Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Coup d’œil, coup de cœur sur « Le rouge de la Madone »

Rouge de la Madone tableau LondresRouge de la Madone tableau Londres
Écrit par Marie Aschehoug-Clauteaux
Publié le 18 décembre 2018, mis à jour le 18 décembre 2018

En visite à la National Gallery, je suis tombée sur une peinture du XVIe siècle d’une Vierge à l’enfant vêtue somptueusement de rouge. Représenter ainsi la mère de Dieu n’est pas anodin. Et derrière ce choix chromatique se cachent des enjeux hautement symboliques.

De l’intime au flamboyant

Au regard des autres représentations contemporaines des Vierges à l’enfant, cette “Madone à l’iris”, peinte à l’huile sur bois de tilleul dans l’atelier de l’artiste allemand Albrecht Dürer vers 1500-1510, est surprenante. La Vierge est représentée au centre du tableau et toute sa gestuelle, d’une grande délicatesse, souligne la douceur féminine et maternelle de cet instant intime dans un jardin fleuri à l’abri des regards. L’intimité de cet instant contraste avec le rouge flamboyant de l’habit de la Vierge. On ne voit qu’elle !

Les dimensions importantes du tableau et la place centrale du rouge accentuent cette impression. La scène a été composée de façon à être remarquée. Ce qui m’a le plus frappé ce n’est pas tant que la Vierge soit vêtue de rouge, mais que son habit, que sa robe et son manteau soient exclusivement rouges, d’un rouge soyeux, flamboyant et gourmand. Cette superposition de deux tissus de même couleur est étonnante. Dans l’image, pour des raisons techniques, de visibilité, et symboliques, propres au système de représentation, quand l’habit est composé de plusieurs éléments textiles, ceux-ci sont généralement peints de couleurs distinctes. Cette surenchère plastique du rouge donne toute sa force symbolique à la figuration de la Madone.

Rouge, la couleur par excellence

Depuis la préhistoire, on sait techniquement faire du rouge pictural puis tinctorial et le décliner en plusieurs nuances. C’est la première couleur que l’être humain a su maîtriser. Dans certaines langues comme l’espagnol, où des joues “coloradas” sont des joues rouges, la couleur rouge et le mot générique “couleur” sont synonymes. À partir du XIIe siècle le rouge est concurrencé par le bleu, notamment dans les représentations mariales. La Vierge gothique est une Vierge vêtue de bleu. Et en ce début du XVIe siècle, le rouge de notre Madone est d’autant plus étonnant qu’il est non seulement concurrencé par le bleu et par la vogue croissante des habits noirs, mais aussi, jugé trop voyant et indécent, il commence à être décrié dans le discours moral des réformateurs protestants.

À la fin du Moyen Âge, le mauvais rouge, lubrique, diabolique et traitre des flammes de l’Enfer et des cheveux roux de Judas, prend peu à peu le pas sur le bon rouge, celui du pouvoir, de la beauté et de l’amour divin, celui de la robe de cette Vierge à l’enfant, celui du rouge peint sur ce bois de tilleul, un bois symbole d’amour et de fidélité. Cette dévalorisation morale du rouge se confirme au XVIe siècle avec la Réforme protestante. Mais le beau et le bon rouge résiste. Aujourd’hui, c’est une couleur discrète dans la vie quotidienne (de loin on lui préfère le bleu et le noir), mais il demeure une couleur à forte valeur symbolique, il alimente nos passions (notamment en milieu politique), nos fantasmes, il rend l’âme poétique et l’esprit rêveur. Et l’impact que ce tableau peint il y a plus de 500 ans a dans mon imaginaire est de ce fait significatif.

À voir à The National Gallery Room - 65 Trafalgar Square - London WC2N 5DN

Tube : Charing Cross, Leicester Square

À lire : Michel PASTOUREAU, Rouge. Histoire d’une couleur, Paris, Editions du Seul, Octobre 2016.