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HISTOIRE DE MADRID - Football : Cibeles, Neptuno, Cibelina... le derby des statues

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 15 mai 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

La saison 2011-2012 qui s'achève restera historique pour le football professionnel madrilène, représenté pour la première fois par quatre équipes en Première division. Les "petits" du Rayo Vallecano et du Getafe CF ayant obtenu leur maintien sportif, cinq clubs de la capitale pourraient croiser le fer l'an prochain dans l'élite, l'AD Alcorcón (Deuxième division) restant en course pour la montée. De leur côté, les deux grands, Real et Atlético, ont remporté un trophée chacun. L'occasion d'aller communier avec leur statue respective et leurs supporters, loin du stade. A Madrid, entre Cibeles et Neptuno, il y a aussi derby...

(Photo Creative Commons miamism)

L'aficionado madrilène de football pourrait faire office de très bon guide touristique de la capitale, l'été venu. Car si en Espagne tout ce qui a attrait au sport se vit passionnément, Madrid ne fait pas exception à la règle. Ainsi, pour le seul football, la ville compte huit centres névralgiques. Autant de stades que d'équipes en Première division et quatre places publiques. Si vous ne voyez pas le rapport entre les deux, pas d'inquiétude, le particularisme est (presque) uniquement espagnol. Lorsqu'une équipe remporte un trophée ou un succès probant, elle va communier avec ses supporters à un endroit habituel, identifié au club, en dehors de son stade.
La tradition n'est pas ancienne, certains livres d'Histoire du sport rapportent comme date fondatrice le 18 juin 1986, lorsque l'attaquant espagnol du Real Madrid, Emilio Butragueño, inscrivit quatre buts avec la sélection nationale face au Danemark, en huitième de finale de la Coupe du monde disputée au Mexique. Plusieurs supporters se retrouvèrent alors spontanément Plaza de la Cibeles, pour célébrer le succès et l'exploit de la vedette locale. Depuis, chaque trophée merengue a été systématiquement fêté au même endroit. Comme le dernier, celui de champion d'Espagne 2012, qui a rassemblé autour de la fontaine 70.000 supporters, le jeudi 3 mai dernier. Paco, concierge dans le sud de la capitale, abonné au Santiago Bernabéu depuis douze saisons, adore ce type de festivité : "C'est le meilleur moment de la saison ! Avant, on pouvait se baigner à la Cibeles. Ensuite, ils ont restreint l'accès à l'eau, pour le réserver aux joueurs. Et un jour, la mairie a décidé que personne n'approcherait plus la fontaine. Heureusement, en 2007, lors du trentième titre de champion d'Espagne, Raúl, en tant que capitaine, a eu accès à la déesse, via un échafaudage. Il lui a mis une écharpe du Real autour du cou. Depuis, c'est une tradition qui s'ajoute à la tradition."

Une tradition née à la fin des années 1980, d'abord instaurée par le Real Madrid
Cette année, Iker Casillas, gardien de but et capitaine emblématique du Real, a eu l'honneur d'attacher la fameuse écharpe, ainsi qu'un drapeau du club, au cou de la déesse. L'autre originalité du concept réside dans le double déplacement des masses pour chaque trophée. Le soir de la victoire sportive puis lors de la célébration organisée avec les joueurs. Soit 30.000 d'abord, le mercredi 2 mai dernier en fin de soirée, puis 70.000 le jeudi 3 mai en fin d'après-midi, une fois les joueurs rentrés de Bilbao, où ils avaient scellé le sort de la Liga la veille. "En quatre saisons à la tête du FC Barcelone, l'entraîneur catalan Pep Guardiola a remporté 14 trophées. Alors imaginez un peu, si cela nous arrive avec le Real... En allant deux fois à la Cibeles pour chaque titre gagné, et aussi pour les victoires dans le 'clásico' (rencontre contre l'ennemi éternel du Barça), on passerait plus de temps à faire les allers-retours qu'à voir les matches !", rigole Paco. Son fils Mauricio, socio inconditionnel du frère ennemi de l'Atlético de Madrid, n'a pas les mêmes soucis. "Forcément, on a moins de titres à fêter... Nous, nous allons à une autre fontaine, celle de Neptuno, située Plaza de Cánovas del Castillo. Chaque fois que l'on monte à Neptuno, on passe d'abord devant la Cibeles. C'est une tradition dans la tradition. On la provoque, on l'insulte un peu, beaucoup même ! Et puis on finit d'arriver à Neptuno."

550 mètres seulement séparent les deux centres névralgiques de célébrations footballistiques
Si plus de 7 kilomètres séparent les stades Santiago Bernabéu et Vicente Calderón, diamétralement opposés -le premier situé dans le nord résidentiel de la ville, le second au sud, sur les berges du Manzanares-, seulement 550 mètres de Paseo del Padro distancient les deux lieux de célébrations footballistiques. Existent-ils des paramètres ou différences significatives entre les deux fontaines les soirs de joie collective ? "Les Colchoneros ("matelassiers", surnom dû aux couleurs du club, le blanc et le rouge) sont beaucoup plus festifs que nous. Ils klaxonnent à tue-tête, chantent plus.. On a l'impression qu'ils sont champions du monde dès qu'ils gagnent quelque chose !", analyse Fran, la cinquantaine grisonnante, fan invétéré du Real Madrid depuis l'enfance et franchement heureux comme un gamin lorsque Casillas termine le n?ud autour du cou de la déesse, le jeudi 3 mai dernier, mais objectif devant ce qu'il considère "une évidence. C'est dans la nature même de l'aficionado de 'l'Atléti'. Il est en général plus jeune, vient d'un milieu plus populaire, n'a pas l'habitude de voir son équipe gagner des titres. Du coup, la passion déborde quand c'est le cas." Tellement que 52 personnes ont été arrêtées mercredi dernier, sur les 10.000 ayant spontanément envahi le lieu après la victoire de l'Atlético en finale de l'Europa League, face aux Basques de l'Athletic Bilbao (3-0). Avec 37 blessés au passage, dont 15 côté forces de l'ordre. Derby gagné, celui-là. Une semaine auparavant, le bilan ne faisait état que d'une personne en garde à vue et neuf blessés, 550 mètres plus au nord, quelques heures après le sacre du Real en Liga.

Le Getafe CF a sa "mini Cibeles" avec La Cibelina, le Rayo Vallecano la populaire Plaza de la Asemblea
"Le vrai derby gagné, c'est celui du nombre. Nous sommes bien plus de 100.000 aujourd'hui, ils étaient à peine 60.000 jeudi dernier. Pourtant, la Cibeles est plus grande, mieux agencée, il n'y a pas autant d'arbres ni de mobilier qui gêne", remarque Marta, maillot du buteur colombien adoré Falcao sur le dos, alors que le bus des joueurs passe devant elle et quitte Neptuno pour se rendre vers la Puerta del Sol, jeudi dernier. Les journaux feront état de 100.000 côté Atlético, contre 70.000 pour le Real. Impossible d'y échapper en tous cas : le cérémonial de la statue est un signe identitaire du club, au même titre que les couleurs, l'écusson, l'hymne, le nom, le stade ou le surnom des supporters.

Les "petits" aussi y ont droit. "Le Getafe CF a la Cibelina, (Plaza General Palacios, à Getafe) seulement ils ne gagnent pas souvent grand chose. Ils y vont surtout quand il montent en Première division ou arrivent à s'y maintenir. On dit qu'ils ont leur petite Cibeles mais le nom est vrai !" Autre surprise : "leur président actuel est socio du Real Madrid...", précise Marta, déçue de voir le DJ aux platines passer de la musique house plutôt que des chansons à la gloire de son Atlético. Plus au sud encore, un an après la célébration de l'accession en Première division, les aficionados du Rayo Vallecano se sont de nouveau rendus à la fontaine de la Plaza de la Asemblea, dimanche, au coeur même du quartier populaire de Vallecas, cette fois pour fêter le maintien obtenu lors de la dernière seconde de la dernière rencontre de championnat, au prix d'un but qu'ils n'attendaient plus, signé du goleador vétéran Raúl Tamudo, face aux Andalous du Granada CF (1-0). Près de 10.000 fanas du club rendu célèbre en Europe par le groupe Ska-P ont scandé à s'égosiller que leur "Rayo est de première". Comprenez division. Eux ne partagent pas leur passion entre deux clubs et ne revendiquent rien. Pas même le fait d'avoir été les premiers à se rassembler massivement après des succès probants à la Cibeles, au milieu des années 1970. Non, ça c'est l'affaire des Colchoneros. Jamais vérifiée. Toujours contestée. Entre le Real et l'Atlético, le derby éternel, qui ne laisse personne de pierre, est plus bouillant autour des statues que dans le pré.

Benjamin IDRAC (www.lepetitjournal.com - Espagne) Mardi 15 mai 2012

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Publié le 15 mai 2012, mis à jour le 5 janvier 2018