Paul Taylor est à un tournant de sa carrière. “Après trois spectacles bilingues, j’ai décidé de faire rire avec ma langue maternelle”. À quelques heures de monter sur la scène du Sony Hall où il anime la deuxième édition du Frenchy Comedy Club, l’humoriste britannique installé depuis 15 ans en France retrace son histoire à notre micro.
Vous animez la seconde édition du Frenchy Comedy Club ce vendredi 19 janvier. À quoi doit-on s’attendre ?
"Il y aura une majorité de francophones dans la salle, mais pas que. Le public est légèrement différent du mien et je pourrai jouer avec les deux langues. Les humoristes ont envie de proposer un show à l’américaine et différent des Comedy Club en France. Plutôt comme un gala. Je reviens plusieurs fois durant le spectacle, pour que le public reste chaud avant le passage de chaque artiste et je ferai aussi un sketch d’une dizaine de minutes.
Qu’est-ce que cela fait de jouer à New York, la Mecque de l’humour dans le monde ?
Ce n’est pas ma première fois à New York. J’y ai fait des scènes ouvertes lorsque je débutais en 2013. Je travaillais à l’époque toujours chez Apple et j’ai eu la chance de faire des formations non loin de New York. Au mois de juillet dernier, j’ai aussi joué mon spectacle deux fois dans des Comedy Club. C’est sûr que, pour un francophone, cette ville représente la Mecque de l’humour, avec Londres et Los Angeles. À New York, il y a une énergie différente. En tant que francophones, je suis moins confronté et mélangé à la scène anglophone. Je vais justement en profiter pour faire des scènes anglaises pour rôder mon nouveau projet.
“Raconter ma vie d’expatrié britannique en France, un thème qui s’est imposé à moi”
Ce jeu des deux langues, c’est votre marque de fabrique et aussi ce qui vous différencie des autres humoristes en France ?
C’est un honneur lorsque l’on me dit que je suis un Franco-britannique car ce n’est pas le cas, mais cela signifie que mon français est assez bon. Je considère même que c’est un sacré Graal de pouvoir s’intégrer au point de penser que je suis originaire de France. Notre métier d’humoriste est de raconter le monde dans lequel on vit. Et comme je suis un expatrié anglais en France, le thème s’est imposé à moi. Au même titre qu’un humoriste en situation de handicap pourrait traiter cette thématique avec humour. Et d’ailleurs, j’ai eu la chance que l’immigré britannique qui se moque de la culture française n’ait pas été un créneau encore saisi en France.
Vous avez exploité ce sujet. Mais pour faire rire, il faut que le public français possède de l’autodérision. Avez-vous rencontré des difficultés à ce propos ?
Oui et non. Je crois que pour rigoler de la culture française, il faut le faire avec beaucoup de crédibilité. Les Français ont sans doute détesté Emily in Paris car la série est trop caricaturale. En revanche, il y a des sujets que les Français trouvent très drôles. Je me suis fait connaître grâce à un sketch sur la bise, dans lequel je disais que j’étais mal à l’aise en soirée, que je ne savais jamais par quelle joue commencer. Le public français s’est retrouvé dans ce sujet. C’est du “french bashing”. Mais, pour bien s’y prendre, il faut que la thématique moqueuse soit indiscutable, infaillible. Par exemple, j’ai une blague sur le fait que les Français ne savent pas compter en prenant l’exemple de l’émission télévisée Sept à huit, qui commence à six heures du soir. Il ne faut pas s'orienter vers des blagues gratuites comme “oh ce serveur en France, ce qu’il est malpoli…”.
Vous nous parlez du sketch sur la bise, celui qui vous a fait connaître du grand public. Est-ce à ce moment que vous vous êtes dit “je tiens mon style d’écriture et d’humour” ?
Je ne sais pas si c’était une décision consciente, je crois que c’est venu naturellement. C’était un sketch que je faisais sur scène depuis trois ans et nous avons fait le choix de le filmer en plan séquence. Bingo, ça a très bien marché. C’est un déclic que tu sens sur scène : Si à la 10e fois que tu fais une blague, ça ne rigole toujours pas, il faut la changer car c’est peut-être un sujet trop sensible par exemple… comme un processus d’élimination.
Vous évoquez un nouveau projet. Pouvez-vous nous raconter en quoi il va consister ?
Après ces huit ans et la réalisation de trois spectacles bilingues, j’ai décidé de me lancer ce nouveau défi et de réaliser un spectacle entier dans ma langue maternelle, que je n’ai jamais exploité à son potentiel maximal. Pour le moment, lorsque j’ai fait des tournées à l’international, je m’adresse seulement à un public d’expatriés français qui comprend très bien les moments en anglais. Je crois que j’ai atteint la limite de ce que je peux faire avec le bilingue. Et terminer ma troisième tournée par un Zénith, c’est déjà pas si mal ! Désormais, j’ai envie de voir jusqu’où je peux aller en langue anglaise et me concentrer sur les pays anglophones. L’humour est un monde très saturé. Je débarque en tant qu’homme blond, hétérosexuel et d’une trentaine d’années. Peut-être n’aurai-je pas de plus-value par rapport aux autres humoristes.
Finalement, c’est une prise de risque énorme dans votre prochaine étape de carrière ?
C’est comme si j’ouvrais une boulangerie française à New York. Avec mon “background” français, la boutique va cartonner car aux Etats-Unis, on ne fait pas du bon pain. Mais, si ça tombe, je me rendrai compte que mon pain n’est pas si bon que cela lorsque je rentrerai en France et me comparerai aux boulangeries françaises. C’est l’analogie que je fais aujourd’hui : désormais, je vais me comparer à des stand-upeurs des scènes anglaise et américaine assez incroyables. Pourquoi d’ailleurs ? Tout simplement parce que le stand-up existe depuis plus longtemps dans ces pays-là. Par exemple, les blagues sur le véganisme existent depuis 10-15 ans aux Etats-Unis, en Angleterre… Il faut que j’innove.
Êtes-vous seul pour écrire et construire vos sketchs et spectacles ?
J’ai fait le choix d’écrire tout seul. C’est peut-être le côté puriste mais je ne retrouve que dans le stand-up : livrer ses propres sentiments et son avis sur le monde, pas besoin de coauteur qui pourrait diluer un peu ses opinions. Mais je comprends les humoristes qui s’entourent. Les plus grands artistes, comme Chris Rock ou Kevin Hart, travaillent avec de grandes équipes car ils ont la pression de sortir des spectacles très souvent. Dans le stand-up, il est intéressant d’avoir les retours d’humoristes qui t’accompagnent pendant la soirée et qui te conseillent sur certaines blagues que tu viens de faire. Mais ce ne sont pas des coauteurs officiels. Mon manager ou ma femme me partagent aussi leur ressenti.
Pour terminer, avez-vous un dernier mot, ou plutôt une chute à cette interview ?
C’est vraiment incroyable d’avoir l’opportunité de jouer dans d’autres villes francophones, que Bruxelles, Luxembourg, Monaco, mais aussi qu’il y ait des personnes comme Coline Carteau pour lancer le Frenchy Comedy Club à New York et faire rayonner l’humour français dans le monde !"