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Molière, seul en Espagne à proposer Numérique & Sciences Informatiques

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Valérie Servissolle, proviseure du lycée / lepetitjournal.com
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Publié le 7 mars 2020, mis à jour le 7 mars 2020

Dans un monde où l'effervescence autour du numérique a pris, ces dernières années, une dimension inconnue jusque-là, et où les métiers d'aujourd'hui, centrés autour de l'utilisation des données et de leur analyse posent la question de ce que seront les métiers de demain, dans un monde où la sphère que nous appelions hier encore virtuelle fait désormais partie de notre quotidien et s'avère chaque fois plus réelle, quelle place accorder au sein de l'école à cette part de la technologie qui conditionne à tel point notre vie et conditionnera tellement celle de nos enfants ? Au-delà de son usage dans les établissements scolaires, comment intégrer cette nouvelle donne au processus pédagogique ?

 

Pour Valérie Servissolle, proviseure du Lycée Molière à Villanueva de la Cañada (Madrid), la citoyenneté des élèves est au cœur des débats. "Nous voulons que les enfants acquièrent la maîtrise du monde dans lequel ils vivent, au lieu d'en être les otages", défend elle. "On imagine trop souvent que les jeunes d'aujourd'hui, parce qu'ils baignent dans l'outil numérique, le contrôlent. Or c'est faux. Ce n'est pas parce qu'ils naissent dans un monde digital qu'ils sont des digital natives", poursuit la proviseure. 

De fait, voilà plusieurs années que le débat sur l'introduction des outils numériques à l'école est ouvert. Tableaux blancs interractifs, tablettes, PC... Les salles de cours se sont progressivement peuplées de nouvelles machines, suivant le cours des choses, avec des investissements pas forcément toujours réalisés à bon escient, mais aussi souvent, avec une pédagogie et des usages à la traine. "Ce n'est pas l'outil qui doit conditionner notre démarche pédagogique", avance Valérie Servissolle, "mais notre capacité à exprimer nos besoins pédagogiques, qui doit permettre de faire le choix des outils avec lesquels nous souhaitons travailler". Et de mettre en avant la démarche qualité mise en place dans son établissement : définition des besoins, achat des matériels, évaluation de ces derniers. Une démarche qui s'inscrit dans une dynamique qui implique l'ensemble de la communauté éducative, allant de la direction aux élèves, en passant par les personnels administratifs, les enseignants et les parents. Surtout, une démarche qui se doit d'être transversale : "Il ne s'agit surtout pas de se contenter de superposer des projets sans connexion entre eux", précise celle qui, de par son parcours au sein d'établissements notamment technologiques, reconnaît une véritable appétence pour la question.

 

La technologie, les sciences et l'industrie ont besoin de femmes

Ainsi Molière est le seul lycée français de la péninsule Ibérique, avec celui de Lisbonne, à proposer la spécialité "Numérique et sciences informatiques" (NSI) en Première et en Terminale. On le sait, avec la réforme du Baccalauréat, il n'y aura plus de filière à partir de 2021. C'est une "coloration" de leur parcours que les bacheliers feront valoir, avec un choix de 3 spécialités, sur 6 proposées. Au-delà des "sciences numériques et technologiques" intégrées au tronc commun dès la Seconde, et sa mise en place au sein de l'établissement dès 2018, Molière a donc souhaité donner une continuité en se donnant les moyens, notamment en termes de ressources humaines et donc de recrutement du professorat correspondant, de proposer la spécialité NSI sur la partie finale du cursus. Sur 50 élèves déjà concernés, 17 d'entre eux ont choisi la spécialité, avec une parité notoire entre filles et garçons. "Pour nous, il est important de faire comprendre aux jeunes filles qu'en s'engageant dans les métiers technologiques, elles ont des ponts d'or assurés à l'avenir. La technologie, les sciences et l'industrie ont besoin de femmes", remarque au passage Valérie Servissolle.

 

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François Boyer, en charge du "pôle sciences et technologies" / lepetitjournal.com

Dès 2018 en tous cas, avec l'ensemble de ces considérations présentes à l'esprit, et suivant l'impulsion donnée par la Mission laïque française et ses "Rencontres du numérique", un comité de pilotage a été mis en place dans le lycée, visant à coordonner et rationaliser la démarche numérique au sein de Molière. "On ne se lance pas dans un projet numérique global sans formation des enseignants", illustre ainsi la proviseure. "La persuasion des parents d'élèves de l'intérêt de la démarche est aussi essentielle", relève-t-elle encore. Former et sensibiliser les professeurs, convaincre (et rassurer) les parents, mais aussi doter les élèves d'un PC dès la Cinquième (avec l'investissement correspondant à la charge des familles), définir un environnement de navigation garantissant la protection des données, installer la fibre et toute l'infrastructure logistique appropriée, matérialiser un "pôle sciences et technologies", établir les processus de contrôles et surtout intégrer la démarche numérique au service du projet d'établissement et de son inquiétude citoyenne, ont constitué autant d'étapes nécessaires au lancement de cette dynamique. Désormais l'établissement peut se targuer d'avoir organisé un environnement pédagogique qui intègre, utilise et valorise la technologie. C'est aussi une conception de nouvelle de l'enseignement -et de l'apprentissage- qui découle de ce changement de paradigme.

 

Passage du "professeur source" au "professeur ressource"

L'illustration la plus directe de cette évolution pédagogique a lieu en NSI, où François Boyer, en charge du "pôle sciences et technologies" transmet son savoir-faire aux élèves... et vice versa ! Ex prof de maths, ce quadra touche à tout est passé par le privé avant de revenir au monde de l'enseignement, version 2.0. "La différence avec avant, c'est qu'aujourd'hui en classe il y a un pan entier de ma matière où je ne sais rien et que je dois découvrir", explique-t-il. "Les élèves arrivent avec un projet et il faut que je me débrouille pour le mettre en place, ensuite nous créons un 'Wiki' pour que les autres enfants profitent du savoir acquis". C'est ce passage du "professeur source" au "professeur ressource" qui constitue un véritable chamboulement de la logique traditionnelle de l'enseignement. "C'est un rapport à l'apprentissage complètement différent. Les élèves ne sont dorénavant plus de simples réceptacles qui reçoivent des connaissances de façon passive", s'enthousiasme Valérie Servissolle. "C'est une matière où il faut apprendre à chercher et à discriminer ce que l'on va chercher", complète François Boyer, "ou autrement dit où il faut apprendre à outiller sa pensée". La coopération, le partage d'information, la capacité à travailler en équipe, constituent des compétences centrales de ce nouveau type d'enseignement. Tant mieux : ce sont certaines des compétences professionnelles qui seront les plus recherchées au 21e siècle, selon le Projet Éducation 2030 de l’OCDE. Pour Boyer, il ne s'agit donc pas uniquement "de toucher du code" (Javascript et Python en l'occurrence), mais bien que cet apprentissage de la programmation soit au cœur d'une démarche plus globale mobilisant des capacités et des savoirs beaucoup plus larges. "Il y a une véritable horizontalité qui s'établit, c'est la fin du rapport descendant où l'enfant est enfermé dans une posture de non réflexion", renchérit la cheffe de l'établissement... Bref, le début de l'esprit critique.

 

Esprit critique, éthique et citoyenneté numérique

Et c'est bien là le nerf de la guerre. "Des changements technologiques d'une telle ampleur, soit on lutte contre, on les subit et on perd, soit on les voit venir et on accompagne la vague... Et on conserve in fine sa capacité à changer le monde", estime la proviseure. "Plus on introduit de technologie dans la pédagogie, plus on doit y mettre de l'éthique", poursuit-elle encore. En plus de toute une démarche pédagogique autour des neuro-sciences, concomitante au projet numérique, et à l'établissement d'enquêtes et de contrôles sur les usages et le rapport qu'entretiennent les élèves avec les outils mis à leur disposition, un renforcement en philosophie, où un "co-enseignement" est prévu dès l'an prochain, devrait permettre de ré-affermir certains principes de base en lien avec le libre arbitre. "Il faut aider les élèves à se réapproprier ce monde-là [celui du numérique]. C'est la seule façon de les rendre libres par rapport à ça", conclut Valérie Servissolle.