Édition internationale

L’amitié franco-espagnole enrayée : Madrid bloque un traité inédit avec Paris

Il y a des abstentions qui font mal. En lâchant la rampe au dernier moment, Junts et Podemos ont cloué au sol le traité d’amitié signé en 2023 entre Pedro Sánchez et Emmanuel Macron. Le PP, Vox et l’UPN, vent debout contre un texte jugé anticonstitutionnel, n’en demandaient pas tant.

emmanuel macron et pedro sanchezemmanuel macron et pedro sanchez
Photo : Ambassade de France en Espagne
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 15 mai 2025, mis à jour le 22 mai 2025

Coup d’arrêt pour le rapprochement entre la France et l’Espagne. Le Congrès des députés a rejeté ce mercredi 14 mai le Traité d’amitié et de coopération signé en grande pompe à Barcelone en janvier 2023 par Pedro Sánchez et Emmanuel Macron. Présenté par la Moncloa comme une pierre angulaire des relations bilatérales, le texte devait notamment permettre à des ministres français de siéger, à tour de rôle, au Conseil des ministres espagnol — et vice versa.

Mais la machine s’est enrayée. Les 171 votes hostiles du PP, de Vox et de l’UPN, ajoutés à l’abstention stratégique de Junts et de Podemos, ont fait capoter le projet. Résultat : la coalition gouvernementale n’a pas atteint la majorité requise pour faire avancer le traité au Sénat.

 

Madrid-Paris, les noces ratées

Composé de 10 titres, le traité entendait « ancrer dans l’histoire les relations bilatérales » entre les deux pays. Il rendait hommage aux liens humains de longue date, notamment depuis l’exil républicain espagnol en France, tout en déroulant une feuille de route balisée : interconnexions dans les domaines énergétique, des transports et des télécommunications, coopérations européennes dopées, création de forums bilatéraux, et surtout une invitation tous les trois mois d’un ministre français ou espagnol au Conseil des ministres du pays voisin.

C’est précisément ce point — l’article 2.4 — qui a suscité la fronde du PP, qui avait saisi le tribunal constitutionnel en mars dernier. Selon le parti d’Alberto Núñez Feijóo, ce dispositif viole la Constitution espagnole, notamment les articles 13 et 23, en autorisant la présence d’étrangers dans les délibérations gouvernementales. Pour permettre cette participation, le gouvernement avait intégré une disposition dans la loi d'efficacité du système public de justice , adoptée début 2025, ouvrant la voie à des exceptions prévues par les traités internationaux.

 

Junts et Podemos torpillent le traité d'amitié entre la France et l’Espagne

Du côté de Junts, l’abstention n’a rien d’un hasard. Pour les indépendantistes catalans, la signature du traité à Barcelone relevait moins de la diplomatie que de la provocation. La formation dirigée par Carles Puigdemont estime qu’il s’agissait d’une mise en scène orchestrée par Madrid pour clore, sous les dorures républicaines et les poignées de main franco-espagnoles, le chapitre douloureux du procés.

Une humiliation symbolique, selon les proches de Puigdemont, qui n’ont pas oublié que cette grand-messe diplomatique avait déclenché dans la rue une démonstration d’unité du camp sécessionniste.

Podemos, le parti de gauche, a quant à lui pointé du doigt l’alignement du traité sur les politiques de sécurité et de défense de l’OTAN, qu’il juge trop liées aux intérêts nord-américains.

 

Un raté diplomatique en deux temps

Le traité avait été ratifié par la France sans difficulté. Côté espagnol, il avait aussi pris un bon départ. Le 6 mai, il passait l’épreuve de la commission des affaires étrangères, avec un feu vert discret : le PP s’abstenait, invoquant l’« intérêt général ». Mais en moins d’une semaine, le ton a changé — et le vote aussi. Rétropédalage : les conservateurs ont finalement sorti le carton rouge, précipitant l’échec du texte.

Ni Pedro Sánchez, ni la vice-présidente Yolanda Díaz n’étaient présents dans l’hémicycle lors du vote. Pour certains, un simple détail d’agenda. Pour d’autres, une faute stratégique. « Le gouvernement commet l’erreur de forcer un vote avant même que le tribunal constitutionnel ne se prononce sur la légalité du traité », a fustigé Ricardo Tardo Blanco, député du PP, qui accuse l’exécutif de vouloir transposer ses « bricolages législatifs » dans le droit international.

 

Une feuille de route gelée

Conçu comme une feuille de route diplomatique inédite entre deux États de l’UE, le traité était aussi le premier du genre entre Madrid et Paris. Malgré la ratification sans accrocs en France, le coup d’arrêt parlementaire bloque net sa mise en œuvre.

À l’approche des élections européennes, ce revers fait désordre : il interroge sur la solidité du lien franco-espagnol, met en lumière les fissures d’une majorité déjà sous tension… et les limites du volontarisme diplomatique dans un contexte politique fracturé.

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