En remportant lundi son septième Roland-Garros, Rafael Nadal a dépassé le record de six succès qu'il codétenait avec le Suédois Björn Borg. Mais si le Majorquin règne désormais seul tout en haut de la légende du tournoi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'idylle ne dépasse pas le cadre sportif. Pourquoi le public parisien n'a-t-il jamais vraiment apprécié le "Rahan" de Manacor ?
(Photo archives AFP)
Huit participations, sept titres. Cinquante-deux victoires, une défaite. Les statistiques affolent les compteurs. Tellement que depuis lundi, Rafael Nadal occupe la plus haute marche du podium dans la légende de Roland-Garros, laissant définitivement derrière les six titres du Suédois Björn Borg. Seulement voilà, l'idylle entre le prestigieux tournoi parisien et le jeune artiste majorquin n'a d'autre cadre que le sportif. 'Rafa' Nadal est maître des courts, pas des tribunes. Encore que. La situation a bien évolué depuis l'an dernier, date de la paix officialisée par le tennisman lui-même, lorsqu'il avait remercié le public après la finale remportée en quatre sets face au Suisse Roger Federer. L'édition 2012 n'aura pas réservé de mauvaise surprise au "Rahan" de Manacor.
La blessure de 2005, l'accusation de 2006 et le séisme de 2009
Hier pourtant, au lendemain du sacre, preuve d'un malaise profond et récurrent ancré dans les esprits, la majeure partie de la presse espagnole et française croyait bon de souligner l'absence d'incompréhension entre le public parisien et le champion espagnol. Comme s'il s'agissait là d'un fait majeur de la rencontre, d'une nouveauté, d'une information inattendue. La problématique est complexe, la rupture ancienne.
Dimanche 29 mai 2005. Après avoir battu deux jours plus tôt le jeune prodige français Richard Gasquet, un espagnol de 18 ans nommé Rafael Nadal (5e joueur mondial à l'époque) rencontre Sébastien Grosjean (24e joueur mondial), l'un des chouchous du public parisien, en 8e de finale de Roland-Garros, pour ce qui est alors sa première participation. Premier set serré mais remporté par Nadal (6-4). Au début du deuxième, l'arbitre argentin reste cloué sur sa chaise alors que Grosjean lui demande de vérifier une balle litigieuse. Dix minutes de sillets assourdissants s'en suivront, puis une longue interruption de la partie. Lorsque le jeu reprend, toujours sous les grondements de la foule, le public, sans doute irrité par la domination et l'attitude du Majorquin, le prend en grippe. Toutes ses fautes directes, y compris sur la première balle de service, sont accueillies par des salves d'applaudissements, alors que les annonces du score par l'arbitre sont systématiquement huées. Grosjean rafle le deuxième set mais Nadal gagne le match et le tournoi. D'aucun prétendent que Toni Nadal, l'oncle et entraîneur, nourrit une rancoeur infinie envers le public parisien d'abord à cause de cet incident-là. Le premier d'une longue liste.
La fable française et la machine espagnole
Juillet 2006. Quelques jours après le second sacre de Nadal à Roland-Garros, au prix d'une victoire finale sur le Suisse et numéro 1 mondial, Roger Federer, Le Journal du Dimanche cite le Majorquin, l'accusant d'implication dans l'opération Puerto (vaste coup de filet contre le dopage dans le cyclisme). L'information ne sera jamais confirmée mais le doute semé chez les amateurs de sport par la presse française laisse une cicatrice profonde dans l'orgueil du clan Nadal.
31 mai 2009. Pour la première fois en quatre ans et autant de participations, Rafael Nadal a perdu une rencontre à Roland-Garros, éliminé en 8e de finale par le Suédois Robin Söderling (25e joueur mondial), en quatre sets. Toni Nadal, passablement énervé par l'inconditionnel soutien du public à l'adversaire de son neveu, s'emporte après le match : "Ils le disent eux-mêmes et c'est vrai, le public parisien est stupide. Je pense que les Français n'aiment pas voir un Espagnol gagner. Ils se comportent avec la vanité des gens qui se croient supérieurs." Rafael Nadal en personne monte au filet : "Je me sens apprécié en France mais surtout hors du court. J'ai l'habitude d'entendre crier le nom de mes adversaires quand je joue, s'attriste-t-il. C'est dommage que dans un tournoi où j'ai eu tant de grands moments, le public n'ait jamais eu un geste pour moi."
Hier matin, à l'hôtel, le vol d'une montre de 300.000 euros prêtée par la marque de luxe Richard Mille
Quelques mois plus tard, 'Rafa' Nadal bat Jo-Wilfried Tsonga lors de l'open de Paris-Bercy, sous les sifflets. "Pour nous, à Paris, le public est toujours hostile. Alors, un peu plus ou un peu moins, on est habitués?", persiflera l'oncle Toni. En juin dernier, les accusations de Yannick Noah sur le dopage généralisé en Espagne, suivies des sketches des Guignols de l'info en janvier 2012, mettant directement en cause Nadal, n'ont rien arrangé. Le roi d'Espagne Juan Carlos en personne glissera à l'oreille du champion à la raquette "Les auteurs des Guignols sont des idiots". Hier matin, au lendemain de la célébration de son entrée à la toute première place du palmarès de Roland-Garros, Nadal a eu la désagréable surprise de constater, à son hôtel, le vol d'une montre de 300.000 euros prêtée par la marque de luxe Richard Mille...
Autant de mésaventures qui ont forgé la mauvaise relation entre la Ville lumière et le sportif espagnol. Un autre élément mérite d'être pris en compte. Nadal a parfois accusé les Français de "jalousie" dans les médias espagnols, preuve de son incompréhension et de sa méconnaissance de l'état d'esprit gaulois concernant le sport. La fable hexagonale des "petits" sportifs qui dominent les "grands", la préférée des amateurs de sport en France, choque en haut des Pyrénées. Question de culture nationale. "Cette permanence au sommet reste le trait et l'attrait des plus grands. Nadal appartient à ce clan par l'exigence qu'il s'inflige, la cadence qu'il impose et l'excellence qu'il incarne. On peut ne pas partager l'exigence, ne pas tenir la cadence, mais se lasser de l'excellence serait une défaite complète", remarquait hier dans son édito le rédacteur en chef de L'Equipe, Fabrice Jouhaud. Hier, le Majorquin a même remercié le public en français dans le texte, pour la première fois en sept triomphes. Mais si l'on considère que refaire l'éducation du passionné français de sport, qui préfèrera toujours la surprise à la confirmation, est aussi improbable que voir Rafael Nadal débuter un Roland-Garros sans avoir la certitude de pouvoir le remporter, force est de constater que même si son palmarès est un monument de plus dans la Ville lumière, l'enfant prodige ne sera jamais totalement adopté.
Benjamin IDRAC (www.lepetitjournal.com - Espagne) Mercredi 13 juin 2012
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