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La "guerre de l'eau" éclate en Espagne en pleine année électorale

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MITECO
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 23 janvier 2023, mis à jour le 20 novembre 2023

Le transfert d'eau du fleuve Tage au Segura (El trasvase Tajo-Segura), fait à nouveau la une des journaux. D'où vient cette guerre et quelles sont ses implications. Décryptage.

 

"Vous nous noyez", illustraient les banderoles des milliers d'agriculteurs venus en masse à Madrid pour protester contre le plan conçu par le gouvernement pour en finir définitivement avec le transfert du Tage au Segura qui existe depuis plus de 40 ans. Selon les manifestants, cette décision augmentera considérablement la sécheresse et le chômage dans ces régions.

Le transfert d'eau du Tage au Segura est une question récurrente qui oppose à nouveau les régions de Murcie (PP), d'Andalousie (PP) et de Valence (PSOE) à celle de Castille-La Mancha (PSOE). Autrement dit, et pour corser encore le débat, deux des régions en conflit à cause de l'eau sont gouvernées par des socialistes, ce qui n'est pas pour faciliter les choses à Pedro Sanchez en cette année électorale décisive. Et élections obligent justement, les partis politiques PP et PSOE étaient côte à côte pour envoyer des délégations au rassemblement, ainsi que les gouvernements de la région de Murcie, de la Generalitat Valenciana et de la Junta de Andalucía. Un indice que la "guerre de l'eau" sera l'un des principaux thèmes de cette année électorale.

 

Pancarte avec Canal du transfert tage-segura devant le canal
MITECO

L'histoire débute dans les années 20

Ce grand ouvrage hydraulique du XXe siècle trouve son origine dans le projet d'un brillant ingénieur des mines madrilène, Manuel Lorenzo Pardo, qui voyait ainsi le moyen d'éradiquer les déséquilibres hydrographiques entre l'Espagne humide du Nord et l'Espagne sèche du Sud, grâce à un transfert de 2.300 hectomètres cubes par an des sources du Tage et du Guadiana vers la péninsule de Levante.

Les premières études débutent pendant la dictature du général Primo de Rivera. Mais c'est le ministre des Travaux publics de la seconde République, le socialiste Indalecio Prieto, qui défend la nécessité d'un plan hydrologique national (PHN) visant à faire de l'eau et de sa répartition territoriale une véritable question d'État, sans couleurs politiques ni motivations idéologiques. Il affirme que ceux qui refuseraient ce plan "ne seraient pas des ennemis du régime, mais de misérables traîtres à l'Espagne". Et c'est ainsi que le transfert d'eau Tage-Segura est approuvé en 1933 par le Parlement espagnol dans le cadre du plan national des travaux hydrauliques.

 

carte du projet transfert tage-segura en 1933
Carte du projet de transfert Tage-Segura en 1933/CC

 

Cependant, le manque de budget, la crise économique en Espagne et le déclenchement de la guerre civile (1936-39) ont paralysé le projet. Il faudra attendre les années 60 pour que les travaux démarrent. Ils finiront en 1979, lorsque les premières eaux du fleuve Tage arriveront sur les terres du Levante espagnol.

Un ouvrage hydraulique gigantesque

Le transfert d'eau Tage-Segura est une infrastructure d'une longueur de 300 km, qui traverse Castilla-La Mancha jusqu'au réservoir de Talave, d'où l'eau est distribuée à Murcie, Alicante et Almeria. Il existe aussi une dérivation vers le bassin de Guadina, qui sert à transporter de l'eau du transfert Tage-Segura vers les Tablas de Daimiel, l'une des zones humides les plus importantes du pays et qui se trouve dans une grave situation de sécheresse structurelle. Grâce a cet ouvrage hydraulique gigantesque, l'eau est acheminée par un canal d'une capacité de 35 m3 d'eau/seconde, avec des sections en tunnels et d'autres en aqueducs.

 

un des canaux de transfert de l'eau Tage-segura
Un des canaux de transfert Tage-Segura entre Pozo Aledo et Avileses/CC

Expansion de la richesse agricole de l'Espagne

La mise en œuvre définitive de l'aqueduc Tage-Segura a permis l'expansion de l'horticulture intensive actuelle dans le sud-est de l'Espagne, qui en fait l'une des plus grandes zones d'Europe pour la production de légumes hors saison en plein air, au point d'être connue comme le "potager de l'Europe".

Jusqu'à présent, les aspects historiques et techniques d'un grand ouvrage d'ingénierie qui, dans la sphère politique, a donné lieu, au fil des ans, à une "guerre de l'eau", un conflit qui a éclaté non seulement entre les partis politiques mais aussi entre plusieurs régions espagnoles comme Castille-La Manche, Murcie ou Valence. Une situation qui s'est encore aggravée avec les dernières sècheresses.

 

viaduc de transfert tage-segura par castilla-la mancha
Viaduc du transfert Tage-Segura qui traverse Castilla-la Mancha/MITECO

 

Une guerre de l'eau sur fond de sècheresse et d'écologie

À un moment où l'eau commence à être valorisée comme un aspect économique fondamental et où elle devient rare, cette politique de confrontation s'est radicalisée entre les régions qui transfèrent l'eau et celles qui la reçoivent. Les controverses sont de nature structurelle et conjoncturelle. On peut citer l'augmentation continue de la demande d'utilisations agricoles, urbaines, industrielles et touristiques, dont beaucoup sont hautement spéculatives et suscitent des doutes quant à leur durabilité économique. L'agriculture intensive dans la région de Murcia est aussi souvent critiquée comme étant à l'origine de la situation dramatique de Mar Menor, de plus en plus polluée.

La polémique: la fixation du débit écologique du Tage

Actuellement, si des milliers d'agriculteurs de Murcie, de la Communauté valencienne et d'Andalousie ont manifesté à Madrid, c'est contre la fixation du débit écologique du Tage, une initiative de la ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera, qui limite le débit des eaux transférées vers le Levante depuis les terres de Castille-La Manche.

 

una canalisation du transfert Tage-Segura

 

En effet, le nouveau plan hydrologique du Tage inclut pour la première fois le concept de "flux écologique". Selon les calculs des communautés concernées, cela pourrait représenter une perte de 105 hectomètres cubes par an, soit près de la moitié de ce qui est transporté actuellement.

Désalinisation de l'eau, une alternative chère

Comme alternative, le gouvernement s'est engagé à fournir l'eau qui cessera de couler vers les trois régions autonomes avec de l'eau dessalée. Le problème est que cette eau coûte cinq fois plus cher. Ainsi, l'eau de l'aqueduc coûte 0,11 euros alors que les agriculteurs paient 0,60 euros pour l'eau dessalée, subvention comprise. Sans la subvention, l'eau coûte 1,30 euros.

Autrement dit, avec une eau minimum 5 fois plus chère, les conséquences iront bien au-delà des problèmes des agriculteurs espagnols du Sud. Le reste de l'Espagne sera également touché avec des fruits et légumes plus chers, à cause de l'augmentation des coûts, ou de l'importation des fruits et légumes d'autres pays, ce qui augmentera encore les prix.

Armelle Pape van dyck
Publié le 23 janvier 2023, mis à jour le 20 novembre 2023
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