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Portrait fiction : Mattéo, 20 ans en 2040, fils du baby boom 2

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Griffin Wooldridge - Unsplash
Écrit par Laurent Colin
Publié le 13 mai 2020

Voici l’histoire de Mattéo. Il est l’un des milliers d’enfants conçus dès les premiers jours du confinement. C’est triste, mais ce n’est pas l’enfant de l’amour, plus celui du désœuvrement et de quelques minutes d’égarement entre une pizza quatre fromages et le septième épisode de Master of None, la vie touchante et chaotique de Dev, acteur de seconde zone à New York.

 

Telle est l’existence de Mattéo. Une naissance non programmée et une jeunesse sacrifiée sur l’autel de l’isolement. Qui pouvait prédire ce terrible scénario ? Celui d’un confinement qui perdure depuis maintenant vingt ans. Une distanciation sociale à rallonge qui a même fait oublier, mois après mois, toute notion « sociale ». Car à l’exception du noyau familial, plus personne ne se parle.

Les vingt premières années de Mattéo sont fades comme des carottes cuites à l’eau et dégustées sans même une pointe de sel. Insipides comme de jolis cornets de glace, livrées sans le sorbet.

Mattéo fait partie de la génération sans contact ou « contactless ». Il est taciturne, la peau très blanche, les yeux très bleus… Sa famille l’appelle affectueusement et ironiquement Oyster (comme la vieille carte de transport). Et évidemment, à chaque fois cela ne manque pas, la blague veut qu’il se ferme, comme une huître.

Le jeune homme n’est pas vraiment acteur de sa vie, plus spectateur du « progrès » qui défile sous ses yeux.

Bien sûr il est allé à l’école, dans de grandes bulles en plastique deux jours par semaine. Il a joué dans la cour décorée d’une centaine de marelles. Une par enfant ! Vous vous doutez bien : de peur du virus, pas de balle au prisonnier, pas de rires ou de cris, une récréation totalement aseptisée.

Bien sûr, il a pris le métro aux heures de pointe, engoncé dans un scaphandre souple, blanc cassé, qui achève d’uniformiser l’être humain. Ray-ban, Nike, Balenciaga… de fait, les marques ont aussi totalement disparu du paysage et de l’écran de Piccadilly Circus qui égraine des conseils sanitaires.

Maintenant il vit ses années d’université à la maison. Il a choisi l’histoire moderne pour savoir ce qui se passait sur terre avant 2020, avant que tout ne bascule, avant que les roses ne deviennent grises et que les poissons ne fuient définitivement la Tamise.

Il suit ses cours le lundi dans une petite pièce de l’appartement dédiée aux conférences auxquelles il participe en réalité virtuelle. Cet espace confiné (lui aussi) se transforme en meeting room pour maman, en salle de sport pour papa ou en salle de classe pour les enfants. Chacun est ainsi dans « sa réunion » avec tous ses collègues, amis ou camarades, mais sans y être vraiment.

Depuis la fenêtre, Mattéo observe les rues désertes. Il sait que, très longtemps, les hommes se sont battus pour les rendre piétonnes. Une folie douce, car aujourd’hui il n’y a même plus de piétons, juste la police qui veille à ce que chacun reste chez soi, et circule en Uber Eggs électriques. Des voiturettes en forme d’œuf, pour une ou deux personnes, qui roulent sans chauffeur. L’occasion pour le géant du secteur de réaliser encore plus de marge. Dans le ciel, il perçoit aussi les embouteillages de drones qui livrent tout et n’importe quoi. Une armada pilotée par Amazon, plus tentaculaire que jamais.

Mattéo esquisse un dixième de sourire car, ce soir, il a la chance inespérée, avec les siens, d’aller dans l’un de ces restaurants compartimentés avec des cloisons de verre. Pas de serveurs ici, les plats arrivent par les airs sur la table grâce à un système ingénieux. Il attend aussi impatiemment le tirage au sort de la fin de soirée qui a supplanté la loterie nationale. Sa famille gagnera peut-être un séjour sur une île paradisiaque, vidée de ses habitants et réservées aux touristes occidentaux, potentiellement contagieux. Une chance sur cent mille. Mais il se raccroche à ce rêve, même si la mer n’est plus bleue à force de subir de multiples traitements.

L’étudiant est aussi grand consommateur d’applications de dating. Des rendez-vous virtuels évidemment. Ces plateformes lui permettent de s’initier à faire l’amour à distance avec des “cam girls” payées par l’Etat pour que les citoyens ne se fassent pas sauter la carafe. A 20 ans, les seuls seins qu’il a touchés dans sa vie sont ceux de sa mère. Le bonheur de la tétée dont, évidemment, il ne se souvient pas.

Il ne se rappelle pas non plus avoir vu un chien ou un chat. Les Londoniens sont depuis six ans privés d’animaux domestiques, victimes de la mutation du virus… à l’instar de 80 % des espèces végétales qui faisaient la splendeur des parcs royaux.

De quoi vraiment dépérir, lentement, à petit feu, comme en regardant la télévision. Netflix a disparu des écrans, balayé par la crise et par l’essor de la téléréalité qui ne montre que des gens dépressifs et à bout de nerfs. Une absence totale d’avenir, de vision positive et un manque d’oxygène.

Mattéo… je pars… je m’enfuis, je me réveille, haletant ! Quel cauchemar ! Il est 4 h du matin à mon iPhone 8. Ce n’est pas le modèle 88 mais bien le 8. Je respire. Assis dans mon lit, je réalise la portée du confinement et m’interroge. Qui est donc ce Mattéo ? Pas d’importance… et surtout pas d’imprudence. Je vais encore rester cloîtré chez moi quelques semaines. Je suis responsable et discipliné et j’espère que vous me suivrez. Car ce n’est vraiment pas la vie que nous voulons léguer à nos enfants.

 

La crise du Covid-19 constitue une vraie alerte et un sérieux avertissement. Le pire est certainement à venir si nous ne changeons pas nos modes de consommation, si nous ne revoyons pas notre modèle de croissance et si nous n’agissons pas enfin pour le climat et la biodiversité. Nous ne sommes pas seulement en guerre contre un virus « Mais contre nos propres manquements, nos propres agissements, notre propre irresponsabilité à l'égard de la planète. Nous sommes, en définitive, notre propre ennemi » confie Gilles Bœuf, biologique français et ancien président du Muséum national d'histoire naturelle (tribune à lire ici).

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