À 30 ans, il reprend une PME agroalimentaire familiale en difficulté, sans parler un mot d’espagnol. Vingt ans plus tard, il en fait un groupe implanté dans 12 pays, affichant 200 millions d’euros de chiffre d’affaires au compteur. Alexandre Pierron-Darbonne, entrepreneur et investisseur français installé en Espagne, cultive un credo clair : innover sans relâche, changer de cap avant d’y être contraint, et toujours miser sur l’humain. Dans cet entretien, il livre huit conseils pour ceux qui veulent entreprendre avec audace, lucidité… et un coup d’avance. Masterclass pour nos lecteurs.


« Rien n’est jamais acquis. Les choses changent tout le temps. Il faut se renouveler en permanence. » Alexandre Pierron-Darbonne parle vite, avec la conviction de ceux qui ont vécu plusieurs vies professionnelles en une. L’entrepreneuriat ? Pas une ligne droite, mais une succession de paris, de virages, d’intuitions.
Ingénieur en physique du solide, il débute aux États-Unis chez IBM puis General Electric, au cœur des semi-conducteurs. Brillant parcours… mais cloisonné. « Dans ces grandes boîtes, il y a peu de place pour l’initiative individuelle. J’étais frustré. » En 2003, il saute le pas. Son père lui propose de reprendre une participation familiale dans Planasa, PME espagnole du secteur agroalimentaire en difficulté. Il accepte, sans parler un mot d’espagnol.
La suite ? Une décennie d’expansion, de réinvention, de vista… Il mise sur la recherche variétale, parie sur les fruits rouges, internationalise à marche forcée. En quelques années, Planasa passe de 10 à près de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires, s’installe dans 12 pays, et transforme son modèle économique. « On ne vendait plus un produit, mais un accès à une technologie. »
Une réussite fulgurante, à force d’instinct et de remises en question. Car chez Pierron-Darbonne, le mot “stratégie” rime toujours avec agilité. Lors d’un échange organisé par Frenchfounders, et prolongé pour Lepetitjournal.com, il nous a confié les huit principes qui ont guidé son parcours. Pas des leçons, mais des lignes de force — éprouvées sur le terrain.
Conseil #1 : Traquer l’innovation partout
Pour Alexandre Pierron-Darbonne, la nouveauté est partout, y compris là où on ne la cherche plus. « Même dans les casseroles, je suis sûr qu’il y a de l’innovation ! », lâche-t-il, pince-sans-rire. Un clin d’œil qui en dit long sur sa façon de voir l’entreprise : pas comme un monument, mais comme un chantier permanent.
Les business models éternels, ça n’existe pas. Il faut se transformer sans cesse.
Face à des marchés mouvants, des clients volatils et une technologie qui file, seule compte la capacité à muter. Refuser le changement, c’est signer son arrêt de mort. Mais plus que des outils ou une méthode, c’est une énergie que l'homme d’affaires revendique : l’insolence de tout remettre en cause... et de se réinventer.

Conseil #2 : Garder toujours un coup d’avance
Alors, pas question de s’endormir sur ses lauriers. Le vrai enjeu de l’entrepreneur, c’est de ne jamais laisser le marché dicter le tempo. « Toujours avoir un coup d’avance », résume-t-il. Quitte à changer de modèle. Ou de continent.
Quand Pierron-Darbonne reprend Planasa, l’entreprise est un acteur local. Deux décennies plus tard, elle pèse 200 millions, emploie 500 personnes, est présente dans 12 pays, et a opéré une mue stratégique radicale : « On est passés d’un modèle de vente de plants à un modèle d’abonnement. Nos clients accèdent à notre génétique, et on touche un pourcentage sur leurs revenus. »
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Conseil #3 : Trouver une niche, viser le monde
Mais pour tenir sur la durée, il fallait aller plus loin. Pierron-Darbonne imagine alors une intégration verticale : ne plus seulement vendre les variétés, mais les fruits eux-mêmes, directement à la distribution. Une manière de « dérisquer le business » face à la fragilité du leadership technologique. « Regarde Blackberry : leader un jour, disparu le lendemain. »
Ce que beaucoup d’entrepreneurs cherchent aujourd’hui, c’est être petit par la taille, mais immense par la différenciation.
C’est cette logique qui l’emmène en Californie. Il y lance l’entreprise sur un marché phagocyté par des géants. « Là-bas, tu ne peux pas commencer petit. Tu dois attaquer en grand. » Pari tenu : en cinq ans, sa boîte déloge la concurrence, rachète un acteur clé et s’impose en tête du marché.
Conseil #4 : Ne rien posséder, c’est parfois l’atout maître
Pierron-Darbonne l’observe avec ironie : « Je croise beaucoup de professionnels brillants dans les fonds d’investissement. Mais ils sont trop brillants pour entreprendre. Ils voient tous les risques. Ils ont une vie trop confortable. » Une lucidité paralysante, quand l’entrepreneuriat exige au contraire de l’audace… encore de l’audace, toujours de l’audace !
Pour l’ancien CEO de Planasa, l’argent n’est pas le nerf de la guerre. « La grande erreur, c’est de croire qu’il faut du capital pour entreprendre. Alors que ce qui compte vraiment, c’est l’état d’esprit ».
Heureusement, aujourd’hui, il existe des Search funds – ces fonds de recherche permettant de reprendre une entreprise sans capital initial. Ne rien posséder peut devenir une force. « Si tu n’as pas de patrimoine, tu n’as rien à perdre… au pire, ton caleçon, jusqu’à la prochaine aventure ! »
Entreprendre sans capital, c’est possible : le search fund, modèle venu de Harvard et promu en Espagne par l’IESE, permet à un cadre sans capital de reprendre une PME. Des investisseurs financent sa recherche pendant deux ans, puis l’accompagnent dans le rachat. En échange, il obtient une part significative du capital et devient dirigeant.
Conseil #5 : Miser sur l’équipe, pas sur l’idée
Chez Pierron-Darbonne, pas de mythe non plus du génie solitaire, ni de l’illumination sous la douche. « L’équipe compte plus que le projet. » Un mantra forgé à l’épreuve du terrain, de la sueur, des virages ratés et des réussites inattendues.
Un projet médiocre avec une bonne équipe peut marcher. L’inverse, jamais.
Dans les coulisses de l’innovation, les vainqueurs ne sont pas ceux qui inventent, mais ceux qui exécutent. « Les grandes boîtes tech n’ont pas tout inventé. Elles ont su sentir le moment. Et elles ont foncé. » L’idée ne vaut rien sans ceux qui la portent, la construisent, la font grandir.
Fondé à New York, Frenchfounders réunit une communauté de plus de 25.000 leaders francophones, dont 4.000 décideurs et dirigeants à travers le monde. À Madrid comme à San Francisco, ses événements favorisent les connexions et les opportunités concrètes.
Conseil #6 : Travailler ensemble pour gagner
Interrogé sur son style de management, Alexandre Pierron-Darbonne répond en souriant : « Je n’y ai jamais pensé. » Non par désinvolture, mais parce que, pour lui, diriger une entreprise relève d’un engagement collectif total. « Travailler ensemble pour gagner, c’est l’idée. Et pour ça, il ne faut pas compter les heures. »
À l’origine, un trio efficace : lui à la stratégie et sur le terrain, un directeur R&D pour faire tourner l’innovation, et un directeur des opérations pour déployer. Pas de grandes structures, pas de process alambiqués. Juste une “team” compacte, alignée, et qui avance unie. « Je pense que je n’aurais jamais eu le succès que j’ai eu sans cette forme de dévotion.»
Conseil #7 : Transformer les échecs en opportunités
Parler de réussite, c’est facile. D’échec, beaucoup moins. Pierron-Darbonne, lui, n’élude pas le sujet. « Je me suis trompé en choisissant un partenaire financier. Mais ce n’était pas une mauvaise chose. »
L’échec n’est pas un arrêt. C’est une bifurcation. « Cela m’a permis de me réinventer, de développer ma boîte différemment, et d’avoir plus de temps pour moi. Finalement, c’est l’échec qui m’a libéré. »
Conseil #8 : Se réinventer à chaque étape de sa vie pro
Avec le recul, Alexandre Pierron-Darbonne retient une leçon : « Il faut bien choisir ses partenaires. Comprendre leurs objectifs. » Maintenant, il guide d’autres entrepreneurs. Fini les rôles exécutifs. « Je suis là au moment de l’idée, du montage, du financement. »
Il cite volontiers Jack Ma : « À 20 ans, tu apprends. À 30, tu deviens expert. À 40, tu entreprends. À 50, tu accompagnes. Et à 60, tu vas à la plage. » Notre Français n’a pas encore posé sa serviette, mais il a troqué les 52 semaines de voyages annuels contre une activité plus sereine et sélective.
Aujourd’hui, à travers son fonds Label Investments, il investit à tous les étages du capital-risque — du venture au buyout — avec une prédilection pour les débuts d’aventure. Il façonne des projets à fort ancrage industriel, comme la fusion de trois entreprises d’agrumes ou le rachat de Palacios, emblème espagnol de la tortilla. Hors de question, toutefois, de rester en retrait : « Ce sont des projets qu’on structure, qu’on construit. » Et s’il lui reste une adrénaline, elle est là : dans l’envie de bâtir. Encore. La plage attendra.
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