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5 légendes fascinantes de la Semaine sainte en Espagne

Encens dans l’air, tambours dans les ruelles, silhouettes encapuchonnées avançant en silence… Chaque printemps, la Semaine sainte transforme l’Espagne en un théâtre sacré, où se mêlent ferveur populaire et mystère ancien. Mais derrière l’émotion collective et la solennité des processions, une autre Semaine sainte se devine — plus secrète, plus troublante. Des récits transmis à voix basse, faits de pactes oubliés, de signes venus d’ailleurs, de gestes simples devenus légendes. Voici cinq histoires où la foi des Espagnols rencontre le surnaturel.

penitents avec habits à capuches de couleurs en procession lors de la semaine sainte en espagnepenitents avec habits à capuches de couleurs en procession lors de la semaine sainte en espagne
Anatolii Maks, Pexels.
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 15 avril 2025, mis à jour le 17 avril 2025

1. La Vierge qui guida les marins à Málaga

“Salve, estrella de los mares…” Chaque Samedi Saint à midi, à Málaga, cette prière résonne aux pieds de la Vierge de la Soledad. Mais peu connaissent l’origine de ce chant si singulier. Elle remonte à 1756, lorsqu’une frégate de la marine espagnole est prise dans une terrible tempête au large de la baie. Les marins, convaincus que leur fin est proche, se mettent à prier — et voient soudain une lumière lointaine percer les ténèbres. Elle semble les guider vers la côte. 

Miraculés, ils regagnent la terre ferme. En suivant la direction de la lumière, ils arrivent à la chapelle de la Vierge de la Soledad. Convaincus de sa protection, ils exigent — malgré les interdits liturgiques du Samedi Saint — qu’une messe soit célébrée. Le prêtre, ému mais réticent, finit par céder. 

C’est la seule fois, à cette époque, qu’une communion fut donnée ce jour-là. Le pape Benoît XIV, informé de l’événement, autorisa alors une messe annuelle exceptionnelle chaque Samedi Saint à midi. Une tradition qui perdure, ponctuée du chant de la Salve Marinera, devenu l’hymne des marins reconnaissants. Et chaque année, c’est comme si la mer elle-même, en silence, venait remercier la Vierge de la lumière…

 

 

 

 

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2. La rose d’Iñaki : une fleur pour l’espérance

Ce n’est pas un Sévillan de souche, mais son histoire est entrée dans la mémoire de la ville. En 1974, alors qu’il dirige Radio Sevilla, Iñaki Gabilondo traverse une période d’angoisse : sa première épouse est hospitalisée, gravement malade. Le Dimanche des Rameaux, alors qu’il veille à ses côtés, un médecin franchit la porte de la chambre, vêtu de l’habit de la confrérie de l’Amargura. Avec lui, quelques frères nazaréens apportent un bouquet de fleurs qui a accompagné la Vierge tout au long de la procession. Un geste bouleversant. Une espérance.

 

 

rose blanche et rouge
Pixabay. / Une simple rose offerte par amour devint, à Séville, une tradition sacrée.

 

 

Le lendemain, touché par ce qu’il a vécu, Gabilondo décide d’envoyer une rose à plusieurs confréries de la journée, en offrande, pour prier discrètement pour la guérison de son épouse. Parmi elles, la confrérie de Santa Marta. Alors que l’on termine les préparatifs du paso du Cristo de la Caridad, les responsables de la confrérie découvrent la rose. Le frère aîné de l’époque, Manuel Otero Luna, et les priostes, José Joaquín Gómez et Paco Cabello, décident de la placer avec soin sous la main du Christ en croix, à l’endroit même d’où coule symboliquement sa dernière goutte de sang. Un détail discret, mais chargé de sens.

Les années passent. Et cette rose revient, encore et encore, chaque Lundi Saint. Elle devient un élément du paso, une légende silencieuse. Ce n’est que vingt ans plus tard, grâce à un article d’Antonio Burgos, que Gabilondo apprend que cette rose, c’était la sienne. Ému, il reprend contact avec la confrérie. Depuis, il entretient une relation profonde avec Santa Marta, sans en être membre, mais en y étant toujours présent. Il a même prononcé une méditation devant le Cristo de la Caridad, récitant le Notre Père… en basque, comme sa mère le lui avait appris.

Chaque année, désormais, une rose symbolique est envoyée par Gabilondo et placée au même endroit. Une fois la procession achevée, cette rose est remise à un frère malade, en signe d’espoir et de fraternité. À Séville, ce détail est désormais connu de tous : on l’appelle “la rosa de Iñaki”.

 

 

 

3. La malédiction de l’épine de Séville 

L’histoire commence comme un conte ancien. En 1421, des ouvriers découvrent, lors de travaux dans l’église San Martín de Séville, une boîte de plomb. À l’intérieur, une relique inestimable : une épine de la couronne du Christ. L’émotion est immense. Conservée sous verre, cette épine attire les foules. On dit qu’elle guérit les malades, qu’elle soulage les douleurs. La ville l’adopte, et une confrérie se crée autour d’elle : la Hermandad del Valle.

 

 

Mais en 1657, un prêtre nommé Agustín de Herrera emporte la relique chez lui, l’église étant fermée. Cette nuit-là, sa maison est cambriolée. Et la relique disparaît. Le silence s’installe pendant des années… jusqu’à ce qu’un homme, rongé par les malheurs, vienne la restituer en secret. Depuis qu’il possédait la relique, rien n’allait plus dans sa vie : décès, maladies, ruine... Il demande pardon. Ceux qui sont “purs”, dit-on, ne craignent rien. Mais lui… ne l’était pas.

La relique retrouve sa place. Et depuis, un certain respect, presque craintif, entoure la procession de La Lanzada, où l’on dit que cette épine, invisible mais bien présente, rappelle à chacun le poids de ses promesses, et de ses péchés.

 

 

 

La Semaine Sainte en Espagne

 



 

4. El Rico : l’histoire vraie d’une grâce unique en Espagne

Chaque Mercredi Saint, à Málaga, les regards se tournent vers la confrérie de Jesús "El Rico", l’une des plus attendues de la Semaine sainte. Mais c’est un geste singulier qui captive les fidèles et les curieux : la libération d’un prisonnier au pied même du paso du Christ. Une tradition unique en Espagne. 

 

 

L’histoire remonte au XVIIIe siècle, alors qu’une terrible épidémie de peste frappe Málaga. Les rues sont désertes, les confréries paralysées. Dans leur prison, quelques détenus — miraculeusement épargnés — adressent une demande aux autorités : porter eux-mêmes la statue de Nuestro Padre Jesús El Rico en procession pour implorer la fin du fléau.

Face à leur insistance, les responsables refusent. Trop risqué. Mais les prisonniers n’en démordent pas : ils s’évadent, organisent la procession, puis reviennent tous en cellule, sans exception. Tous, sauf un… qui revient le lendemain, les bras chargés d’un étrange objet.

Selon la légende, ce prisonnier aurait profité de sa fugue pour s’introduire dans une église vide de Málaga, et y dérober une sculpture de la tête de Saint Jean-Baptiste. Il la rapporte à la prison et la dépose au chevet d’un codétenu très malade. Peu après, ce dernier guérit. Le récit fait le tour de la ville.

Depuis, cette tête sculptée, surnommée “la cabeza del milagro”, est précieusement conservée par la confrérie. Chaque année, elle est déposée aux pieds du Christ "El Rico" pendant la procession. 

Informé de l’épisode, le roi Carlos III, touché par la ferveur et le repentir des prisonniers, accorde à la confrérie un privilège exceptionnel : le droit de libérer un détenu chaque année, lors de la procession du Mercredi Saint. Ce décret royal, toujours en vigueur, fait de Málaga la seule ville d’Espagne où une grâce judiciaire est accordée à des fins religieuses.

Aujourd’hui encore, la foule se presse devant Jesús El Rico, non seulement pour sa beauté sculpturale, mais aussi pour ce qu’il incarne : le pardon accordé à ceux qu’on croyait perdus, la foi capable de déplacer les barreaux… et le souvenir d’un homme, un jour, qui déroba une tête pour sauver une vie.

 



 

5. Jesús del Rescate : le Christ revenu du Maroc

À Grenade, la figure de Jesús del Rescate ne laisse personne indifférent. Vénéré chaque Lundi Saint dans les rues de la ville, ce Christ au regard apaisé et à la tunique pourpre est porteur d’une histoire singulière, irréelle. 

 

 

 

La légende commence en 1682, alors que la ville de La Mamora — aujourd’hui Mehdía, sur la côte marocaine — tombe aux mains des troupes du sultan Muley Ismaïl. Dans le chaos, une statue du Christ est capturée. Elle est ensuite emmenée à Meknès, capitale impériale du royaume, traînée dans la poussière, exposée à l’humiliation publique.

C’est alors qu’intervient un religieux de l’ordre trinitaire, fray Pedro de los Ángeles. Connu pour son engagement dans le rachat des captifs chrétiens, il ose l’impensable : il se présente devant le sultan et plaide pour la statue comme il l’aurait fait pour un prisonnier vivant. Muley Ismaïl, amusé ou impressionné, accepte. Mais à une condition : que le moine paie le poids de la statue en or.

Le religieux accepte. Une balance est installée. On y pose la statue. Dans l’autre plateau, on commence à empiler des pièces d’or. Et là, se serait produit un miracle : la balance s’équilibre avec exactement trente pièces. Ni une de plus, ni une de moins. Le même nombre que les trente deniers de Judas, soulignent les fidèles.

Les témoins de la scène multiplient les pesées, sans comprendre. Le résultat reste le même. La statue est libérée. Et bientôt, elle retrouve l’Espagne, escortée par des chants et des prières. Depuis ce jour, Jesús del Rescate est l’un des visages les plus aimés de la Semaine Sainte andalouse. 



 

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