Après des décennies passées dans une entreprise, difficile de s’imaginer la quitter. Et pourtant, il arrive qu’involontairement, la vie prenne un autre tournant. Se faire mettre à la porte du jour au lendemain est un véritable challenge une fois passé le cap de la cinquantaine. Mais ce défi peut aussi se transformer en opportunité. Pour réaliser cet article, nous sommes partis à la rencontre d’expatriés français qui ont accepté de nous raconter leur expérience.
Faire son deuil
Dans un monde où la valeur du travail est constamment mise en avant, la perte de son emploi peut représenter un terrible affront, surtout dans la cinquantaine. Se retrouver sur le carreau entraîne une phase obligatoire de deuil, comme l’explique Patricia Weissend, coach pro spécialisée dans la reconversion professionnelle : “Quand on se fait virer, avant de se projeter dans le futur, il faut digérer la nouvelle.”
Quand vous êtes dans un pays d'accueil, mais que vous n'êtes pas natif, la situation est encore plus compliquée. En Espagne, j’étais considéré comme un Français et en France, comme un Espagnol
Stéphane de Creisquer a 54 ans quand il est remercié par le groupe Volvo (Volvo Truck et Renault Truck) dans lequel il travaille depuis 28 ans. Du jour au lendemain, il est passé d’un poste de directeur général à devoir chercher du boulot. “Même avec une trajectoire de carrière impeccable, l'accident est arrivé. Je ne m'y attendais pas et ça a été très douloureux.” Comme l’explique Stéphane, “On ne s'y prépare pas. En plus, quand vous êtes dans un pays d'accueil, mais que vous n'êtes pas natif, la situation est encore plus compliquée. En Espagne, j’étais considéré comme un Français et en France, comme un Espagnol.” Son parcours de recherche d’un nouvel emploi a été long et difficile : “J’ai mis 17 mois à retrouver un boulot”. Pas étonnant quand il explique les préjugés auxquels il a dû faire face.
Les obstacles qu'affrontent les seniors
Le constat est évident : le marché du travail n’est pas très favorable aux seniors. C’est ce que souligne Patricia Weissend : “Ça n'a pas de sens pour moi, parce que je vois des seniors hyper affûtés. Avoir des générations de seniors au sein d’une entreprise, c’est indispensable, ils ont un capital de savoirs et d’expérience énorme, sans parler des soft skills, du comportemental, etc.” C’est d’autant plus indispensable aujourd’hui que la population vieillit, et que la nécessité de l’émergence de la “silver economy” est plus présente que jamais.
Il est extrêmement difficile de retrouver un poste de haut niveau dans la cinquantaine en Espagne
“Le problème quand on perd son boulot après 50 ans, c’est qu’on est trop jeune pour faire le pont avec la retraite, mais qu’on est trop vieux pour que les entreprises nous veulent, parce que les chasseurs de tête pensent que vous allez coûter très cher” ajoute Stéphane. Olivier Lepoutre renchérit : il a perdu son poste de directeur général à 54 ans. Pour lui, “extrêmement difficile de retrouver un poste de haut niveau dans la cinquantaine en Espagne. Il y a un gros problème par rapport à l’âge. (...) On est extrêmement expérimenté, voire sur-calibré pour le marché du travail. Donc les entreprises préfèrent prendre des personnes plus jeunes qui vont leur coûter moins cher”.
Quand on passe des entretiens, il faut avant tout montrer sa motivation et une énergie positive. Et c'est vraiment un facteur clé pour celui ou celle qui cherche à rebondir
Heureusement, certains employeurs parviennent à valoriser cette expérience. Laure Loiseau a eu la chance de rencontrer quelqu’un sachant valoriser sa longue expérience dans le domaine de la communication. Licenciée en octobre 2023 d’une boîte qu’elle avait co-créée, “Je me suis retrouvée du jour au lendemain à 58 ans à me demander ce que j’allais faire. Je suis partie fin octobre et le 8 janvier, j’étais déjà relancée en tant que conseillère stratégique pour Indie PR”.
Pour Stéphane de Creisquer, après 17 longs mois de recherche, la chance lui a aussi souri quand MAN Truck & Bus, une filiale du groupe Volkswagen, a su valoriser son expérience professionnelle : “L'Allemagne a réussi à valoriser la compétence et l'expérience des gens. Elle s’est aussi rendue compte avec le recul de l'âge de la retraite de ce que les seniors pouvaient apporter. (...) Quand ils m'ont embauché, j'avais pratiquement 57 ans, mais ça n'a jamais été un sujet de discussion. Ils ont mis l'accent sur mon expérience, et surtout sur ma motivation. C’est peut-être un témoignage que je voudrais apporter : quand on passe des entretiens, il faut avant tout montrer sa motivation et une énergie positive. Et c'est vraiment un facteur clé pour celui ou celle qui cherche à rebondir.”
Ne pas baisser les bras
Gaëtane Meheut a travaillé pendant 29 ans chez Yves Rocher Espagne. Face aux difficultés de la compagnie, un plan social a été mis en place. En juillet 2023, elle se retrouve sans emploi. Mais après quelques mois de deuil, Gaëtane décide de ne pas laisser tomber : “Je suis une personne très active et engagée et je considère qu'à 52 ans je ne pouvais pas rester sans rien faire. (...) Dès l'annonce du plan social en avril 2023, j'ai boosté ma présence sur LinkedIn et développé un très grand réseau de contacts, en suivant les conseils du livre que je recommande vivement, signé Hervé Bommelaer 'Trouver le bon job grâce aux réseaux'. Cela m'a permis d'apprendre et de partager énormément d'informations, d'apporter des contenus et d'échanger avec beaucoup d'entités et de personnes françaises et espagnoles”.
J'ai boosté ma présence sur LinkedIn et développé un très grand réseau de contacts
À côté de ça, Gaëtane a aussi bénéficié de l’aide de la Commission d’Aide à la Recherche d’Emploi (CARE) de l’Union des Français de l’Etranger (UFE). Cette équipe est spécialisée dans l’aide et le soutien aux personnes en recherche d’emploi. Finalement, c’est grâce à Jean-François Forgeot d'Arc, coach de dirigeants, que fin février, elle a retrouvé du travail en seulement dix jours, après avoir réorienté sa recherche vers un domaine qui lui correspondait.
Les contacts avant tout
Dans le parcours de reconversion des personnes rencontrées, un point est commun à toutes les histoires : l’importance du réseau.
Il faut vraiment savoir rester humble, et ça vous renforce en tant que personne
D’un côté, Stéphane De Creisquer met en garde sur la solidité du réseau que l’on possède : “En fait, il y a deux cas : soit, vous avez un réseau très, très fort et très fiable qui peut vous aider à sortir de la galère. Ou alors, vous avez un réseau d'apparat qui, lorsque les difficultés arrivent, change rapidement de position, les gens tournent leur veste. Et ça, sur un réseau de 200 personnes actives, il y en a eu sept qui ont fait quelque chose pour moi. Donc l'un des apprentissages que j’ai eu, c'est que les gens aiment beaucoup votre carte de visite, mais ce n'est pas forcément une affection réelle par rapport à votre personne”.
À la base, on a créé Madrid Accueil Pro pour aider les expatriés en suivi de conjoints. Mais aujourd’hui c’est adapté pour n’importe qui cherchant à rebondir professionnellement, développer son réseau ou se former
De l’autre, quand Laure Loiseau a perdu son travail, elle a directement reçu trois propositions d’emploi uniquement grâce à ses contacts. “C’est vrai que quand j’ai perdu mon boulot, j’ai essayé de faire feu de tout bois, d’aller voir tout le monde, de raconter mon histoire, et ça a assez vite fait effet boule de neige. Il faut toujours bien travailler son réseau, et surtout, être ouvert à tout.”
Sortir de sa zone de confort
Être ouvert à tout, c’est sûrement un des conseils les plus importants donnés par ces expatriés. C’est notamment grâce à ça que Valérie Watine a retrouvé du travail. Après avoir travaillé plus de vingt ans au sein d'une multinationale française, elle a vécu un plan social alors qu’elle avait 52 ans, en plein Covid. Mais quinze jours plus tard seulement, elle commençait déjà son nouveau poste : “Au moment de partir de la société, je me suis fait un point d’honneur de dire au revoir à tous les partenaires avec qui j’avais travaillé pendant toutes ces années. C’est une question d’éducation, d’éthique, de respect et de confiance. Ma transition professionnelle s’est donc bien passée. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes, au bon moment. (...) Grâce au travail et surtout grâce à mes contacts, je me suis repositionnée très rapidement dans le secteur que je connaissais, c’est-à-dire celui du tourisme. J’ai accepté à ce moment-là une mission où je sortais de ma zone de confort, qui était différente de l’activité professionnelle que j’avais réalisée jusque maintenant mais qui avait du sens par rapport à ma carrière. Le poste proposé était en deçà des responsabilités que j’exerçais jusque-là. J’ai travaillé dur et très vite, j’ai su me repositionner de façon à accéder à une situation plus pérenne et en ligne avec le niveau de responsabilités que je souhaitais par la suite”.
Oublier le passé, aller de l’avant
Après des années, parfois même des décennies passées dans une même boîte, la réaction psychologique d’un licenciement peut être très douloureuse. Pour Stéphane, “Ça a été très difficile de rester motivé dans la recherche d’un emploi. Heureusement, mon environnement familial a été super solide. Je remercie ma femme tous les jours d'avoir été là au moment opportun. Et puis il faut vraiment que vous vous battiez tous les jours pour aller chercher du boulot, pour obtenir des entretiens avec des chasseurs de tête, pour refaire vos curriculums, pour envoyer des candidatures sur lesquelles on ne vous répond jamais. (...) Il y a aussi une cure d’humilité à faire quand on perd son travail : accepter qu’après une carrière plutôt sympa en tant que directeur général pour ma part, finalement, beaucoup de gens vous ferment la porte ou vous font sentir que votre candidature n’a pas beaucoup d’intérêt. Il faut vraiment savoir rester humble, et ça vous renforce en tant que personne”.
Pour Laure Loiseau, “Si tu t’arrêtes à la peine que tu as eu, t’es coincé. Il faut avoir un sas quand on perd son emploi, mais pas long. Si on sent qu’on a encore envie de continuer à travailler, il faut vite se bouger. Le conseil que je donnerais, c’est d’être ouvert à tout type de proposition, mais surtout de ne pas essayer de retrouver exactement la même chose, essayer de ne pas comparer avec ce qu’on a eu”.
Mon emploi actuel, c’est 100 fois mieux que ce que j’avais avant. Finalement, se casser la gueule, c’est excellent!
Quand Olivier Lepoutre a perdu son poste suite à la vente de l’entreprise, il a vu deux options se présenter à lui : “Penser qu’à 54 ans je retrouverai un poste similaire aux précédents, ou faire un break et me ré-inventer. J’ai décidé de choisir la deuxième option.” C’est comme ça que trois mois après la perte de son emploi, il s’est lancé dans deux masters dans le secteur du digital. Aujourd’hui, il a créé BookyBot avec un partenaire technologique, un assistant virtuel avec intelligence artificielle qui répond au téléphone pour réserver une table au restaurant. “Ma reconversion, c’est ça. J’avais un objectif, c’était de me réorienter vers le monde de demain. Je n’y connaissais rien, je me suis formé, on a monté un projet puissant qui a une croissance exponentielle, en Espagne et à l’international. Les recruteurs pensent qu’à partir d’un certain âge on n’est plus adaptable. Mais c’est bien la preuve du contraire.”
Des structures qui aident à rebondir
À Madrid, plusieurs structures proposent un accompagnement dans la recherche d’emploi, toutes tranches d’âges confondues. Cabinets d’outplacement ou de conseil en reconversion professionnelle, voire même des associations d’accueil pour expatriés. C’est le cas de Madrid Accueil Pro, une antenne de Madrid Accueil créée durant le second mandat de Gabrielle Ruiz, ancienne présidente de l’association : “À la base, on a créé Madrid Accueil Pro pour aider les expatriés en suivi de conjoints. Mais aujourd’hui c’est adapté pour n’importe qui cherchant à rebondir professionnellement, développer son réseau ou se former. Tous les ateliers continuent à fonctionner et à être pleins, les networkings aussi. Ce n'est pas la promesse d’un retour à l’emploi, le but, c’est plus accompagner et maintenir un contact avec le monde pro”.
Il faut être ouvert à tout type de proposition, mais surtout ne pas essayer de retrouver exactement la même chose, essayer de ne pas comparer avec ce qu’on a eu
Pour Patricia Weissend, coach professionnelle, il n’est jamais trop tard pour rebondir : “Toutes les transitions sont challengeantes, mais je crois qu’il y a toujours des opportunités. J’ai la croyance qu’on peut réinventer quelque-chose tout le temps. Mais parfois il faut se faire accompagner, parce que ce n’est pas toujours facile de voir le verre à moitié plein tout seul”. En tant que coach, sa mission, c’est de chercher chez chacun à aller se connecter à une envie profonde qui vient du cœur. “C’est un long processus. Mais il faut savoir se détacher de ce qu’on a fait avant et se demander : quelles sont mes compétences quelles sont mes valeurs? Et tout ce travail sur la motivation permet de trouver du sens et du plaisir à ce qu’on aime faire.”
Comme le dit Valérie Watine, “cuando se cierra una puerta, se abre una ventana” (quand une porte se ferme, une fenêtre s'ouvre). Perdre son emploi dans la cinquantaine, pour toutes les personnes interviewées, a été comme une nouvelle opportunité. Laure Loiseau parle d’une “bouffée d’air frais”, Stéphane De Creisquer avoue être heureux d’aller au boulot tous les jours depuis qu’il a retrouvé une opportunité. Olivier Lepoutre reconnaît que son emploi actuel, “c’est 100 fois mieux que ce que j’avais avant. Finalement, se casser la gueule, c’est excellent”.