Après plus de 50 ans d'absence, le loup ibérique est de retour dans les montagnes madrilènes. En 2024, la communauté de Madrid a recensé 191 attaques sur les troupeaux, un chiffre en augmentation qui exacerbe les tensions. Entre colère des éleveurs et enjeux écologiques, cette présence divise et soulève la question d’une coexistence durable.
Sierra Norte : quand les loups reprennent leur territoire
Les loups ont fait de la Sierra Norte et des environs de Guadarrama et San Lorenzo de El Escorial leur terrain de chasse privilégié. Ces zones, appréciées des randonneurs et amoureux de la nature, sont désormais le théâtre d’attaques fréquentes sur les troupeaux. Le loup ibérique, absent de ces montagnes depuis plus de 50 ans, est de retour pour de bon.
Le dernier recensement national, qui date de 2014, estimait à 340 le nombre de meutes en Espagne, principalement dans le nord-ouest de la péninsule. Aujourd’hui, environ 30 loups, répartis en cinq meutes, vivraient dans la région de Madrid. Suivis de près par les agents forestiers, ces prédateurs sont observés via 24 caméras de surveillance. Les données recueillies montrent que leur alimentation repose surtout sur des carcasses abandonnées. Cela ne les empêche pas de s’aventurer dans les troupeaux pour quelques attaques ciblées. Le dernier incident frappant a eu lieu en décembre 2024 à El Escorial : 17 moutons et veaux décimés en une seule nuit.
Dans la communauté de Madrid, les attaques de loups se sont multipliées ces dix dernières années, atteignant un pic de 318 cas en 2018. Après une baisse, elles repartent à la hausse en 2024, avec 191 incidents. Un chiffre qui laisse penser que la population de loups augmente à nouveau.
Des loups dans la Sierra de Madrid
La colère des éleveurs
Pour faire face à cette “prédation lupine”, la communauté de Madrid a mis en place des mesures préventives : acheter des chiens de garde mastiffs, utiliser des colliers GPS pour localiser les troupeaux et installer des clôtures protectrices. En 2024, un budget de 100.000 euros a été alloué pour indemniser 43 éleveurs touchés, et une augmentation de 25 % est prévue en 2025.
Des initiatives qui ne parviennent pas à apaiser les éleveurs. Outre les pertes, ces derniers pointent du doigt les démarches administratives, jugées trop complexes, pour obtenir des compensations. Autre difficulté : l’arrivée rapide des vautours sur les carcasses, qui rend presque impossible la preuve d’une attaque de loup, même pour des experts. “Les statistiques officielles ne reflètent pas la réalité”, déclare au journal El Mundo le secrétaire général de l’UPA (Union des petits agriculteurs et éleveurs), Jorge Izquierdo. Selon lui, “les loups n’ont plus peur des hommes, ils sont hors de contrôle. Un jour, ils finiront par attaquer un enfant égaré.”
Le loup ibérique divise et fascine à Madrid
Malgré les tensions, les écologistes soulignent l’importance des loups dans l’équilibre écologique. Ces prédateurs joueraient un rôle central dans la régulation des populations de sangliers et de cervidés, tout en limitant la propagation de maladies transmissibles au bétail, comme la tuberculose. Leur retour dans des zones comme El Pardo est aussi vu comme une chance pour résoudre les problèmes de consanguinité parmi certaines espèces sauvages.
Mais cette cohabitation suscite des débats, surtout dans une région densément peuplée comme Madrid, où la fréquentation humaine et les infrastructures routières augmentent constamment. Historiquement, les loups étaient considérés comme des nuisibles à éradiquer : pendant des siècles, les chasses collectives ont repoussé l’espèce, autrefois omniprésente sur la péninsule ibérique, jusqu’à la Cordillère Cantabrique. Ce n’est qu’à partir des années 1980, avec l’adoption de politiques européennes de protection, que la situation a commencé à changer. Depuis, les loups ont traversé le Duero pour recoloniser les plaines de Castille-et-León et atteindre les montagnes du Système central, où leur expansion s’est stabilisée depuis 2010.
Pour Carlos Novillo, conseiller à l’environnement et à l'agriculture, une approche équilibrée est essentielle : “La cohabitation entre la biodiversité et les élevages extensifs est l’un des principaux défis de notre région.” Selon les autorités régionales, le loup n’est pas seulement un prédateur : il symbolise la conservation de la nature et contribue au maintien des écosystèmes.
C’est dans ce contexte tendu que le “télépâturage” et le berger virtuel pourraient apporter une solution prometteuse. Ces systèmes connectés, qui combinent GPS, capteurs et caméras, permettent une surveillance en temps réel des troupeaux. Une alerte est envoyée aux éleveurs en cas de comportement anormal des animaux ou d’une intrusion suspecte. Quoi qu’il en soit, il faudra plus qu’un collier GPS ou une caméra : une véritable volonté politique et un dialogue sincère avec ceux qui vivent cette réalité au quotidien.