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Relations France-Espagne: Macron enterre définitivement le gazoduc MidCat

GazoducGazoduc
CC
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 6 septembre 2022, mis à jour le 8 octobre 2022

Le rêve de l'Espagne de devenir le grand hub gazier de l'Europe s'écroule à nouveau. Macron a été très clair: Il est "faux, totalement faux" que le MidCat puisse résoudre les problèmes.

 

 

Ces derniers mois, à cause de la situation en Ukraine et les menaces de Poutine de ne plus fournir de gaz à l'Europe, le projet Midcat de construction d'un gazoduc qui traverse les Pyrénées avait ressurgi du tiroir où il prenait la poussière depuis plus de dix ans. Le gouvernement espagnol avait en effet profité de la crise du gaz pour relancer le débat sur le MidCat, dont le dernier revers remontait à 2019 lorsque plusieurs rapports l'avaient jugé trop coûteux et mauvais pour l'environnement.

 

La vice-présidente et ministre de la Transition énergétique, Teresa Ribera, signalait encore il y a quelques jours qu'il fallait se "préparer pour l'hiver prochain et, dans ce contexte, être capables d'achever une interconnexion qui n'avait pas de sens économique (en 2019), mais qui pourrait être cruciale maintenant pour garantir cet approvisionnement qui manque à l'Europe centrale et septentrionale".

 

tracé midcat
Le tracé du gazoduc transfrontalier MidCat / Source: Pöyry

 

La France, contre le MidCat

Cependant, depuis le début, la France était réticente, pour ne pas dire, carrément opposée, invoquant que ce gazoduc mettrait des années à être effectif et coûterait des milliards d’euros. Le gouvernement espagnol avait immédiatement rétorqué que le gazoduc pourrait être opérationnel d'ici "8 à 9 mois".

 

Quant au coût pharamineux, les astres semblaient s'aligner en faveur du chef du gouvernement, Pedro Sanchez: Bruxelles s'était en effet déclarée ouverte au financement du MidCat s'il y avait un accord entre les pays.

 

L'Allemagne soutient le projet MidCat

Enfin, cet été, le chancelier allemand Olaf Scholz avait affirmé qu'il "regrettait l'arrêt du projet Midcat" et annoncé son "soutien total" à MidCat comme solution "à long terme" pour l'approvisionnement en gaz de l'Europe. Le ministre français de l'Économie Bruno Lemaire avait alors déclaré que la France examinerait le projet de gazoduc, parce qu'elle y avait été invitée par le premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, qui "sont nos pays amis".

 

pedro sachez et Olaf scholtz
Pedro Sanchez avait rencontré en août Olaf Scholz pour discuter du projet MidCat/Pool Moncloa

 

L'espoir renaissait donc dans les couloirs de la Moncloa. Mais il sera de courte durée. Emmanuel Macron a en effet profité cette semaine d'une conférence de presse, précisément suite à son entretien avec le Chancelier allemand, pour enterrer définitivement le projet MidCat. Il a rappelé que pendant une longue décennie, MidCat a été un projet français, espagnol et portugais, qui avait été abandonné essentiellement pour des raisons économiques, politiques et environnementales.

Inutile de sauter comme des cabris pyrénéens sur ce gazoduc!

Le président français estime qu'il est "faux, totalement faux" que le MidCat puisse résoudre les problèmes d'approvisionnement énergétique qui touchent l'ensemble de l'Europe. Il va même plus loin en ironisant: "Pour plagier un de mes prédécesseurs, je ne comprends pas pourquoi on sauterait comme des cabris pyrénéens sur ce gazoduc pour expliquer que ça réglerait le problème gazier. C’est faux. C’est factuellement faux. Si l'on était à 100% de l’utilisation de nos gazoducs et s’il y avait aujourd’hui un besoin d’exporter le gaz vers la France, l’Allemagne ou autre, je vous dirais oui. Ça n’est pas vrai."

Les gazoducs actuels utilisés seulement à 53%

Macron a ainsi souligné que les deux gazoducs qui relient actuellement les deux pays, via le Pays basque et la Navarre, sont "sous-utilisés". Il a souligné que depuis février, date du début de l'invasion russe, ils ont été utilisés à 53% et a même ajouté qu'en août, c'est la France qui a exporté du gaz vers l'Espagne et non l'inverse…

L'Espagne ne peut plus compter sur le gaz algérien

Une porte semblait néanmoins rester légèrement ouverte: "J'en discuterai avec le président Sanchez -a signalé Macron-. A lui de me dire que je me trompe. Je viens d'en parler avec le chancelier allemand et il ne m'a rien dit qui aille dans ce sens". Macron a ensuite très vite refermé cette porte après une dernière phrase lapidaire, rappelant à l'Espagne qu'elle ne peut plus compter sur le gaz algérien: "Pour que les gazoducs existant arrivent à saturation, il faudrait que l'Espagne triple ses importations de gaz venant du sud et ce n'est pas ce qui est prévu".

Grave crise entre Madrid et Alger depuis mars

Il faut en effet rappeler que l'Espagne et l'Algérie traversent une grave crise depuis la mi-mars en raison du Sahara Occidental. Malgré les avertissements d'Alger, le gouvernement espagnol n'a pas rectifié le tir et l'Algérie a finalement suspendu début juin le traité d'amitié qu'elle avait signé avec l'Espagne il y a vingt ans. Alger accusait Pedro Sánchez de "tout casser" à cause de son virage en faveur du Maroc sur la question du Sahara occidental, sans respecter le rôle de neutralité que l'Espagne conservait avec son ancienne colonie. Pour l'Algérie, le changement radical de la position historique de l'Espagne envers son ancienne colonie était "injustifiable".

 

pedro sanchez et mohamed VI
Pedro Sanchez et Mohamed VI lors de leur dernière rencontre en avril / Pool Moncloa

 

Moins de gaz vers l'Espagne et plus cher

Conséquence directe de cette décision: L'Espagne reçoit de moins en moins de gaz de la part de l'Algérie et à des prix beaucoup plus élevés. Autre conséquence: l'Italie en a immédiatement profité pour signer un accord historique avec l'Algérie afin d'augmenter de façon significative les livraisons de gaz, triplant les 10 milliards de mètres cubes que reçoit désormais l'Espagne via Medgaz, le seul gazoduc que l'Algérie a gardé ouvert avec l'Espagne après la fermeture du gazoduc Maghreb Europe à travers le Maroc.

 

De son côté, lors de son récent voyage à Alger, Macron a clairement désigné l'Italie comme le principal client du gaz algérien dans l'UE. "Je suis reconnaissant que l'Algérie vende plus de gaz à l'Italie. C'est bon pour l'Italie et pour l'Europe", a-t-il même déclaré.

 

macron et le president algérien
Emmanuel Macron et le président algérienTebboune lors de sa visite à Alger / Elysée

 

En définitive, lorsque le président français déclare que l'Espagne devrait tripler ses importations de gaz "venant du sud" et ajoute que cela "n'est pas prévu", on comprend mieux la portée de ses paroles. A moins d'un mouvement stratégique de Macron, digne de Machiavel, le Midcast est bel et bien enterré. L'Espagne est le grand perdant et doit renoncer à ses ambitions de devenir le hub gazier de l’Europe, ainsi qu'à l'influence géostratégique que cela supposait…