Séraphine, c'est le récit d'une rencontre : celle d'une femme de ménage peintre et d'un mécène allemand. Une histoire d'amour entre deux marginaux auréolée par sept césars. Un succès rendu possible par une forte complicité entre un réalisateur, Martin Provost, et une interprète, Yolande Moreau
(Photo Brian Toussaint LPJ)
Lepetitjournal.com : Quelle particularité de Séraphine vous a marqué ?
Yolande Moreau : Son destin hors du commun m'a de suite fascinée. C'est un personnage très riche : un cadeau pour une actrice. Cette femme, peintre à quarante ans, vivait en décalage avec la réalité. Séraphine était quelqu'un de révolutionnaire : elle a mené un combat pour la création. J'aime ces marginaux qui, au fond, nous parlent de nous même, de nos peurs.
Et votre réaction face à ses ?uvres ?
Martin Provost : Je me suis rendu à Senlis pour approcher la collection Uhde : un choc. Je voyais bien que cette peinture était forte, même s'il m'a fallu du temps pour la comprendre.
Y.M. : Aux premiers abords, je me suis sentie désarçonnée : il m'a fallu du temps pour les apprécier. Je disais à Martin : "jamais je ne mettrais ça chez moi !". Puis, j'ai appris à les aimer. Jusqu'à en être bouleversée le jour où j'ai visité l'exposition du musée Maillol.
Yolande Moreau pour interpréter le rôle. Une évidence ?
M.P. : Très vite, j'ai pensé aux comédiennes qui pouvaient incarner le rôle, et le visage de Yolande m'est apparu : ça ne pouvait être qu'elle. Je pense que le film ne se serait pas fait sans elle, j'aurais peut-être laissé tomber. En tout cas, il aurait été bien différent.
Y.M. : Sur les photographies, je ne ressemble pas à Séraphine. Cela ne me gêne pas, bien au contraire ! Ce qui me dérange justement, c'est que dans tous les biopics que l'on peut voir en ce moment, on cherche à tous prix à "ressembler à". Mais l'important c'est incarner, et non paraître.
Comment avez-vous préparé le tournage ?
M.P. : Les producteurs m'ont fait patienter un an. Cela m'embêtait, mais au final ça a été très profitable, car Yolande et moi sommes voisins. Durant ces douze mois, je l'ai emmené voir des paysages que j'apprécie, où je voulais tourner. La préparation de ce film a été tout un cheminement.
Y.M. : Je crois beaucoup à cette préparation, à cette osmose qui fait que nous racontons la même histoire. C'était une façon d'être proches, et d'une certaine manière, presque de faire l'amour.
Avez-vous pris des libertés avec la réalité ?
M.P. : Nous avons respecté la chronologie, à la lettre. Mais je ne souhaitais pas faire une biographie de Séraphine;je voulais mettre en lumière le processus créateur. Montrer comment, à un moment ou un autre, une rencontre est indispensable à l'artiste. Alors forcément, dans ce face-à-face entre Whilelm et Séraphine, il y a des zones d'ombres : il a fallu imaginer.
Y.M. : Cette rencontre est étonnante. Il s'agit d'un tête-à-tête entre deux marginalités : un homosexuel et cette femme de ménage qui peint.
M.P. : J'avais exposé le projet à un producteur qui m'avait répondu : "ce n'est pas intéressant, il n'y a pas d'histoire d'amour". Et pourtant, selon moi, Séraphine ne parle que de ça.
La présence de Séraphine
Yolande, comment êtes-vous entré dans ce personnage ?
Y.M. : Préparer ce rôle, c'était d'abord aller vers Séraphine, l'aimer. J'ai pris des cours de peinture pour obtenir une crédibilité dans le geste. J'aimais dire : « je rentre dans les pommes de Séraphine ». On se concentre sur le choix des couleurs, les mélanges, les odeurs : une belle manière de m'imprégner du personnage.
(Photo Brian Toussaint LPJ)
Une fois sur le lieu de tournage, comment travaillez-vous ensemble ?
Y.M. : J'avais envie "d'être"Séraphine;je déteste me sentir trop dirigée. Les explications me rappellent que je ne suis qu'une actrice : ça me fait sortir de mon rôle? J'ai besoin de confiance pour jouer, ou simplement que l'on m'aime.
M.P. : Travailler avec Ulrich Tukur (ndlr : le mécène Whilelm Uhde dans Séraphine) a été très différent. Yolande fonctionne à l'instinct. Au contraire, Ulrich aime être dirigé. Puis, c'est un acteur très démonstratif. Sur ce point, il fallait que je le retienne.
Et l'ambiance sur le plateau ?
Y.M. : Il y avait un climat très curieux : nous avions l'impression que Séraphine était présente auprès de nous. Il m'est arrivé, lorsque je n'étais pas contente de moi, de parler tout bas : "Séraphine, reste avec moi". J'avais peur qu'elle ne m'échappe.
M.P. : Ce film a vraiment été une expérience particulière, très particulière. Souvent, il me semblait que nous étions guidés. Je crois que cette réincarnation de Séraphine n'arrive pas par hasard. Je trouve cela troublant : en 1929, elle traverse une crise. Aujourd'hui, nous en traversons une autre. Cette histoire devait exister, et c'était le bon moment.
Après Séraphine, quels sont vos prochains projets ?
Y.M. : Ce rôle m'a marqué : Séraphine m'accompagne. Et aujourd'hui, je vais commencer un nouveau film avec Martin. Ce qui me plait, c'est que l'on se comprenne. Cette relation est faite d'amour. Et ainsi, je pense que l'on va gagner du temps sur le prochain tournage.
M.P. : Nous allons tourner l'adaptation d'un roman de Keith Ridgway, Mauvaise pente. Yolande est quelqu'un d'extrêmement disponible et gentille : on se comprenait en un regard. Séraphine c'était un peu l'histoire de deux rencontres.
Propos recueillis par Jean Tricoire (www.lepetitjournal.com Madrid) 11 mai 2009