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Un Français victime de squatteurs en Espagne témoigne: "J’ai vécu 3 ans de calvaire"

Michel -nom fictif- a accepté de témoigner en exclusivité pour lepetitjournal.com. Son identité restera anonyme car "ils savent tout sur ma famille, et moi, rien sur eux".

Un homme désespéré se prend la tête dans les mainsUn homme désespéré se prend la tête dans les mains
Gerd Altmann - Pixabay
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 30 septembre 2023, mis à jour le 24 octobre 2023

Quand on écoute son témoignage, on se rend vite compte que cela peut arriver à n'importe qui. "J’avais acheté cet appartement il y a quelques années – se souvient Michel- comme investissement pour le louer et avoir ainsi un revenu complémentaire, d’autant que je suis près de la retraite. C’est un appartement modeste, dans un quartier tout à fait normal, sans problème, bien placé, en face du centre commercial de la Vaguada à Madrid".

 

Photo d'un apparte neuf
Photos de l'appartement juste avant la location en 2018

 

Dommages collatéraux du Covid

Bref, un quartier sans histoire. Puis, survient la pandémie. "Mon locataire a alors décidé qu’il ne paierait plus -raconte Michel-. Il savait qu’il n’y aurait pas de poursuites contre lui. Je ne pouvais rien faire. J’ai donc pris mon mal en patience, mais une fois le confinement terminé, il a continué à ne pas payer". Et cette attitude a fait des émules: "Sur le même palier -poursuit Michel, le voisin d’en face, également locataire, a commencé à faire la même chose en disant que son père était mort du Covid et qu'il ne pouvait pas payer".

Un jour, un voisin m’a appelé incognito, en me disant 'je ne t’ai pas prévenu, mais ton appartement est vide, alors fonce' 

Il faut rappeler que la situation provoquée par le coronavirus avait conduit le gouvernement espagnol à établir des mesures extraordinaires en faveur des locataires, dans le but de protéger les ménages dits vulnérables. Ainsi, les locataires se trouvant dans une situation de "vulnérabilité économique en raison du COVID-19" pouvaient demander un report temporaire et extraordinaire du paiement du loyer. En outre, les expulsions avaient également été suspendues, mesure étendue jusque fin décembre 2021.

Devoir enquêter sur le mauvais payeur

Face à une telle situation, Michel prend le taureau par les cornes. "Il a fallu se procurer un avocat. On a même dû enquêter pour démontrer que le locataire travaillait, sa femme aussi, et que donc il avait les mêmes revenus qu'avant. La justice a donc finalement décidé de le mettre dehors".

Et le cauchemar continue....

Tout ce processus a duré plus d'un an. Malheureusement, son cauchemar était loin d'être terminé... "Le problème ne s'est pas arrêté là -explique Michel. Quand le locataire est parti, comme représailles, il a laissé les clés au voisin d’en face, c’est-à-dire à celui qui ne payait pas non plus son loyer et qui a "sous-loué" mon appartement. J’ai essayé d’ouvrir ma porte mais la serrure avait été changée et celui qui était dans mon logement m’a dit qu’il était chez lui et que je n’avais rien à faire ici!".

Comme les squatteurs savaient la date et l'heure de l'expulsion, ils avaient mis des enfants en bas âge dans l'appartement, et ils n'ont donc pas pu être délogés

Deux types de squatters: Inquiokupa et okupa

Rebelote, donc, pour ce Français qui avait d'abord subi les affres de ce qu'en Espagne on appelle désormais les "inquiokupa" (mélange d'inquilino -locataire- et okupa -squatteur, c’est-à-dire un locataire qui ne paie plus son loyer). Michel devait maintenant lutter contre un okupa, qui était rentré dans son appartement sans y avoir été invité. "Tout recommençait, sauf que cette fois, en plus, je ne savais pas qui occupait mon appartement! J’ai porté plainte à la police qui m’a dit qu'on ne pouvait rien faire. Et là encore, ça a duré plus d’un an. Pendant ce temps-là, je recevais les plaintes des voisins. Parce que, finalement, il y avait deux appartements squattés sur le même palier et les voisins n’étaient pas tranquilles".

 

Treize mois après, la justice a enfin décidé d'expulser l'okupa mais, avec la nouvelle loi sur le logement, le squatteur est prévenu du jour et heure d'expulsion. "La police est arrivée avec des employés du tribunal mais comme les squatteurs savaient qu'ils venaient, du coup, ils avaient mis des enfants en bas âge dans l'appartement, et ils n'ont donc pas pu être délogés".

Un parcours du combattant de plus de 3 ans

Deux jours plus tard, les okupas étaient partis et l’appartement était vide. "La porte d'entrée était éventrée, alors la première étape a été de mettre d'urgence une porte métallique provisoire, et également une alarme. Et pour ça, il fallait remettre l’électricité pour que l’alarme puisse marcher. Je devais me dépêcher parce qu'on avait toujours les squatteurs en face et le risque était qu'ils pouvaient remettre quelqu’un à l’intérieur de mon logement. Heureusement, grâce à mon avocate, les squatteurs voisins ont finalement été délogés 15 jours plus tard".

 

Plusieurs photos de l'état délabré de l'appartement après le départ des squatteurs
Plusieurs photos de l'état de l'appartement après le départ des squatteurs

 

Ce véritable parcours du combattant, qui a duré près de 3 ans et demi prenait fin. "Bien évidemment, c’était un soulagement de récupérer l’appartement car c’est dur de ne pas savoir quand on va le récupérer, et dans quel état… Donc ça a été la fin de la première partie de ce cauchemar, mais je suis encore en plein travaux pour remettre sur pied le logement".

Tout refaire à neuf

Bref, encore et toujours des frais. Heureusement, il s'agit d'un petit appartement de 55 m², mais le propriétaire a dû le rénover en entier. "Il a fallu refaire toutes les portes, les fenêtres, la cuisine et salle de bain. Ils avaient emporté tous les électroménagers. Certains meubles était détruits ou avaient disparu. Ensuite, le jour où ils sont partis, ils ont pris tous les grands containers de poubelles et les ont vidé dans l’appartement! Ce qui fait qu’il a fallu passer tout le week-end à vider de toute urgence les immondices, en plus il faisait très chaud ces jours-là. Même le sol était dans un état lamentable; sous les lattes, c’était indescriptible, on imagine que les chiens pissaient par terre, etc".

Ils commandent par exemple une pizza ou à Mercadona, et quand la police arrive, ils montrent le ticket en disant 'voyez, c’est bien chez moi'

Et pourtant, Michel a vu pire. "Lorsque l’appartement d’en face a été vidé, le propriétaire m’a montré l’état dans lequel il était. Je pensais que mon appartement était complètement détruit, mais ce n’était rien comparé au sien... Un état de destruction et délabrement absolument incroyable. Il faut le voir pour le croire, surtout qu’ils vivaient là-dedans".

 

Quant à son assurance habitation, elle n'a pas tout pris en charge, loin de là! "Selon le contrat d'assurance, il y avait une clause vandalisme, dégâts esthétiques, assistance juridique et en principe, cela couvrait tout ça, mais depuis que l’expert est venu, ce n’est toujours pas résolu. C’est absolument lamentable, une assurance prise auprès de ma banque. J’ai porté plainte aussi contre l’assurance".

Et 4 ans sans toucher de loyers

Pendant ce temps-là -Michel a récupéré son appartement en avril dernier- le logement n’est toujours pas loué, vu que les travaux sont loin d'être terminés. "J’ai vécu trois ans et quelques de calvaire et quatre ans de manque à gagner. Depuis le Covid, pour moi non plus les choses ne sont pas faciles et cette histoire est arrivée juste au moment où j’en avais le plus besoin". Michel travaille à son compte et, avec la pandémie, il a aussi souffert d'une perte de revenus.

Si je vends, comme ce n’est pas ma résidence principale, ce serait vraiment une opération financière désastreuse

"Je pensais que c’était normal d’acheter un appartement avec ses économies pour pouvoir le louer et avoir un revenu complémentaire pour sa retraite. A la fin, on est considéré comme 'le salaud de bourgeois', un propriétaire qui ne pense qu’à son fric! Et les gens ne s'imaginent pas que cela puisse arriver dans leur quartier, ils pensent que les voisins vont prévenir, mais le problème c’est que les gens sont morts de peur".

Les commandos Wagner de l'anti-okupa

La peur est en effet le maître-mot dans ces histoires de squat. "En plus le problème, c’est qu'eux, ils savent tout sur nous par le tribunal. Ça veut dire que là, en ce moment, même ce locataire qui est parti sait où je vis, où vit ma famille. Eux savent tout et nous, on ne sait rien, parce qu'on porte plainte 'contre un résident inconnu'". D'ailleurs, la plupart des propriétaires ne portent pas plainte. Certains ont recours à ce que l'on pourrait nommer les "Wagner" anti-okupa, des gros-bras payés par le propriétaire pour négocier avec l'okupa pour qu’il parte. "Mais attention -souligne Michel, si l'on porte plainte au commissariat, on ne peut plus avoir recours à ces gens-là, ce sont aussi des délinquants, mais c’est sûr que c’est le plus rapide..."

 

Et même si les voisins collaborent un peu, cela ne sert à rien. "Un jour, un voisin m’a appelé incognito, en me disant 'je ne t’ai pas prévenu, mais ton appartement est vide, alors fonce'. J’ai appelé mon avocate qui m’a dit de ne surtout pas y aller, parce que c’était "leur" domicile et que ce serait moi le coupable, passible de poursuites!".

Des squatteurs qui connaissent toutes les combines

"Justement, côté justice -continue le propriétaire désabusé, ils ne font rien et les politiciens s'en balancent, personne ne veut résoudre ce problème. En plus, ces okupas connaissent toutes les ficelles et dès qu’ils rentrent dans un appartement, ils se dépêchent de déclarer leur domicile, pas seulement avec 'l'empadronamiento' mais surtout, ils commandent par exemple une pizza ou à Mercadona, et quand la police arrive, ils montrent le ticket en disant 'voyez, c’est bien chez moi'".

 

Photo actuelle de la cuisine en travaux
Photo actuelle de la cuisine en travaux

 

Et pas question non plus de couper l'eau ou l'électricité. Michel a continué à payer l’eau et les charges. "Par contre l’électricité, ils l'avaient ponté en se  branchant au compteur général et pour le gaz, ils avaient amené des bonbonnes de gaz".

Vendre ou relouer???

Et après une telle expérience, quelle décision notre Français a-t-il pris pour ce logement? "Vendre ou louer? Mon cœur balance…, mais si je vends, comme ce n’est pas ma résidence principale, ce serait vraiment une opération financière désastreuse. Alors, effectivement, beaucoup vendent parce qu’ils n’en peuvent plus mais mon conseil, c'est de prendre une bonne alarme et une bonne assurance okupa et loyers impayés".

De plus en plus de "fausses" assurances loyers impayés en Espagne