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PRIX DU CINEMA ESPAGNOL - "Faire un film en Espagne est un acte héroïque"

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 13 février 2014

Depuis le début de l´année, plusieurs prix de cinéma ont été décernés, en Espagne, aux meilleurs films nationaux. A part les Goya (les équivalents des Césars français) qui viennent d´avoir lieu dimanche dernier, il y aussi d´autres récompenses très remarquables comme les prix CEC (Cercle d´Écrivains Cinématographiques d´ Espagne), les Feroz (Association des informateurs cinématographiques d´Espagne), les Sant Jordi (décernés par la Radio Nationale d´Espagne) ou les prix catalans par excellence, les Gaudí. En une année 2013 pas très brillante pour le cinéma espagnol, à cause des difficultés de l´industrie cinématographique (montée de la TVA culturelle, descente des spectateurs dans les salles, diminution du nombre de films?), les récompenses ont été très partagées.

"Petits prix", grands films
En Espagne, on peut distinguer deux types de prix cinématographiques : ceux qui sont décernés par les journalistes de cinéma et ceux qui sont attribués par les Académies de Cinéma, où votent les professionnels du secteur (depuis les acteurs, jusqu´aux producteurs, en passant par toutes les équipes techniques). Deux Académies sont responsables des prix "officiels" du cinéma espagnol. D´une part, la Academia de las Ciencias y Artes Cinematográficas de España, ayant son siège à Madrid, qui attribue les Goya et, d´autre part, la Academia de Cine Catalán, à Barcelone, qui distribue les prix Gaudí. Ces deux récompenses sont d'habitude plus soumises aux intérêts de l´industrie et priment, peut-être moins, les productions plus indépendantes ou minoritaires, qui sont de plus en plus nombreuses à cause de la crise. Les films se font en Espagne avec chaque fois moins de budget, ce qui n´est pas toujours en contradiction avec le talent des cinéastes et le résultat des ?uvres. De là, l´importance de ces autres prix cinématographiques plus spécialisés et plus focalisés sur la qualité, en dépit de l´argent dépensé.

Les "Sant Jordi"
Parmi les prix de la critique et du journalisme cinématographique, nous trouvons Les "Sant Jordi". Ces récompenses de RNE (Radio Nationale d´Espagne) sont données, à Barcelone, par la presse de cinéma catalane. Ils ont le mérite d´être les prix les plus anciens du pays, attribués par un média espagnol (cette année c´est la 58e édition). Ils ont une claire volonté de défendre un cinéma de qualité et d´avant-garde. A signaler, cette année, le prix à la meilleure actrice dans un film étranger, à Adèle Exarchopoulos, la jeune actrice de 20 ans qui a interprété, à côté de Léa Seydoux, le rôle d´Adèle dans "La vie d´Adèle". Celui au meilleur film étranger a été remis à "La grande bellezza" de Paolo Sorrentino (coproduction franco-italienne). Les journalistes du Sant Jordi ont mis en avant le "triomphe du cinéma européen et surtout, des films, issus du festival de Cannes". Les meilleurs films ont été "La plaga" de Neus Ballús et "Gente en sitios" de Juan Cavestany, deux exemples d´?uvres modestes, à petit budget, pour lesquels, le manque d´argent est remplacé par du talent, de l´imagination et des efforts. Les meilleurs acteurs, que ce soit la jeune Aura Garrido ou Antonio Dechent, sont les protagonistes de deux autres petits bijoux espagnols : "Stockholm" et "A puerta fría".

Première édition des Prix Feroz
A Madrid, existent actuellement deux prix des critiques cinématographiques d´ampleur nationale : les plus jeunes et les plus anciens. Les Prix Feroz, association des informateurs cinématographiques d´Espagne, viennent de célébrer, cette année, leur première édition au mois de janvier. La cérémonie a connu un grand succès et a été diffusée simultanément en streaming et par une chaîne de télévision. Ces prix qui débutent ont attribué une récompense au meilleur film dramatique, à "Stockholm" de Rodrigo Sorogoyen, film, comme nous venons de dire, fait avec très peu de budget mais au résultat impeccable et, aussi, à la meilleure comédie, à "3 bodas de más" de Javier Ruiz Caldera. La meilleure réalisation a été décernée à David Trueba (frère du célèbre Fernando Trueba, auteur de "L´artiste et son modèle") pour son film "Vivir es fácil con los ojos cerrados" ("Vivre est facile avec les yeux fermés"), un des grands triomphateurs des Goya. A noter le prix Feroz à la meilleure actrice, à Marian Alvarez pour son travail dans la déchirante "La herida" ("La blessure"). Au dernier festival de Saint-Sébastien, elle obtint déjà la Coquille d´argent à la meilleure actrice ainsi qu´au festival de Toulouse, Cinespaña, où elle fut élue comme la meilleure interprète. Marian Alvarez a aussi remporté le Goya. Elle est, sans aucun doute, la grande interprète du cinéma espagnol de l´année. Son alter ego masculin a été, dans les Prix Feroz, Antonio de la Torre, un excellent acteur espagnol, pour son travail dans "Canibal", un des meilleurs films de la production espagnole récente, même si cela ne s´est pas vu lors des Goya. Un prix original a été établi par les Feroz. Celui du meilleur teaser de film. C´est Pedro Almodovar qui l´a remporté pour "Les amants passagers". A signaler que c´est le seul succès obtenu par le cinéaste dans tous les prix cinématographiques espagnols de l´année. Nul n´est prophète en son pays.

Les grands prix des écrivains de cinéma espagnols ont eu une couleur française
La grande fête du cercle des Écrivains Cinématographiques d´Espagne (CEC) est la cérémonie la plus ancienne d´Espagne et après les Goya, ce sont les prix les plus importants du cinéma espagnol. Cette année, la cérémonie a eu une "french touch". L´acteur Guillaume Gallienne, réalisateur de "Les enfants et Guillaume, à table", qui a décroché 10 nominations aux Césars du prochain 28 février, est venu pour présenter, au public madrilène, en avant-première, son film, qui sortira le 28 mars en Espagne. Un travail extraordinaire qui a séduit le public. Lors de cette 69e édition, les prix du CEC ont été, comme d´habitude, très équilibrés, récompensant la qualité cinématographique des ?uvres et essayant de concilier un aspect de cinéma d´auteur avec un autre un peu plus commerciale.  "Vivir es fácil con los ojos cerrados" de David Trueba, une gentille histoire sur un professeur qui admirait les Beatles, a obtenu le Prix au meilleur film. Celui du meilleur réalisateur a été décerné à Manuel Martín Cuenca pour "Canibal", récit inquiétant, inspiré de faits réels, sur un tailleur de Grenade, qui dévorait ses victimes.  "Canibal" a obtenu les récompenses à la meilleure photo, au meilleur scénario adapté et au meilleur acteur à Antonio de la Torre. De même qu´aux Feroz, De la Torre a été considéré par les journalistes comme le meilleur interprète, alors que les votants des Goya ont estimé qu´il s´agissait de Javier Cámara (acteur très habituel d´Almodovar) pour son rôle dans le film de Trueba. Carlos Bardem, le frère de Javier Bardem, a été élu meilleur acteur secondaire pour "Alacrán enamorado", un portrait frappant sur le monde de la boxe, qui n´a pas connu, dans les salles, tout le succès qu´il aurait mérité. Aura Garrido, la jeune et belle interprète du "petit" film "Stockholm" a remporté la médaille du CEC à la meilleure actrice. Lors de la cérémonie, les différents discours ont exprimé des revendications pour développer un cinéma d´auteur, pour  valoriser la critique cinématographique comme une défense anticonformiste face au cinéma commercial et ont fait allusion à la crise économique  de l´Espagne et à celle du cinéma. Natalia de Molina, élue meilleur espoir féminin, pour son travail dans "Vivir es fácil con los ojos cerrados" introduit une revendication féministe en dédiant son prix "à toutes les femmes qui ont le droit d´être libres et de décider par elles-mêmes", dans une claire allusion à la loi restrictive sur l´avortement qui menace l´Espagne.

Les  "grands" prix officiels : les Gaudí et les Goya
Les Gaudí, les prix de l´Académie de cinéma catalan, ont donné la plus grande récompense à "La Plaga" dans la catégorie de meilleur film en catalan. Ce petit film, un drame rural sur des personnages marginaux, contraste avec le prix au meilleur long-métrage en langue "no catalana", décerné à "Los últimos días" (voir la critique dans lepetitjournal.com). Le chef- d´?uvre français "Amour" de Michel Haneke a remporté le Gaudí au meilleur film européen, succès qu´il a répété lors des Goya. C´est, d´ailleurs, le français Thierry Frémaux, directeur du festival de Cannes, venu spécialement à Madrid pour la cérémonie des Goya, qui a eu l´honneur de remettre cette récompense.
Les Goya, les grands prix par excellence du cinéma espagnol, sont allés fondamentalement à deux films. D´une part, les récompenses plutôt techniques, qui ont primé, dans leur majorité (plus de 7), le film d´Alex de la Iglesia, "Las brujas de Zugarramurdi" (meilleur son, meilleur effets spéciaux, meilleur maquillage, etc?) et d´autre part,  celles plus artistiques, données à "Vivir es fácil con los ojos cerrados" de David Trueba (entre autres, meilleur film et meilleur réalisateur). Deux films commerciaux, avec des budgets importants, qui ont triomphé sur "Canibal", "La herida" ou "Stockholm". D´excellents films, ayant obtenu respectivement, la meilleure photographie, la meilleure actrice à Marian Alvarez et la meilleur première ?uvre (les deux à "La herida"), et finalement, le meilleur espoir masculin. La grande favorite "La gran familia española" de Daniel Sánchez-Arévalo, qui partait avec 11 nominations, n´a remporté que deux Goya, au meilleur acteur secondaire, à Roberto Alamo, et à la meilleure chanson. Pour la première fois dans l´histoire des Goya, le prix au meilleur film latino-américain a été décerné à une ?uvre vénézuélienne, "Azul y no tan rosa". Finalement, "Las maestras de la República" ("Les maîtresses de la République") a gagné le prix au meilleur documentaire. Il s´agit d´un hommage à toutes les institutrices qui défendirent l´égalité à travers l´éducation, durant la période de la II République Espagnole (1931-1939), fatalement réduite à néant par la guerre civile espagnole.

La cérémonie des Goya 2014 a été, comme c´est habituel durant les dernières années, polémique et critique envers les politiciens. Ce qui a été empiré, cette année, par l´absence du ministre de la culture, Juan Ignacio Wert. Celui-ci est très critiqué pour son augmentation de la TVA culturelle, décision qui a vidé tragiquement les salles de cinéma en Espagne. Mais, même à distance, ce mépris du ministre envers les gens du cinéma n´a pas empêché qu´il écoute des commentaires comme "ministre de l´anti-culture", "démissionnez", "Wert, tu nous as offensé avec ton absence" ou "ce prix ne t´est pas dédié !" Ce malaise a été résumé par le président de l´Académie de Cinéma Espagnole, Enrique Gonzalez Macho, qui a déclaré, non sans une lueur d´espoir : "Faire un film en Espagne est un acte héroïque mais, malgré tout, vive le cinéma espagnol ! ".

Carmen PINEDA (www.lepetitjournal.com - Espagne) Vendredi 14 février 2014

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Collaboratrice comme critique de cinéma dans plusieurs magazines : "Estrenos", "Interfilms" et "Cinerama". Envoyée spéciale à des festivals de cinéma en France pour les journaux "Diario 16" et "El Mundo". Jury du Prix du CEC (Círculo de Escritores Cinematográficos) au Festival international de Cinéma de Madrid (1997). Actuellement membre du CEC et critique dans cinecritic.biz et lepetitjournal.com

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Publié le 13 février 2014, mis à jour le 13 février 2014
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