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L’immunité collective : une erreur qui coûte un temps précieux

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Annie Spratt - Unsplash
Écrit par Luther Beaumont
Publié le 22 mars 2020, mis à jour le 22 mars 2020

Résumons la stratégie du gouvernement britannique contre l’épidémie de Covid-19 jusqu’à vendredi et explorons ce qui soulève des interrogations plus larges à l’égard de la gouvernance du pays. N’oublions pas les doutes qui n’ont jamais cessé d’être émis jusqu’à l’annonce des dernières mesures vendredi.

 

Le Royaume-Uni a perdu sept semaines. Presque deux mois !

C’est le jugement de Richard Horton, rédacteur en chef de la prestigieuse revue médicale « The Lancet ». La nouvelle stratégie du Royaume-Uni contre le coronavirus peut désormais être associée à sa suppression, et non plus seulement au retardement de sa propagation. Elle est composée d’une multitude d’actions recommandées par la revue médicale dans ses premiers rapports émis sur le virus, parus en date du 24 janvier dernier. Ces rapports illustrent les stratégies suivies par la Chine, la Corée du Sud, Taiwan ainsi que d’autres pays, qui ont permis de réduire le taux de propagation. Il est aussi question de la stratégie recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), laquelle a clairement été jugée de très loin préférable en comparaison des actions menées par le gouvernement britannique jusqu’à vendredi.

La nouvelle positon du gouvernement a été expliquée en mettant en avant l’évolution des retours du corps scientifique. Mais ceci ne constitue tout au plus qu’une excuse permettant de justifier les erreurs de prévision, mais aussi – et c’est plus grave - le refus de suivre les exemples ou mesures prises par les autres. Un rapport publié par l’Imperial College fait clairement état des conséquences issues de la politique d’atténuation menée par le Premier ministre, autorisant la propagation du virus dans le but de parvenir à créer cette fameuse immunité collective.

Le rapport met en lumière ce qui pourrait mener à 250 000 morts, provenant tant du virus que du nombre de personnes contaminées ne pouvant être traitées. Et ce, en raison des services de santé complètement débordés.

Les informations demeuraient pourtant accessibles et disponibles

Ministères étrangers, OMS, brigades scientifiques, mais aussi les professionnels du NHS eux mêmes, n’ont eu de cesse d’argumenter et de s’insurger pendant des semaines contre la stratégie du gouvernement. Soulignant le désastre à venir. Nous avons perdu sept semaines qui auraient pu être utilisées pour organiser la fabrication de ventilateurs, de kits afin d’effectuer plus de tests, ou encore de tenues (combinaisons) de protection pour les personnels de santé. Nous avons perdu sept semaines qui auraient pu être utilisées pour permettre de rappeler et former du personnel de santé retraité afin d’élargir les capacités de traitement. Nous avons toléré la propagation du virus pendant sept semaines quand nous aurions pu la freiner.

Le Royaume-Uni a-t-il suivi les directives de l’OMS ainsi que les mesures efficaces prises par les autres états ? Non. Les directives officielles de l’OMS étaient pourtant particulièrement explicites, fondées sur les expériences passées de pays étant parvenus avec succès à contenir et repousser Le Covid-19, mais aussi de précédentes pandémies. Les éléments charnières de cette potentielle réussite sont l’isolation de la pathologie et des porteurs du virus, la réalisation de tests sur les personnes qui ont été exposées et enfin l’éloignement social pour annihiler la propagation du virus par les personnes qui laisseraient apparaître des premiers symptômes. Il n’est pas question de théorie, il est question de faits. L’expérience que les pays d’Asie ont vécu au travers des épidémies liées au SRAS, MERSCoV et H1N1, ont permis l’élaboration de ces lignes conductrices. Il ne peut être une coïncidence si les pays qui ont su retenir les leçons de l’épidémie provoquée par le SRAS en 2003 constituent les mêmes pays qui sont parvenus le mieux à contenir le coronavirus. Ils ont eu le temps de développer les structures ou organisations nécessaires pour lutter comme il se doit contre cette nouvelle contamination. La seule incompréhension finalement réside dans la lenteur de réaction des pays occidentaux.

Des exemples significatifs

En date du 15 mars, Taiwan ne présentait que 59 cas confirmés pour un seul décès. Le pays est parvenu à éviter une propagation massive de la maladie qui pourtant, venait de toucher sévèrement son voisin frontalier chinois. Mis à part la plupart des personnes dans la rue portant un masque sur le visage, particulièrement dans les transports en commun, la vie suit son cours normalement. La Corée du Sud a fait réaliser plus de 248 000 tests pour le Covid-19. Les résultats sont promulgués dans les heures qui suivent. Cela permet de réduire le surencombrement ainsi que le taux d’exposition en milieu hospitalier. La réalisation en masse de ces tests permet d’identifier les nouveaux cas potentiels rapidement et donc de les isoler.

Le gouvernement de Hong Kong a suspendu les établissements scolaires, fermé la plupart des administrations publiques et prié sa population de ne plus se rassembler en nombre lorsque le nombre de cas confirmés ne dépassait pas encore le nombre de 20. Limitations précoces des voyages, politique agressive dans la réalisation de tests et règles de quarantaine strictement respectées ont été les clés de la réussite. Le résultat s’est traduit par la mise à l’arrêt de la propagation du virus à Taïwan et Singapour et par la réduction et le ralentissement du nombre de cas en Corée du Sud, Hong Kong et au Japon. Même la Chine, qui pourtant avait été plutôt lente dans la mise en place de ses premières dispositions, a désormais en grande partie sous contrôle la propagation du virus, après plus de 80 000 contaminations pour 3213 morts. A l’égard du pays par lequel l’épidémie a commencé, le pire semble à présent derrière, au contraire des pays de l’ouest dans lesquels le pire commence juste à se manifester.

La faille : l’immunité collective

Même après l’annonce des dernières mesures, le Grande-Bretagne est encore loin de là où elle devrait se situer. Et ce, parce que la répression ne peut fonctionner que lorsqu’elle est totale. Tout écart ne ferait que favoriser la contamination, remettre en question la cohérence globale du processus, placerait de nombreuses vies en danger et mettrait les services de santé en difficulté. Le Royaume-Uni vient juste d’interdire les rassemblements publiques, de fermer les écoles et de restreindre les voyages. Même les autres nations européennes qui pourtant avaient elles-mêmes été longues à réagir face à la crise, ont déjà instauré la répression. Cela incluant déjà la fermeture des bars, des restaurants et le confinement chez soi pour tous, hormis pour les salariés des services indispensables.

Pendant ce temps-là, le Royaume-Uni continuait de s’inscrire dans une gestion de crise dont la ligne directrice se trouvait partagée entre la volonté de contenir le virus et la volonté de maintenir à flot l’économie du pays. Une stratégie qui risque de s’avérer catastrophique tant pour les finances que pour la santé des citoyens. Le Royaume-Uni ne réalise toujours pas les tests en grande quantité, ce qui est pourtant un élément clé de toutes les tentatives réussies à ce jour pour contenir le virus. Si nous ne savons pas qui est atteint, il est difficile de connaître aussi les personnes immunisées. Si les individus porteurs du virus ne savent pas qu’ils le sont, ils ne peuvent être qu’insouciants avec les autres. Par ailleurs si les cas connus sont identifiés dans une zone précise, il semble plus facile de placer en quarantaine la population concernée. Même les personnels de santé du NHS ne sont pas testés. Ce qui augmente encore considérablement le risque de contamination, susceptible de les faire devenir anxieux quant au fait de potentiellement pouvoir contaminer les patients ainsi que leurs proches.

Et la bonne nouvelle dans tout cela ?

C’est que la position du Royaume-Uni est désormais orientée dans la bonne direction. Mais ceci ne répond pas au pourquoi du comment le gouvernement a fait le choix d’ignorer des éléments d’analyse pourtant évidents durant une si longue période. La stratégie menée jusqu’à vendredi dernier ne fut pas simplement inappropriée, mais aussi mal établie. Le gouvernement avait publiquement annoncé qu’il s’attendait à ce que 60 à 80 % de la population puisse être contaminée. 80 %, cela représenterait 54 millions de personnes. En considérant 1 % de taux de mortalité, cela serait synonyme de 540 000 morts. Par ailleurs, 80 % des contaminations se sont avérées modérées, ce qui signifierait que plus de six millions de personnes aurait été assujetties quant à elles à des symptômes sévères. Selon une enquête réalisée en Chine auprès de 44 415 cas confirmés, environ 5 % des patients concernés ont dû faire face à un état de santé critique, incluant défaillances respiratoires, chocs septiques ou insuffisances organiques.

Le gouvernement avait raison de vouloir faire de l’immunité collective un objectif à atteindre, mais il a négligé de prendre en considération, que jamais par le passé cela n’avait été accompli en s’exposant face à une telle pathologie. D’habitude, cela se crée naturellement au travers des campagnes de vaccination.

Animé de la volonté de créer une immunité collective, en tolérant une contamination de masse impliquant un taux de mortalité de 1 %, le gouvernement aurait engendré une quantité inacceptable de pertes humaines. Un point qui pose question alors que le Royaume-Uni savait pertinemment comment contenir le virus, de part les exemples asiatiques. Faire le choix d’établir sa politique de lutte contre le coronavirus différemment, tout en étant conscient que cela coûterait la vie de dizaine de milliers de personnes âgées vulnérables représente une véritable abomination.

Ce qui rend ces décisions politiques encore plus défectueuses, c’est que nous n’en savons toujours pas assez sur le Covid-19 pour pouvoir déterminer si oui ou non une contamination de masse pourrait permettre l’apparition de l’immunité collective. Il serait par exemple envisageable que l’immunité ne puisse survivre que quelques mois ou encore qu’une mutation du virus puisse s’observer, comme celle du virus de la grippe chaque hiver. Des milliers de gens pourraient mourir sans pour autant que le reste d’entre nous ne soit plus immunisé maintenant ou l’année prochaine.

Le problème de la gouvernance

Oui, nous devons nous satisfaire du revirement radical du gouvernement dans sa position, lorsque vendredi il a enfin instauré une politique de répression destinée à nous donner le temps de placer sous contrôle la propagation du virus. Mais d’une manière plus générale, nous devons nous interroger sur ce gouvernement, qui aurait délibérément ignoré ce qui avait été entrepris sur le plan international, les directives de toutes les principales organisations de santé, mais aussi les recommandations appuyées émises par différents experts : scientifiques et médecins confondus. Pendant des semaines, ils ont essayé d’alerter le gouvernement pour le faire changer de cap. Sans succès. Les autorités ont délibérément ignoré l’avis des experts dénonçant le désastre à venir. Johnson et son entourage ont réfuté toutes leurs allégations, en se réfugiant derrière des mensonges.

Pas plus tard que le week-end dernier, le secrétaire d’état à la santé Matt Hancock niait que l’immunité collective avait pu faire partie intégrante du plan d’action du gouvernement, alors que le secrétaire d’état au transport Grant Shapps déclarait que : « le Royaume-Uni est actuellement en train de réaliser plus de tests que dans n’importe quel autres pays mis à part la Chine et l’Italie ». Ne serait-ce que partiellement, cela ne pouvait être vrai.

Même si les dispositions ont fini par être renforcées, le temps perdu va coûter de nombreuses vies, alors que les mesures pour prévenir la propagation et préparer au mieux les services de santé du NHS auraient pu être prises bien plus tôt.

Au delà de se focaliser désormais sur la préservation de vies humaines, sur le soutien que nous nous devons d’apporter aux personnels de santé ainsi qu’aux personnes âgées, nous devrions nous interroger quant à la gouvernance du Royaume-Uni. Et ce, car les autorités ont été incapables d’écouter les conseils des experts, avec pour conséquences directes des prises de décision plus que douteuses. Dans un avenir très proche, il faudra forcément rendre des comptes.