ne reconnais plus New York. Alors autant mettre à profit ce désamour pour me créer une nouvelle vie, plus proche de mes ambitions et de ma vision de mon quotidien. » Une maison en ville, un grand jardin pour jardiner et se nourrir de sa production, des copains, le temps de vivre et de construire une famille, voici son nouveau plan de vie. 

Dans le très chic quartier de l’Upper West side, aux abords de Central Park, Ellen* n’a jamais vu autant de camions de déménagement de sa longue vie passée dans ce quartier. « On croise un camion à chaque coin de rue, c’est très inquiétant. » Inquiétant, cela l’est. Pour l’économie et le bien-être de la ville. Il y a quelques semaines, le Gouverneur de l’État de New York s’inquiétait que les plus riches ne soient toujours pas retournés à Manhattan. 

Au début de la pandémie, les quartiers aisés se sont vidés. Pour les Hamptons, à deux heures de route. Mais aussi pour la Floride où nombre de New-Yorkais s’envolent, les premiers froids venus ou, se retrouvent pendant Art Basel, entre amateurs d’art et de paraître. Ailleurs aussi.

Certains ont loué des maisons pour plusieurs mois afin d’échapper à la pandémie galopante qui faisait en avril de New York, l’épicentre du monde. À l’époque, un quotidien a divulgué la carte du ramassage des poubelles. Drôle d’idée. Sauf qu’on y voyait que le taux de poubelles dans les beaux quartiers n’avait jamais été si bas. Les « riches » avaient fui la ville. 

Si le Gouverneur a tiré le signal d’alarme, c’est aussi parce que l’économie a été fortement impactée par ces départs massifs. Ces consommateurs aux comptes en banque généreux ont manqué à de nombreux commerces locaux, à leur réouverture notamment. 

Kristine* est chasseuse de tête pour les enseignes de commerce de luxe « il n’y a aucune embauche à New York. Les magasins sont vides. Je suis en train de me réorienter vers d’autres villes où les enseignes de luxe ne sont pas impactées, comme Chicago. Ici je n’ai plus aucun contrat ». Et il suffit d’arpenter la 5e avenue ou la très chic Madison Avenue dans l’Upper Est Side pour s’en convaincre. Il ne reste que les fantômes d’une ville dense et grouillante. 

Depuis la mi-septembre, certains reviennent. Le flot de voitures se fait plus dense et les rues reprennent vie dans certains quartiers. Mais on est loin du quotidien pré-Covid. « On a une petite maison à Long Island » me raconte cet Américain venu du Maroc il y a 30 ans. « J’y ai installé ma famille en avril et je fais l’aller-retour, chaque jour, pour travailler à Manhattan. Mais avec la possibilité de poursuivre la scolarité des enfants en ligne, ma femme n’a pas désiré revenir en ville. Pour l’instant ». Mais si pour ce New-Yorkais l’obligation quotidienne de se rendre au bureau l’oblige à conjuguer les envies familiales et sa réalité, nombre d’habitants poursuivent le télétravail. Pour cette jeune femme, embauchée l’an passé par une grande société de marketing direct, pas de retour avant août 2021. C’est le courrier qu’elle a reçu il y a deux mois. Alors elle n’a pas renouvelé le bail de son appartement au cœur de la ville, face à Bryant Park et elle est partie s’installer dans la vaste maison de ses parents dans le New Jersey, au milieu des chevreuils et du chant des oiseaux. Ce n’était pas tant un choix économique qu’un besoin de quitter cette solitude qui s’était installée en ville. Ces journées, seule dans son petit appartement, rongeait son équilibre mental jour après jour. 

Pour d’autres, cet exode dure plus que prévu et prend des allures de vacances en famille qui se prolongent. Ce couple de banquiers s’est réfugié dans leur jolie villa des Hamptons, avec ordinateurs et lourds dossiers dans les cartons. Ils ont vite été rejoints par leurs fils, la femme et les enfants de chacun d’entre eux. Depuis juin, ils vivent dans une joyeuse harmonie, parfois rejoint par les cousins ou amis de passage. Les bureaux se sont improvisés dans chaque pièce et, entre deux dossiers, ils se retrouvent à la piscine ou sur le court de tennis.  «Franchement ? Je n’aurais jamais imaginé que nous vivions un jour réunis comme cela. Finalement d’un mal un bien. Nous profitons des enfants comme jamais nous n’avons pu le faire et chacun met du sien pour ne pas empiéter sur le territoire de l’autre. Les échanges tendus sont rares et nous vivons cette situation comme un cadeau du destin ». 

Pour certains binationaux, cette crise sanitaire a été le signe du destin. Loin des leurs, de leur culture et de leurs repères, la ville magique est devenue étrangère. Béatrice* s’était réfugiée au Pays basque pour quelques temps. Elle a décidé d’y rester. Laetitia* a pris homme et enfants et, est retournée en Belgique près des siens. Plus rassurant. Tracy* est née ici mais à un passeport hollandais grâce à sa mère. Elle n’a jamais vécu en Europe et connait à peine Amsterdam, qu’elle a visité à deux reprises Elle a convaincu son mari – Américain depuis quatre générations - d’abandonner leur appartement du Bronx pour changer de vie. Et recommencer à zéro à plus de 50 ans, vers un eldorado qu’elle connaît si peu « c’est aussi la promesse d’une retraite sereine qui nous y a poussés. Ici le système de santé ne nous garantit pas de vivre notre vieillesse en toute quiétude. En Europe, nous serons à l’abri de cette angoisse. »

Les jeunes ne sont pas en reste. Quand Hannah*, cette Colombienne née dans le Queens, a dû décidé d’une université ce printemps, elle a opté pour la Floride où sa tante réside et qui l’accueille dans sa maison. « Je suis née à New York et je n’ai rien connu d’autre. Mais je n’avais pas envie de vivre ma scolarité dans cette morosité ambiante. Alors autant essayer la vie au soleil. Si cela ne me plait pas je reviendrai. Rien n’est figé. » 

 

Sandrine Mehrez Kukurudz
Publié le 1 octobre 2020, mis à jour le 3 octobre 2020