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L'Espagne contre les réseaux internationaux de trafics de stupéfiants

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Arrestation en juin 2020 d'un chef de clan, "Los Pantoja" / Policía Nacional
Écrit par Michel Yebenes
Publié le 5 juillet 2020, mis à jour le 6 juillet 2020

Carrefour international du trafic de drogue, l’Espagne se donne les moyens pour lutter efficacement contre cette forme de criminalité organisée. L’exemple de la zone du "Campo de Gibraltar" est particulièrement éloquent.


l'Espagne constitue depuis de très nombreuses années un des plus importants carrefours mondiaux du trafic de drogue pour des raisons essentiellement géographiques et socio-culturelles. Cette réalité concerne les routes de la cocaїne provenant des pays d’Amérique du Sud producteurs (Colombie, Pérou, Bolivie...) et celle du haschich marocain : l’Espagne est une porte d’entrée européenne pour ces produits.


Une plateforme internationale de transit à destination des pays européens et notamment de la France

La principale voie d’accès de la cocaїne pour le marché européen passe en effet par l’Espagne. La drogue parvient d’Amérique latine, souvent via la zone des Caraїbes, et gagne l’Espagne par ses ports de commerce importants (Barcelone, Valence, Bilbao…), les côtes de Galice ou encore le littoral andalou (dans ce cas précis, la drogue transite fréquemment par le continent africain). Les liens historiques, culturels et commerciaux entre l’Amérique latine et l’Espagne expliquent en partie l’existence de cette voie d’entrée européenne. Un exemple illustre l’importance de cette route : il s’agit de l’interception par la Garde civile, la police nationale et la douane espagnoles d’un sous-marin rempli de trois tonnes de cocaїne au large de Pontevedra en novembre 2019. Selon des experts, ce submersible artisanal assurait la liaison entre la Colombie et le littoral galicien depuis longtemps.

La résine de cannabis marocain, qui demeure sur le podium des produits les plus consommés en France, inonde quasi exclusivement le marché européen par l’Espagne. Cette drogue pénètre en Espagne l’immense majorité des fois par les côtes andalouses. Des réseaux spécialisés, souvent  intégrés par des ressortissants français, assurent les "remontées terrestres" de ce produit vers les sites de consommation de l’Hexagone par de nombreux procédés, dont les très médiatiques "go-fast" immortalisés dans de nombreuses productions cinématographiques et séries TV. Ce mode de transport est cependant moins utilisé ces dernières années au profit de convois d’acheminement terrestres plus discrets. Le secteur de la province de Cadix est pour des raisons principalement géographiques le plus concerné par l’entrée du haschich en Espagne.

 

L’exemple saisissant du "Campo de Gibraltar"

La comarque de la province de Cadix dite "El Campo de Gibraltar" est le territoire le plus méridional de l’Europe continentale. Dans cet ensemble regroupant huit communes dont Algésiras, La Linea et Tarifa, existe depuis de nombreuses années une véritable industrie de la résine de cannabis et à un degré moindre de la cocaїne. Des structures criminelles assurent les traversées maritimes des produits stupéfiants par bateaux hors bord ou structures semi rigides équipées de puissants moteurs. La résine est souvent prise en compte en haute mer, elle est généralement acheminée jusqu’à là par des bateaux de pêche ou autres embarcations venant du Maroc (il ne faut pas oublier toutefois de citer le port commercial d’Algésiras pour la cocaїne). 

Les mêmes structures criminelles, une trentaine de clans, locaux pour la plupart, assurent les déchargements de ces embarcations rapides sur les plages puis les stockages de la drogue avec une logistique impressionnante et une armée de collaborateurs (guetteurs, chargeurs, conducteurs, éclaireurs, gardiens...). Soixante pour cent des saisies de résine en Espagne en 2017 auraient par exemple eu lieu dans ce territoire réduit. Comme toujours avec le développement de ces réseaux criminels, les clans ont également investi dans le blanchiment de capitaux et d’autres trafics comme celui des armes ou de l’immigration irrégulière. Un sentiment d’impunité a gagné ce monde de trafiquants depuis les années 2000. Les affrontements avec les forces de sécurité se sont multipliés lors de manœuvres d’interception ou des courses poursuites, les opérations punitives contre des policiers ou des Gardes civils ont commencé à survenir durant ces dernières années. L’assaut mené en février 2018 par une vingtaine d’encagoulés pour libérer un chef de clan en garde à vue médicalisée dans un hôpital de La Linea illustre cette sensation de zone de non-droit et de véritable "far west de la drogue".

 


Des résultats spectaculaires

En août 2018, conscient de la gravité de la situation dans ce territoire écrasé par le narcotrafic, le chômage, l’économie souterraine et l’insécurité, le gouvernement espagnol met en place un plan spécial de sécurité pour le Campo de Gibraltar avec des objectifs à court et moyen termes. Ce plan se fonde principalement sur le renforcement considérable des capacités des forces de sécurité localement et sur leur coopération avec d’autres administrations impliquées (justice, finances…). Il va donner lieu à de très nombreuses opérations menées par la Garde civile, la police nationale et le service des douanes espagnol intégré au sein de l’agence tributaire (administration fiscale).

Le 2 juillet 2020, le ministre de l’intérieur, Fernando Grande Malarska, s’est déplacé dans ce secteur et a dressé un bilan du fonctionnement de ce plan depuis près de deux ans. Selon les chiffres communiqués la veille, près de 270 tonnes de produits stupéfiants ont été saisies entre le 1er août 2018 et le 31 mai 2020 (en particulier près de 260 tonnes de résine et 8,5 tonnes de cocaїne). Plus de 1.000 véhicules terrestres et 311 embarcations ont fait l’objet dans le même temps de confiscations. Près de 2.000 personnes ont été interpellées au cours de 1.318  opérations. Des chefs de clans se trouvent ainsi en détention provisoire dans l’attente de leur jugement et des réseaux ont été désarticulés. Plus de 300 enquêtes patrimoniales ont également eu lieu pour blanchiment et engendré des saisies d’avoirs criminels. Tous ces chiffres sont en nette hausse au regard des deux années antérieures au plan.

A noter que la moyenne mensuelle de saisies de drogue a toutefois fortement baissé à compter du mois de mars 2020 avec la déclaration de l’état d’alarme consécutif à la pandémie générée par le Covid 19 qui a nettement réduit l’activité criminelle des trafiquants de la zone. Cette activité reprend fortement avec la fin du confinement ; il sera intéressant de voir si ces résultats spectaculaires se maintiendront dans la durée et permettront de contribuer au changement de visage de ce territoire singulier.